Pas de trêve saisonnière pour les journalistes azerbaïdjanais
Pendant que le monde célèbre les fêtes de fin d’année, les autorités azerbaïdjanaises lancent une nouvelle salve contre les derniers journalistes critiques. Reporters sans frontières (RSF) appelle la communauté internationale à mettre enfin un terme à l’impunité du régime d’Ilham Aliev.
Le pouvoir azerbaïdjanais parie-t-il sur l’inattention de la communauté internationale à l’approche du Nouvel an ? Quelques jours après avoir fait condamner la célèbre journaliste d’investigation Khadija Ismaïlova à une amende astronomique, les autorités azerbaïdjanaises brandissent de nouvelles accusations contre le blogueur emprisonné Mehman Huseynov, alors que débute le procès du rédacteur en chef Anar Mammadov.
Censé être libéré en mars, Mehman Huseynov risque désormais jusqu’à sept ans de prison supplémentaires pour “résistance à un représentant des autorités avec usage de la violence”. L’administration pénitentiaire l’accuse d’avoir tenté de se soustraire à un contrôle de routine le 26 décembre et agressé un officier. Placé à l’isolement pour dix jours sans avoir pu consulter ses avocats, il a entamé une grève de la faim contre ce qu’il dénonce être des accusations montées de toutes pièces.
Connu pour ses enquêtes sur la corruption du régime, le blogueur est par ailleurs le frère d’Emin Huseynov, directeur en exil de l’organisation de soutien aux journalistes Institute for Reporters’ Freedom and Safety (IRFS). Harcelé par les autorités, Mehman Huseynov a été jeté en prison en mars 2017 pour “diffamation” envers le policier qu’il désignait comme son tortionnaire lors d’une précédente interpellation.
La célèbre journaliste d’investigation Khadija Ismaïlova est victime d’un acharnement similaire. La persécution à laquelle elle est en butte depuis des années a rebondi le 21 décembre, quand un tribunal de Bakou lui a infligé un redressement fiscal de 45 143 manats (près de 23 000 euros). Une somme qui correspond officiellement aux impôts sur les bénéfices que le bureau de Radio Free Europe / Radio Liberty (RFE/RL) à Bakou aurait omis de payer lorsque la journaliste en était directrice, entre 2008 et 2010.
L’absurdité de ces accusations n’échappe à personne : non seulement Khadija Ismaïlova n’a jamais eu de responsabilité financière à RFE/RL, mais la radio est une entité non-commerciale et n’a aucun impôt sur les bénéfices à payer. Peu importe : l’essentiel est de faire monter la pression sur la journaliste, qui poursuit inlassablement ses enquêtes sur la corruption au sommet de l’État.
Libérée en 2016 après un an et demi de prison, Khadija Ismaïlova reste toutefois en sursis, sous contrôle judiciaire et sous le coup d’une interdiction de voyager. Elle affirmait récemment avoir été avertie d’un nouveau risque d’arrestation. Les autorités ont gelé son compte en banque juste après y avoir versé les compensations auxquelles la Cour européenne des droits de l’Homme les avait condamnées pour l’une des nombreuses arrestations arbitraires de la journaliste.
“Cette nouvelle salve le démontre une fois de plus : le régime d’Ilham Aliev n’aura de cesse d’intensifier sa chasse aux voix critiques tant qu’il se sentira libre de le faire, déplore Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de RSF. Quand la communauté internationale se décidera-t-elle enfin à marquer les limites ? Il est grand temps qu’elle tienne Bakou comptable de ses actes et envisage des sanctions ciblées si la fuite en avant se poursuit.”
Le procès d’un troisième journaliste, Anar Mammadov, s’ouvre ce 28 décembre. Le rédacteur en chef de Criminalaz.сom risque jusqu’à 12 ans de prison pour “appel à renverser le gouvernement”, “abus de pouvoir” et “diffusion de fausses informations”. Des accusations également brandies contre Moustafa Hadjibeïli, rédacteur en chef de Bastainfo.com, dont le procès doit s’ouvrir prochainement. Ces publications sont mises en cause pour avoir blâmé la “négligence coupable” des autorités, responsable selon elles de la tentative d’assassinat perpétrée en juillet contre le maire de Ganja, dans l’ouest du pays. Les deux sites avaient aussitôt été bloqués et plusieurs de leurs collaborateurs avaient été interpelés.
L’Azerbaïdjan occupe la 163e place sur 180 au Classement de la liberté de la presse établi par RSF en 2018. Les principaux médias critiques ont été réduits au silence ou à l’exil, les principaux sites d’information indépendants sont bloqués, pas moins de dix journalistes sont emprisonnés, et les activités des ONG de soutien aux médias sont criminalisées. Le “prédateur de la liberté de la presse” Ilham Aliev n’hésite plus à exporter sa répression à l’étranger, comme en témoigne l’enlèvement du journaliste Afgan Moukhtarly en Géorgie ou les poursuites intentées en France contre l’émission “Cash Investigation”.