Slovaquie : RSF suspend sa participation au dialogue institutionnel sur la liberté de la presse que le gouvernement tente de saboter

Reporters sans frontières (RSF) cesse d’assister aux sessions de la plateforme slovaque pour le soutien de la liberté de la presse, à la suite d’un changement dans sa composition. Une nouvelle nomination inappropriée par le gouvernement au sein de cet organe consultatif marque une tentative de saboter le dialogue entre les journalistes et l'État.

RSF et son partenaire local, le Centre d'investigation Jan Kuciak (ICJK), annoncent la suspension de leur participation aux sessions de la Plateforme de la Slovaquie pour la promotion de la liberté de la presse et la protection des journalistes, dont ils restent membres. Dans une lettre ouverte adressée le 11 septembre à la ministre de la Culture, Martina Simkovicova, la ministre de tutelle de la plateforme, les deux organisations ont exprimé leur “profonde inquiétude” quant à la nomination d'un nouveau membre pour représenter le gouvernement au sein de cet organe consultatif.

Simona Zacharova, plénipotentiaire du gouvernement slovaque pour le développement de la société civile, a décidé de remplacer en tant que son représentant Zuzana Petkova, ancienne journaliste et directrice de la fondation Stop Corruption, par Dominik Papala, un animateur radio qui travaille pour un média critiqué pour des manquements à la déontologie journalistique et condamné à plusieurs reprises à une amende par l'autorité de régulation pour l’infraction à la loi. Simona Zacharova a refusé la demande de cinq membres de la plateforme de reconsidérer sa nomination. En raison du changement de composition, la plateforme ne s’est d’ailleurs pas réunie depuis juin 2024. 

“Quel que soit le gouvernement d'un État démocratique, nous croyons en la nécessité d’un dialogue avec ses institutions. Cependant, toute tentative de violation des règles de cet échange ne saurait rester sans conséquences. La nomination inappropriée de Dominik Papala au sein de la Plateforme de la Slovaquie pour la promotion de la liberté de la presse et la protection des journalistes est en effet une tentative de sabotage du dialogue. Jusqu'à nouvel ordre, RSF suspend donc sa participation aux sessions de la plateforme et informera de sa décision la Commission européenne et le Conseil de l'Europe.

Pavol Szalai
Responsable du bureau Union européenne - Balkans de RSF

Dans sa lettre adressée à la ministre de la Culture, RSF et l'ICJK insistent sur le fait que la nomination de Dominik Papala ne répond pas aux critères d'expertise et de professionnalisme imposés aux membres de la plateforme. Le respect de la déontologie journalistique est “indissociable du soutien à la liberté de la presse”. Enfin, les deux organisations expriment des doutes quant à la capacité de Dominik Papala à représenter la société civile, un autre critère de nomination. 

La plateforme – créée par l'ancienne ministre de la Culture, Silvia Hroncova, le 16 octobre 2023 en tant qu'organe consultatif chargé de veiller au respect par la Slovaquie de ses engagements nationaux et internationaux en matière de liberté de la presse – est composée de représentants du gouvernement, d'institutions indépendantes et de journalistes. L’ancien gouvernement l’a notifiée en tant que “comité de contact national” auprès du Conseil de l’Europe dans le cadre de sa campagne pour la sécurité des journalistes. Le gouvernement de Robert Fico – au pouvoir depuis fin octobre 2023 –- a informé de l’existence de la plateforme la Commission européenne qui l’a ensuite saluée dans son rapport sur l’État de droit pour 2024.

Lors de ses sessions, la plateforme a discuté de la réforme de la radiodiffusion publique qui a finalement conduit à sa prise de contrôle politique par le gouvernement, des pressions politiques exercées par le gouvernement Fico sur les médias privés, des questions liées à la sécurité des journalistes et de la chute de la Slovaquie de la 17e à la 29e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2024.

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La lettre de RSF et de l’ICJK, membres de la plateforme, à la ministre de la Culture de Slovaquie envoyée le 11 septembre :

Madame la ministre de la Culture de la République slovaque, Martina Šimkovičová,

La Plateforme pour la promotion de la liberté de la presse et la protection des journalistes, créée le 16 octobre 2023 par votre prédécesseure, Silvia Hroncová, a fonctionné sous votre direction au ministère de la Culture de la République slovaque. Depuis le 17 octobre 2023, la plateforme est le comité de contact national dans le cadre de la Campagne pour la sécurité des journalistes du Conseil de l'Europe.

En tant qu'organe permanent de coordination des experts pour la mise en œuvre des engagements découlant d'initiatives internationales et nationales, le statut de la plateforme exige qu'elle prenne en compte les engagements internationaux de la République slovaque dans le domaine de la liberté de la presse et de la protection des journalistes, y compris les recommandations de l'Union européenne et du Conseil de l'Europe. Parmi ses membres figurent des représentants du gouvernement, des institutions indépendantes, des organisations non gouvernementales et des médias.

En tant que membres de la plateforme, nous vous écrivons pour vous faire part de notre profonde inquiétude quant à la décision de la plénipotentiaire du gouvernement pour le soutien de la société civile, Mme. Simona Zacharová, de remplacer sa représentante, Mme. Zuzana Petková, par M. Dominik Papala.

Outre le fait que Mme. Petková, qui est directrice de la Fondation Stop Corruption, remplit tous les critères professionnels et formels pour ce poste, elle était un atout pour la plateforme en raison de ses connaissances et de son expérience professionnelle en matière de journalisme.

Nous estimons que la nomination de M. Papala en tant que membre ne répond pas aux critères professionnels et d'expertise. Elle est également inappropriée compte tenu de la coopération de M. Papala avec un radiodiffuseur au sujet duquel il existe des doutes raisonnables quant au respect de l'éthique journalistique et de la loi. Leur respect est indissociable du soutien à la liberté de la presse, qui est la mission principale de la plateforme. Nous nous demandons également si M. Papala répond aux critères de nomination, puisqu'il est censé représenter la société civile au sein de la plateforme.

La plateforme occupe une place importante dans le contexte des relations de la Slovaquie avec l'Union européenne et au Conseil de l'Europe, dont elle est membre. En plus de mettre en péril l'efficacité de la plate-forme, nous craignons qu'une telle intervention ne compromette sa reconnaissance internationale et, par conséquent, les engagements internationaux de la Slovaquie.

En juillet 2024, cinq membres de la Plateforme ont demandé à la Plénipotentiaire de reconsidérer la nomination de M. Papala pour les raisons exposées ci-dessus. Cependant, elle a refusé leur demande. Par ailleurs, la Plateforme n'a pas pu se réunir depuis juin 2024, malgré plusieurs dates annoncées, précisément en raison du changement de sa composition.

Nos inquiétudes concernant la nomination de M. Papala, ainsi que l'incapacité de la Plateforme à remplir sa mission, étant toujours d'actualité, nous ne participerons plus à aucune réunion de la Plateforme, tout en restant membres de celle-ci.

Nous vous prions d'agréer, Madame la ministre, l'expression de nos salutations distinguées,

Karolína Farská, Centre d'investigation Ján Kuciak (ICJK), Vice-présidente de la Plateforme
Pavol Szalai, Reporters sans frontières (RSF), membre de la Plateforme

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