Le 15 mai 2008, l'Assemblée nationale a adopté, en première lecture, le projet de loi relatif à la protection du secret des sources des journalistes. Reporters sans frontières juge insuffisants plusieurs aspects de ce texte.
Les députés ont adopté, le 15 mai 2008, le projet de loi sur la protection du secret des sources des journalistes, présenté par la ministre de la Justice, Rachida Dati.
"Ce texte ne va pas assez loin. Il laisse une trop grande part d'interprétation aux enquêteurs qui estimeront seuls si un 'impératif prépondérant d'intérêt public' justifie de porter atteinte au secret des sources. Ce manque de précision n'offre pas de garanties suffisantes informateurs des professionnels des médias. Les journalistes d'investigation qui travaillent sur le délicat sujet du terrorisme, par exemple, n'auront aucune protection supplémentaire avec ce texte", a déclaré Reporters sans frontières.
L'organisation milite depuis des années pour une réforme des lois existantes. Elle avait déjà fait part de ses critiques et présenté des propositions d'amendements lors de son audition par la Commission des lois de l'Assemblée nationale, le 27 mars.
Des exceptions mieux encadrées
Parmi ces critiques, figure surtout le fait que le projet de loi énonce des restrictions au principe du secret des sources, dont la formulation insuffisamment précise fragilise la protection accordée par le texte. L'organisation a proposé que l'article premier se rapproche de la loi belge, considérée comme l'une des références en la matière en limitant drastiquement les cas d'atteintes au secret protégé :
"Il ne peut être porté atteinte à ce secret qu'à la requête d'un juge et seulement si la révélation des sources en question est le seul moyen de prévenir la commission d'infractions menaçant l'intégrité physique d'une ou plusieurs personnes et si, de plus, ces informations revêtent une importance cruciale pour prévenir la commission de ces infractions et qu'il n'existe aucun autre moyen de les obtenir."
Une définition du journaliste plus complète
Par ailleurs, Reporters sans frontières regrette que la définition du journaliste retenue limite les catégories de personnel pouvant bénéficier de la protection du secret des sources. Elle a demandé qu'il soit ajouté à l'article 1er que “les correspondants, qu'ils travaillent en France ou à l'étranger” soient considérés comme journalistes, ainsi que “les collaborateurs directs de la rédaction, et en particulier, les rédacteurs- traducteurs, sténographes-rédacteurs, rédacteurs réviseurs, reporters-dessinateurs, reporters-photographes, journalistes-reporters d'images, et les correspondants locaux de la presse locale et régionale”, précisant que “l'ensemble de ces personnes ont le droit de taire leurs sources d'information. "
Des perquisitions qui doivent mieux garantir les droits des journalistes
Concernant les perquisitions, l'organisation de défense de la liberté de la presse recommande que les journalistes soient protégés au-delà de la saisie de « documents ». Elle propose de compléter le projet de loi pour qu'il prévoit que les journalistes puissent s'opposer non seulement à la saisie d'un document mais aussi à la saisie "du matériel de toute nature utilisé par le journaliste pour recueillir, conserver, et transmettre les informations, dans l'exercice de son activité".
De plus, l'organisation demande que les écoutes téléphoniques, dont ce projet ne parle pas, soient encadrées en ajoutant à l'article 2 que : " Aucune interception, ni réquisition policière ou judiciaire visant à connaître les sources d'un journaliste ne pourra être effectuée sur une ligne téléphonique ou tout autre moyen de communication dont il serait le titulaire ou l'un des utilisateurs habituels sans que soit sollicitée l'autorisation du juge des libertés et de la détention. Cette requête devra s'appuyer sur des motifs caractérisant les nécessités de préserver un intérêt vital. Il n'y sera fait droit qu'en cas de stricte nécessité. "
Reporters sans frontières recommande, par ailleurs, que le journaliste dont le domicile a été perquisitionné, puisse être entendu par le juge des libertés et de la détention (JLD), dans le cas où il n' a pas assisté à la perquisition. Elle insiste également pour que l'ordonnance du JLD soit susceptible de recours, puisqu'”elle peut conduire à la violation d'un des droits fondamentaux des journalistes et, de ce fait, porter atteinte à la liberté d'expression.”
Les journalistes exposés à une mise en examen
Enfin, à l'article 3 du projet de loi, Reporters sans frontières propose de remplacer l'expression “"Tout journaliste entendu comme témoin “ par "Tout journaliste entendu à quelque titre que ce soit sur des informations recueillies dans l'exercice de son activité est libre de ne pas en révéler l'origine" et de prévoir une telle protection dès le stade de l'enquête.
Cette formulation s'impose pour éviter l'usage par les magistrats de la mise en examen pour priver un journaliste de la protection dont il disposait en tant que témoin.
Ces modifications rendront la future loi plus conforme au but affirmé : inscrire dans nos textes "de façon solennelle le principe du secret des sources ".