Election présidentielle : les candidats répondent à Reporters sans frontières sur la situation de la liberté de la presse en France
François Bayrou, José Bové, Marie-George Buffet, Ségolène Royal, Nicolas Sarkozy, Gérard Schivardi et Dominique Voynet ont répondu à la lettre que Reporters sans frontières avait adressée, le 16 mars dernier, à tous les candidats à l'élection présidentielle française. L'organisation lance également une campagne sur la situation de la liberté de la presse en France.
Si vous êtes élu(e) président(e) de la République, vous engagez-vous à inscrire le droit à la protection des sources dans la loi du 29 juillet 1881 et à l'appliquer à toutes les personnes qui mènent un travail d'information ? Vous engagez-vous à étendre aux domiciles des journalistes les dispositions relatives aux perquisitions dans les entreprises de presse ? Tous les candidats se sont prononcés en faveur d'un renforcement de la protection du secret des sources (déjà garantie par l'article 109 du code de procédure pénale) et de l'inscription de ce droit dans la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881. Ils sont également d'accord pour étendre au domicile des journalistes indépendants les dispositions relatives aux perquisitions dans les entreprises de presse ("présence d'un magistrat qui veille à ce que les investigations conduites ne portent pas atteinte au libre exercice de la profession de journaliste", article 56-2 du code de procédure pénale). Recel de violation du secret de l'instruction
Vous engagez-vous à vous prononcer publiquement contre l'utilisation de la notion de "recel de violation du secret de l'instruction" pour engager des poursuites contre des journalistes ? François Bayrou a rappelé que l'article 11 du code de procédure pénale concerne uniquement "les personnes qui concourrent à la procédure" et pas les journalistes. Nicolas Sarkozy a indiqué que "l'équilibre entre ces deux principes fondamentaux (la liberté de l'information et la présomption d'innocence) n'est pas satisfaisant" et proposé de "renforcer ou compléter les diverses chartes déontologiques existantes". Pour Ségolène Royal, "l'usage fait aujourd'hui par les parquets de la notion de 'recel de violation du secret de l'instruction' (...) a été condamné par la Cour européenne des droits de l'homme". La candidate socialiste s'engage à "modifier les textes existants sur ce point de manière que l'usage abusif de cette notion contre la presse ne puisse plus être possible". Marie-George Buffet évoque le fait que le journalisme d'investigation doit être "préservé". Pour José Bové, "le secret de l'instruction doit être supprimé" et le "secret d'Etat est un mauvais secret, c'est souvent le camouflage de la corruption". Droit à l'image
Vous engagez-vous à revoir l'article 226-1 du code pénal en prévoyant une peine mieux proportionnée au préjudice subi par la victime et à chercher le moyen de mettre fin à l'avalanche de plaintes au civil pour des atteintes au droit à l'image ? Le candidat de l'UMP a reconnu que le "régime actuel n'est pas pleinement satisfaisant" et qu'il fallait prévoir que "l'action en justice pour revendiquer le droit à l'image soit subordonnée à la preuve d'un agissement fautif et d'un réel préjudice". François Bayrou propose de revenir à des dispositions du droit civil qui garantissent "la dignité des personnes sans entraîner cette pénalisation excessive qui frappe malheureusement bien des domaines, et qui est un autre signe de la méfiance du pouvoir envers les journalistes". Ségolène Royal estime qu'avant de "revoir l'article 226-1 du code pénal", il faut qu'une "large concertation ait lieu avec les professionnels de la presse afin de trouver un nouvel équilibre, garanti par la loi, entre indispensable protection de la vie privée et du droit à l'image et conditions normales d'exercice du métier de journaliste". José Bové fait le lien entre "l'utilisation massive de l'article 226-1 du code pénal qui va aboutir à empêcher toute prise de vue de violences au cours d'une manifestation" et "ce nouveau texte sur le 'happy slapping' qui n'a aucun intérêt". Marie-George Buffet souhaite "abroger la loi Guigou". Concentration des médias et pluralisme de l'information
