Face à la multiplication des cas de journalistes ciblés par Predator en Grèce, les autorités doivent agir d’urgence

Ils seraient déjà 13 professionnels des médias à avoir été visés par une tentative de mise sous surveillance du logiciel espion Predator, que les services de renseignement auraient acheté. Face à la multiplication de ces cas, Reporters sans frontières (RSF) appelle d’une part les autorités grecques à mener rapidement une enquête indépendante sur ces surveillances arbitraires et d’autre part les institutions européennes à imposer un moratoire sur l’utilisation des logiciels espions.

La révélation choquante de l'utilisation arbitraire d’un logiciel espion contre les journalistes par les services de renseignement est une tache sur la démocratie grecque. Les autorités grecques doivent mener au plus vite, en coopération avec Europol, une enquête indépendante et approfondie sur cette surveillance arbitraire.

Pavol Szalai
Responsable du bureau Union européenne - Balkans de RSF

“Comme les autorités nationales, soupçonnées d'être complices des surveillances, tardent à réagir, une action rapide et forte de l'Union européenne s'impose pour mettre un terme à l’utilisation de logiciels espions contre les journalistes. Pour ce faire, RSF demande un moratoire sur la vente, le transfert, l'exportation et l'utilisation des technologies de cybersurveillance. Aussi, nous saluons le premier draft du rapport des eurodéputés enquêtant sur l’utilisation de logiciels espions qui reprend cette mesure.

Julie Majerczak
Représentante de RSF auprès de l’Union européenne

Dans une enquête publiée ce 15 novembre, Inside Story révèle que le Service de renseignement national (EYP) se serait procuré le logiciel espion Predator pour un coût initial de sept millions d’euros auquel viendraient s’ajouter 150 000 euros mensuels pour dix cibles pouvant changer au fil des mois. Cet achat aurait été camouflé dans un autre contrat établi par l’EYP. Les serveurs stockant le logiciel se situeraient dans un bâtiment public de la petite ville d’Agia Paraskevi au nord-est d’Athènes.

Si le porte-parole du gouvernement, Yannis Economou, affirme que "l'enquête a déjà été entamée par la justice grecque, avec l'aide des autorités publiques”, celle-ci, à l’instar de l’enquête parlementaire, n’a pas été réalisée de manière rigoureuse. Il est d’ailleurs regrettable que le gouvernement s’en prenne aux seules personnes qui ont pour le moment véritablement contribué à faire la lumière sur l’utilisation de Predator, les journalistes, menaçant de “punir à la fois les personnes impliquées et celles qui diffusent des informations fausses et calomnieuses".

Le gouvernement grec s’est engagé, auprès de RSF entre autres, à modifier la législation encadrant la surveillance jusqu’à interdire les logiciels espions. Le ministre d’État George Gerapetridis – qui, comble de l’ironie, aurait été lui-même ciblé par Predator, selon Documento – a promis le 3 octobre, lors de la visite des eurodéputées enquêtant sur l’affaire, de proposer un projet de loi dans les deux semaines suivantes. RSF a pris note du texte finalement présenté le 15 novembre. Il ne semble malheureusement permettre à une personne qui a été sous surveillance dans le passé d'être informée que trois ans après la fin de ladite surveillance. RSF analysera toutefois ce projet de loi à la lumière de ses récentes recommandations sur le cadre juridique grec en matière de surveillance.

Treize professionnels de médias de tout type sous surveillance

La surveillance des journalistes par des technologies de cybersurveillance est en effet un problème majeur en Grèce. Pas moins de 13 professionnels des médias ont été ciblés par le logiciel espion Predator. Outre le cas du journaliste d’investigation Thanasis Koukakis, déjà révélé cet été, Documento a fait état dans ses numéros des 6 et 13 novembre 2022 de la surveillance de 12 nouveaux professionnels des médias. Alors que, dans les enquêtes journalistiques successives, l’étau se resserre autour du Premier ministre, Kyriakos Mitsotakis, un élément est clair : la surveillance des professionnels des médias s’est faite dans une ampleur inédite et a ratissé large.

Des journaux de lignes éditoriales et types variés ont été visés. Ainsi, le célèbre journal de centre droit Kathimerini a été touché par le ciblage de son directeur, Alexis Papachelas, tout comme le journal satirique To Pontiki, dont le journaliste Antonis Dellatolas a lui aussi été la cible du logiciel.

Parmi les journalistes ciblés, on retrouve également la journaliste star de la chaîne SKAI, Eva Antonopoulou, sûrement visée pour avoir accès aux informations de son mari, qui a été chargé de coordonner la gestion de la pandémie de COVID 19 en Grèce. Le journaliste spécialiste des affaires internationales d’EURACTIV.gr et d’iEidiseis, Spyros Sideris a lui porté plainte pour sa surveillance, comme Thanasis Koukakis avant lui.

Élément supplémentaire dans ce complexe réseau de surveillances, certains journalistes ont été surveillés dans le but d’obtenir des informations sur un de leurs contacts. C’est le cas du directeur de la publication du journal Parapolitika, Yannis kourtakis, qui a été surveillé en raison de sa proximité supposée avec l’homme d’affaires Evangelos Marinakis entre autres propriétaire des journaux Ta Nea et To Vima.

À la dernière place dans l’Union européenne, la Grèce occupe la 108e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2022.

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