Serbie : RSF appelle le régulateur des médias à défendre le pluralisme et l’indépendance de l’information

Par une décision très contestée, l'Autorité de régulation des médias électroniques (REM) serbe a attribué quatre fréquences nationales exclusivement à des chaînes pro-gouvernementales. Lors de l’appel d’offres pour la cinquième fréquence, Reporters sans frontières (RSF) l’appelle à appliquer les exigences imposées par la loi et protéger le droit à l’information et le pluralisme menacés par la propagande, le trafic d’influence et les fausses informations.

"L’espace médiatique serbe est contaminé par la propagande, le trafic d’influence et les fausses informations. Les chaînes serbes étant diffusées dans les pays voisins, ce fléau gangrène l’ensemble des Balkans. Il est vital pour le droit à l’information et le pluralisme des médias en Serbie et au-delà que REM applique la loi en vigueur et attribue la cinquième fréquence nationale à un média pouvant garantir de manière plus crédible l’indépendance éditoriale et la déontologie journalistique que les quatre détenteurs de licence actuels.

Pavol Szalai
Responsable du bureau UE-Balkans de RSF

Un exemple récent illustre bien les manquements de ces médias très influents face auxquels le régulateur demeure aveugle. Dans le cadre d’une joute verbale l'opposant depuis plusieurs semaines au youtuber-star serbe Bogdan Ilic, le propriétaire de la chaîne Pink TV, Zeljko Mitrovic, a menacé de produire un documentaire à décharge sur sa chaîne pour exposer son adversaire. Le 8 septembre dernier, il est passé à l’acte faisant fi de la déontologie journalistique et de l’indépendance éditoriale. Le documentaire diffusé par Pink TV a, entre autres, accusé le youtuber d’“actes criminels”, de “pratiques homosexuelles”, de pédophilie et de propagation de maladies sexuelles. Outre le contenu de ce reportage ayant vocation à dénigrer Bogdan Ilic, sa diffusion au service de l’intérêt personnel du propriétaire constitue un abus de fréquence nationale interdit par la loi selon le think-tank BIRODI. Ce n’est que le dernier exemple en date des violations de la loi par les quatre chaînes de télévision diffusées en Serbie sans que l’autorité de régulation n’agisse, ce qui pose la question de son indépendance.

Malgré des lacunes évidentes sur le plan légal pointées par Judita Popovic, seule membre du Conseil de REM nommée par l’opposition, la licence de Pink TV a été renouvelée le 29 juillet dernier pour les huit prochaines années, tout comme celles des autres chaînes pro-gouvernementales Happy, B92 et Prva (ces deux derniers ayant le même propriétaire). Le seul espoir de voir une chaîne indépendante sur les ondes nationales repose désormais sur l’appel d’offres ouvert pour une nouvelle et cinquième fréquence, un projet de longue date en Serbie. REM commencera à étudier les candidatures le 11 octobre prochain et devra rendre une décision au plus tard le 26 novembre.

La justification de REM remise en question

REM justifie sa décision de renouveler les quatre licences en indiquant qu’“elle a particulièrement apprécié les garanties données par les candidats dans la proposition d'élaboration des programmes, qui travailleront pour protéger le pluralisme des médias.” L’autorité de régulation affirme avoir également tenu compte du travail antérieur des chaînes et de leur viabilité économique. 

Une justification largement critiquée : deux des chaînes s’étant vues refuser une licence, N1 et Nova S, ont attaqué la décision devant la justice serbe. Elle reprochent, entre autres, à l’autorité de régulation de ne pas avoir tenu compte de l'obligation de promouvoir le pluralisme des médias, tous les lauréats ayant une orientation de programmation similaire. Deux ONG serbes contestent également la décision relative à l’attribution des fréquences. La Fondation Slavko Curuvija et le CRTA ont saisi le tribunal administratif reprochant à l’Autorité de régulation un manquement à l’article 28 paragraphe 1.3 du Recueil de règles sur les conditions minimales pour la fourniture de services de médias. Cet article dispose que REM doit évaluer le respect de la réglementation et les normes professionnelles et éthiques des médias. Pour les plaignants, ce critère n’a pas été respecté car les quatre chaînes n’ont pas tenu compte des avertissements et réprimandes adressés par l’autorité de régulation ​​pendant la période de validité de leur précédente licence.

La décision ne fait pas l’unanimité au sein même de l’autorité de régulation. Dans une interview accordée au quotidien belgradois Danas, Judita Popovic estime que REM a consciemment négligé sa responsabilité de contribuer au développement des libertés de pensée et d'expression et que la décision ne respecte donc pas la loi. Interrogée par RSF à propos des procédures légales contre la décision, elle s’est dite pessimiste quant à la probabilité d’une réponse institutionnelle à ces procédures judiciaires. De son côté, la Présidente du Conseil de REM, Olivera Zekic, n’a répondu à aucune des sollicitations de RSF.

Le Monténégro sanctionne Pink TV

Certaines chaînes diffusées en Serbie le sont également accessibles au Monténégro voisin. Preuve supplémentaire du manque d’éthique journalistique des programmes proposés par les chaînes s’étant vu attribuer une fréquence, l’autorité de régulation monténégrine, l’AEM, a interdit, par une décision du 5 septembre, la diffusion de la matinale de Pink TV, “Novo jutro” pour les 6 prochains mois. Le régulateur monténégrin affirme qu’en diffusant sa matinale, Pink TV enfreint la Convention européenne sur la télévision transfrontière (ratifiée par la Serbie et le Monténégro) avec des contenus incitant à la haine. Le texte du Conseil de l’Europe dispose en effet, au paragraphe 1 de son article 7, que le radiodiffuseur est responsable du respect de la dignité humaine et des droits fondamentaux d’autrui dans ses programmes, ce qui n’est, pour l’AEM, pas le cas de Pink TV

Dans son plan post-électoral de soutien à la liberté de la presse et à la fiabilité de l'information en Serbie publié en avril dernier, RSF recommande aux nouveaux élus de mettre en place un cadre réglementaire facilitant l’indépendance des médias. Celui-ci repose notamment sur les garanties de l'impartialité et l'efficacité de REM, sur l'attribution des fréquences nationales de manière transparente, indépendante de toute influence politique et uniquement aux médias respectant le Code de déontologie des journalistes, ainsi que sur la prise en compte du standard européen de procédures journalistiques professionnelles comme la Journalism Trust Initiative lancée par RSF.

La Serbie occupe le 79e rang sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2022, tandis que le Monténégro est classé 63e.

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Updated on 11.10.2022