Quelle est votre position sur la concentration des médias et quelles propositions faites-vous pour garantir à la fois l'indépendance des rédactions et le pluralisme de l'information en France ? Etes-vous favorable à l'adoption de dispositions interdisant à des groupes vivant massivement des commandes de l'Etat de posséder une majorité - voire une minorité de blocage - dans les médias d'informations générales ? François Bayrou propose que "les entreprises dont l'activité dépend des commandes de l'Etat pour plus de 20 % de leur chiffre d'affaires, ne puissent détenir directement ou indirectement plus de 3 % du capital ou des droits de vote d'un média". Ségolène Royal a pour objectif "de faire émerger un nouveau dispositif de contrôle en mesure d'assurer la diversité des contenus et un pluralisme réel qui pourrait s'appuyer sur la définition d'un seuil d'audience à déterminer, à ne pas dépasser pour un groupe audiovisuel". Selon Nicolas Sarkozy, "la situation actuelle est satisfaisante dans ses grands lignes, même si elle n'exclut pas des adaptations". Le candidat de l'UMP s'est dit prêt à reprendre certaines pistes ouvertes par le rapport rédigé sur ce sujet, en 2005, par Alain Lancelot, ancien membre du Conseil constitutionnel. Marie-George Buffet demande le vote d'une loi anticoncentration et l'interdiction pour "des groupes répondant à des commandes de l'Etat de posséder des médias". La candidate communiste prône un retour "à l'esprit du programme du Conseil national de la Résistance qui prévoyait de mettre les organes d'informations en dehors des puissances de l'argent". Dominique Voynet est également favorable à "une législation rendant incompatible le contrôle des groupes et des réseaux média par des holdings industrialo-financiers qui reçoivent des commandes publiques". José Bové affirme qu'un "sentiment se fait jour dans ce pays, c'est la trop grande proximité de certains journalistes avec les partis au pouvoir. Parfois l'on a vraiment du mal à ne pas confondre le journal du 20 heures avec celui d'un organe de propagande".
Dominique Voynet et Ségolène Royal se sont prononcées, par ailleurs, pour une modification du mode de nomination des membres du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), afin de renforcer son indépendance vis-à-vis du pouvoir politique. François Bayrou propose, de son côté, "d'étendre les prérogatives du CSA au pluralisme de la presse écrite".
Enfin, la candidate des Verts "demande la suppression de la publicité sur les chaînes publiques (...) accompagnée d'une taxe qui compensera le supplément de marché publicitaire dont les télévisions commerciales bénéficieront du fait de cette interdiction". Nouveaux délits de presse et "lois mémorielles"
Vous engagez-vous à mettre un terme à la création de nouveaux délits de presse et à ne pas multiplier les lois mémorielles qui peuvent, à la longue, avoir des conséquences néfastes pour la liberté d'expression ? Pour Mme Royal, "la liberté de la presse doit être préservée, mais les propos négationnistes sur les génocides ne doivent pas être tolérés". Nicolas Sarkozy "approuve les lois qui existent aujourd'hui et qui sont des fondements solides (...) contre toute haine de l'autre". Il pense également "qu'il n'appartient pas aux responsables politiques de se substituer aux historiens". François Bayrou veut "une République où les contre-pouvoirs soient indépendants". Selon lui, "ajouter à la création de nouveaux délits de presse la multiplication des lois mémorielles, c'est atteindre à la liberté d'expression". Marie-George Buffet ne peut "que souscrire à la répression du racisme, de l'antisémitisme, des attaques contre l'orientation sexuelle ou le handicap", mais préfère, "pour toutes les autres questions, revenir à l'autorégulation des rédactions". José Bové estime qu'il "faut engager un vaste mouvement de dépénalisation dans la société". Gérard Schivardi souhaite "mettre un terme non seulement à la création de nouveaux délits de presse, mais à la remise en cause des dispositions qu'on a vu fleurir en particulier depuis la loi Gayssot de 1990". Un label pour les médias en ligne
