Claude Guéant et Bernard Squarcini poussent une longue plainte

Blessés dans leur honneur, Claude Guéant, secrétaire général de l’Elysée, et Bernard Squarcini , chef de la Direction centrale du renseignement (DCRI) ont décidé de porter plainte pour “diffamation”, le premier contre Mediapart le 12 novembre 2010, le second deux jours plus tôt contre le Canard Enchaîné. Reporters sans frontières hésite entre l’amusement et la consternation. “Nous voudrions rappeler à ces deux grands serviteurs de l’Etat, qu’avant d’avoir recours à la manière forte, c’est-à-dire à la justice, ils disposent de toute la liberté pour s’expliquer, argumenter et démentir les articles avec lesquels ils ne seraient pas d’accord”, a déclaré Jean-Francois Julliard, secrétaire général de Reporters sans frontières. “La liberté de la presse et d’expression existe pour les journaux et pour l’ensemble des citoyens. Nous les invitons à s’en servir plutôt que de montrer les dents. L’effort d’intimidation est patent ; il est même avoué puisque que l’avocat de Bernard Squarcini a mis en garde tout journaliste qui reprendrait les informations de l’article du Canard Enchaîné incriminé.” Le plus incroyable dans cette situation, c’est que c’est maintenant aux journalistes de se justifier : le principe du procès en diffamation renverse en effet la charge de la preuve en obligeant les défendeurs à prouver leur bonne foi, en l’occurrence, Mediapart et le Canard Enchaîné. Les deux médias devront établir que, dans le cadre d’un motif légitime d’information, ils ont mené une enquête sérieuse, ont tenu des propos prudents et dénués d’animosité personnelle, soit les principes constitutifs de la bonne foi. Dans un contexte aussi sensible, celui d’une affaire qui touche le sommet de l’Etat, mêlant conflits d’intérêts et actes d’espionnage, on ne peut que rester circonspect sur les moyens des médias à convaincre les juges sur ces principes, surtout si ces derniers ne prenaient pas en compte la spécificité de l’affaire et ne gardaient à l’esprit que les thèmes traités par les journalistes relèvent d’un intérêt général particulièrement fort. - Reporters sans frontières demande que Bernard Squarcini soit entendu à l’Assemblée nationale. - Particulièrement inquiète par leur apparente complaisance dans ce dossier, elle invite les opérateurs téléphoniques à s’expliquer. - Elle invite enfin les autorités à suivre les recommandations de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) - confirmées indirectement par la récente note du cabinet du Premier ministre - autorité administrative indépendante (AAI) mise en place par la loi du 10 juillet 1991 relative aux écoutes téléphoniques adoptée, est-il nécessaire de le rappeler, suite à la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme dans une affaire d’écoutes téléphoniques déclarées contraires au droit à la vie privée (article 8 de la Convention- 24 avril 1990, Huvig et Kruslin contre France) Bernard Squarcini, reproche au Canard Enchaîné un article dans lequel il révèle que le patron du renseignement français pilote des opérations illégales de surveillance des journalistes. La plainte vise le directeur de publication, Michel Gaillard, et le rédacteur en chef et auteur de l'article Claude Angeli. L'avocat de Bernard Squarcini a prévenu qu’il n'hésiterait pas à poursuivre tout journaliste réitérant ces accusations. Claude Guéant cite quant à lui Mediapart en justice qui l’accusait récemment d’avoir organisé l’espionnage de ses journalistes. Petit rappel des faits Début septembre : Le Monde a soupçonné l’Elysée d’avoir “utilisé le contre-espionnage” afin d’identifier une des sources du journaliste Gérard Davet qui travaillait sur l’affaire Woerth-Bettencourt. Septembre : Le Monde dépose plainte contre X pour violation du secret des sources. Septembre : la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) indique que la façon dont la police s'est procuré les fadettes de David Sénat, conseiller du garde des sceaux soupçonné d'être une des sources de Gérard Davet, est illégale. Octobre : des ordinateurs des journalistes et des médias sont volés, celui de Gérard Davet, de son collègue du Point, Hervé Gattegno, et deux ordinateurs portables du journal en ligne Mediapart. Novembre : on apprend que deux de ses journalistes, enquêtant sur les affaires Karachi et Bettencourt, ont été pistés et "géolocalisés" par les services français lors de leurs déplacements pour rencontrer leurs informateurs. Novembre : France Info informe récemment que le cabinet du Premier ministre a envoyé, en octobre, une note au ministère de l'Intérieur lui rappelant que la loi interdit aux services de renseignement de se procurer directement les factures détaillées auprès des opérateurs téléphoniques. La France occupe le 44e rang dans le classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières en 2010. Un classement indigne du pays des droits de l’homme.
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Updated on 20.01.2016