Malaise au sein de la chaîne publique slovaque victime de pressions politiques

En dépit de l’électrochoc provoqué par l’assassinat d’un journaliste d’investigation en février dernier, les conditions de travail des professionnels des médias continuent de se dégrader en Slovaquie, notamment au sein du média public, qui voit son indépendance éditoriale mise à mal.

Depuis quelques jours, les tentatives d’ingérence des autorités slovaques dans les programmes et la direction de la radio et télévision de Slovaquie (RTVS) se heurtent à la résistance d’un certain nombre de journalistes qui tentent de défendre la ligne éditoriale de leur chaîne. La crise n’a cessé d’enfler ces dernières semaines au siège du média public. Les pressions politiques -qui avaient connu un répit dans la foulée de l’assassinat du journaliste d’investigation Ján Kuciak pour cause de crise gouvernementale- n’ayant fait que redoubler une fois la crainte d'élections anticipées passée.


Plutôt que de s’employer à renforcer la liberté d’informer dans une période de turbulence pour les médias en Slovaquie, le nouveau directeur de la RTVS Jaroslav Rezník n’a cessé de la remettre en cause. Élu à la tête du média public en juin 2017 par le Parlement slovaque grâce au soutien des partis de la coalition gouvernementale Smer et le Parti national slovaque SNS, Jaroslav Reznik a pris ses fonctions en août et contribué dès l’automne à détériorer l’ambiance au sein de la chaîne. D’abord en nommant de nouveaux rédacteurs en chef venus de cabinets ministériels et proches du pouvoir. Puis en supprimant, en tout début d’année, le seul magazine d’investigation du pays, Reportéri (Les Reporters), à la suite de la diffusion d’un reportage critique envers une organisation culturelle proche du Parti national slovaque (SNS), membre de la coalition au pouvoir. Dans la foulée, après des critiques venant directement de ce même parti, c’est une autre magazine, Dejiny.sk (Histoire.sk) qui a vu son équipe remaniée.


En mars, les journalistes de la RTVS ont également été choqués par l’interdiction qui leur a été faite de porter à l’antenne des badges de soutien à Ján Kuciak “#All forJán”, alors que ce slogan était devenu un symbole de solidarité avec les journalistes slovaques. Lorsque certains reporters ont bravé l’interdiction, les journalistes ont été traités de “révolutionnaires” par leur nouveau rédacteur en chef.


Le début du mois d’avril a été marqué par le licenciement très médiatisé d’une des journalistes les plus expérimentées de la rédaction, Oľga Baková, qui venait de refuser une rétrogadation non justifiée. Quelques jours plus tard, c’est le directeur des programmes Tibor Búza, qui a quitté ses fonctions, officiellement pour “raisons personnelles” mais en réalité, selon certaines sources, suite à des désaccords avec la direction.


Le conflit a pris une nouvelle tournure le 4 avril dernier quand une soixantaine de journalistes ont signé une lettre ouverte au directeur de la RTVS dénonçant les nombreux désaccords avec leur hiérarchie, l’existence de conflits d’intérêt -des rédacteurs en chef étant issus de services de presse de ministères - et le traitement réservé aux journalistes critiques tantôt “écartés, rétrogradés ou recasés”. Nous continuons “de travailler librement .. mais dans un climat hostile” et “ne pensons pas que nos supérieurs soient en mesure de protéger les rédactions des fortes pressions extérieures” expliquent les signataires que la direction a qualifiés de “jeunes radicaux … à la recherche de l’ennemi de l’intérieur et de l’extérieur”.


“Il est essentiel que la direction de la RTVS protège efficacement le média public contre les pressions politiques et parvienne à restaurer un climat de confiance au sein de la chaîne, déclare Pauline Adès-Mével, responsable de la zone UE-Balkans de RSF. Au moment où la Slovaquie traverse une grave crise politique provoquée par le meurtre de Ján Kuciak, elle a plus que jamais besoin d’un média de service public indépendant. RSF se tient aux côtés des journalistes de la RTVS et de l’ensemble de la profession qui lutte pour conserver sa liberté éditoriale.”


Lorsque Jaroslav Rezník a pris la tête de la chaîne publique à la fin de l’été dernier, l’institution qui certes avait besoin de financements, jouissait d'une indépendance éditoriale et d’une grande crédibilité de la part du public. Le journal télévisé de la RTVS était le plus respecté du paysage audiovisuel slovaque pour son objectivité.


La crise qui affecte aujourd’hui l’audiovisuel public survient de plus alors que les meurtriers de Ján Kuciak courent toujours et que les autorités n’ont pris encore aucune mesure qui puissent redonner confiance à la profession. Le pays qui a les projecteurs braqué sur lui depuis l’assassinat du journaliste, a accusé un recul de cinq places dans le classement de la liberté de la presse de RSF en 2017 et se situe aujourd’hui à la 17e place.

Publié le
Mise à jour le 12.04.2018