Vous engagez-vous à rouvrir un processus consultatif sur l'épineuse question des labels sur Internet ? Vous engagez-vous à refuser la création d'une commission de déontologie pour les contenus en ligne si ses attributions, son fonctionnement et le mode de désignation de ses membres ne sont pas plus clairement définis ? Selon Ségolène Royal, le projet de décret sur la création d'une commission de déontologie des services de communication en ligne "donne des compétences trop larges, et surtout mal définies à cette commission". La candidate socialiste et François Bayrou s'accordent à dire que le périmètre des compétences de cette commission est trop large et que ses attributions doivent être précisées. Tous les deux appellent à un débat public sur cette question qui touche à la fois à la liberté d'expression et à la responsabilité des acteurs de l'Internet. Nicolas Sarkozy se prononce pour une concertation "la plus large possible". La candidate des Verts, de son côté, est contre la création d'une telle commission, car "l'objectif qu'on lui assigne n'est pas la protection de l'enfance, mais un contrôle des contenus des sites digne du régime chinois". José Bové souhaite également la réouverture du "processus consultatif sur la question des labels sur Internet" et stopper "toute création de commission de déontologie pour les contenus en ligne". "La déontologie d'Etat, c'est l'ORTF", a ajouté le candidat. Enfin, Marie-George Buffet "partage l'avis des syndicats pour refuser toute commission de déontologie" et rappelle que "la charte des journalistes est suffisante si elle est respectée". La diffusion d'images de violences par les blogeurs et la lutte contre le phénomène du "happy slapping"
Vous engagez-vous à revoir les dispositions contenues dans la loi du 13 février 2007 sur la prévention de la délinquance afin d'éviter des recours abusifs à la loi qui pourraient porter préjudice à la libre circulation d'informations sur Internet ? Ségolène Royal décrit "un bon exemple de législation bâclée, rédigée dans l'improvisation et pour afficher une posture de fermeté". "Soucieuse d'empêcher la propagation du 'happy slapping' ", la candidate socialiste insiste sur le fait que cette disposition devra être revue si, "comme le pensent de nombreux juristes, elle interdit aux non-journalistes de diffuser des vidéos ou des photos montrant des violences sur personne, même si ces actes sont commis par les forces de police". Selon Nicolas Sarkozy, "l'esprit de la loi n'a pas pour objet de porter atteinte à la liberté de l'information". "Toutefois, ajoute le candidat de l'UMP, si le moindre doute subsistait à cet égard, je serais favorable à une clarification de la loi". La candidate communiste estime qu'il faut "revoir cette loi". "Il faut sanctionner le 'happy slapping', mais il est hors de question d'étendre cette interdiction pour d'autres images, même tournées par des non-professionnels. Et dans la mesure où leur véracité a été vérifiée, d'interdire leur diffusion", ajoute-t-elle. La responsabilité des entreprises qui travaillent dans le domaine d'Internet
Vous engagez-vous à demander aux entreprises françaises d'adopter un "code de conduite volontaire", comme celui proposé par le Parlement européen, et à prendre publiquement position en faveur d'un engagement éthique des entreprises du secteur des nouvelles technologies qui travaillent dans des pays ne respectant pas la liberté d'expression ? Nicolas Sarkozy pense que "rien, et surtout pas le profit, ne justifie que l'on ferme les yeux sur les atteintes aux libertés fondamentales qui restent commises si fréquemment dans le monde". Ségolène Royal souscrit aux "principes énoncés dans la résolution sur la liberté d'expression sur Internet adoptée, en juillet 2006, par le Parlement européen". Elle ajoute que "l'adoption de 'code de conduite volontaire' pour 'mettre des limites à l'activité des entreprises dans les pays répressifs' est un première étape". François Bayrou a rappelé que ses "amis au Parlement européen ont voté cette résolution" qu'il fera "appliquer". Dominique Voynet s'engage également à "demander aux entreprises françaises d'adopter un code de conduite volontaire", et se dit "favorable à un engagement éthique des entreprises du secteur des nouvelles technologies qui travaillent dans des pays ne respectant pas la liberté d'expression". Elle se dit "convaincue, comme bien d'autres défenseurs des droits de l'être humain, que la force de ces régimes répressifs réside dans la faiblesse, à leur égard, des régimes occidentaux et de leurs entreprises". Téléchargez les réponses intégrales des candidats
Téléchargez la lettre adressée aux candidats par Reporters sans frontières
Téléchargez le visuel de la campagne "Franchement elle l'a cherché"
La France 35e au classement mondial pour la liberté de la presse 2006 : téléchargez les explications