Russie : des condamnations disproportionnées pour avoir enquêté sur une affaire de corruption

Un tribunal de Saint-Pétersbourg a condamné le journal Delovoï Peterbourg et trois de ses journalistes à des dommages et intérêts d’un montant total de plus de 60 000 euros pour avoir publié des articles dénonçant la corruption d’un universitaire proche du président russe. Reporters sans frontières (RSF) dénonce un procès opaque et des condamnations disproportionnées.

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Le quotidien Delovoï Peterbourg a été condamné le 15 mai 2018 à verser quatre millions de roubles de dommages et intérêts (55 000 euros environ) au recteur de l’Ecole des mines de Saint-Pétersbourg, Vladimir Litvinenko, qui avait porté plainte en diffamation contre le journal après la publication d’enquêtes portant sur des détournements de fonds de l’école.


Les auteures des articles incriminés - Nadejda Fiodorova, Irina Pankratova et Natalia Kovtoun - ont elles aussi été condamnées à des dommages et intérêts pour un montant total d’un million de roubles (plus de 13 000 euros). La section russe de Transparency International qui avait également publié une enquête sur le sujet devra quant à elle payer à l’universitaire cinq millions de roubles de dédommagements.


A la demande de Vladimir Litvinenko, le procès s’est déroulé à huis-clos sous prétexte de ne pas rendre publiques des informations personnelles. A l’issue du verdict rendu par le tribunal du district de l’île Vassilievski à Saint-Pétersbourg, la défense a souligné qu’à aucun moment la juge n’avait pris en compte son argumentation. Delovoï Peterbourg et la section russe de Transparency International ont fait appel de la décision et se disent prêts à aller jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour défendre leurs droits.


En poste depuis 1994, Vladimir Litvinenko est connu comme le recteur le plus riche de Russie et figure même dans les derniers classements annuels du magazine Forbes. Directeur de thèse du président russe dans les années 1990, il dirige le QG de campagne de Vladimir Poutine à Saint-Pétersbourg à chaque scrutin présidentiel depuis l’an 2000.


“Il est difficile de croire à l’équité d’un procès fermé aux journalistes et à l’impartialité d’une juge qui ne donne aucune suite aux arguments de la défense alors que les publications en question dénoncent les agissements d’une personne très influente, déclare RSF. Ces condamnations disproportionnées qui visent seulement à dissuader les journalistes d’enquêter sur les affaires d’intérêt général doivent être révisées lors du procès en appel.”


En novembre 2016, Delovoï Peterbourg a publié une série d’articles portant sur le détournement des biens publics gérés par l’Ecole des mines de Saint-Pétersbourg au profit des personnes proches du recteur de l’établissement. Des détournements, également dénoncés un mois plus tard par la section russe de Transparency International. C’est seulement en septembre 2017 que Vladimir Litvinenko a déposé une plainte en diffamation contre les deux sociétés en réclamant 65 millions de roubles de dommages et intérêts, dont 30 millions de roubles (plus de 400 000 euros) de la part de Delovoï Peterbourg.


Créé en 1993, Delovoï Peterbourg est devenu l’un des titres de référence de la région de Saint-Pétersbourg. Après avoir changé de mains à plusieurs reprises, le journal appartient depuis décembre 2017, à l’oligarque Grigori Beriozkine. Peu après ce dernier rachat, plusieurs anciens fonctionnaires de la région ont été nommés à des postes clés dans la rédaction tandis que son rédacteur en chef, Maxime Vassioukov, a démissionné en janvier 2018.


La Russie occupe la 148e place sur 180 au Classement mondial de la liberté de la presse 2018, établi par RSF.
Publié le
Updated on 23.05.2018