Ferghana, l’agence d’information de référence censurée au Kirghizistan

Un tribunal de Bichkek a ordonné le blocage du site de l’agence Ferghana, source d’information de référence sur l’actualité en Asie centrale. Reporters sans frontières (RSF) dénonce un acte de censure injustifiable et indigne de la démocratie kirghize.

Ce sont les lecteurs kirghizes qui n’arrivaient plus à accéder au portail de l’agence d’information spécialisée dans l’actualité en Asie centrale qui ont informé le rédacteur en chef, Daniil Kislov de Ferghana. Sans en avertir la rédaction basée à Moscou, un tribunal de la capitale Bichkek a ordonné le blocage du site, le 8 juin dernier. Les fournisseurs d’accès à Internet “Mega-Line” et “Kirghizetelecom” ont déjà appliqué la mesure. Le rédacteur en chef de Ferghana a fait savoir qu’il contesterait la décision, qui ne lui a été ni expliquée ni communiquée. C’est la deuxième fois que l’agence d’information indépendante est victime de censure au Kirghizistan : le site avait été rendu inaccessible en 2012, avant d’être débloqué un an plus tard.


« Le blocage de Ferghana est un acte de censure indigne de la démocratie kirghize, dénonce le responsable du bureau Europe de l’est et Asie centrale de RSF, Johann Bihr. Cette nouvelle atteinte à la liberté de la presse intervient dans un contexte déjà rendu inquiétant par la multiplication des poursuites à l’encontre des médias d’opposition. Nous appelons instamment les autorités kirghizes à cesser de harceler les médias critiques. Bichkek doit chérir et défendre les acquis démocratiques de la révolution de 2010, plutôt que d’emprunter aux pratiques répressives généralisées chez ses voisins. »


Le Kirghizistan demeurait jusqu’à maintenant le seul pays d’Asie centrale où Ferghana était encore accessible. Le site est bloqué depuis longtemps au Turkménistan et en Ouzbékistan, et depuis quelques années au Kazakhstan et au Tadjikistan. RSF invite les lecteurs de Ferghana à consulter le site miroir que l’organisation a mis en place dans le cadre de son opération “Collateral Freedom” : https://fg1.global.ssl.fastly.net/.


« En 17 ans d’existence, la rédaction de notre site s’est habituée aux blocages constants, aux attaques informatiques, aux poursuites pénales et aux discours menaçants de la part des autorités de nombreux pays [...], déclare Daniil Kislov à RSF. Nous essayons simplement d’être des journalistes professionnels dont la tâche est de montrer les points les plus sensibles et dérangeants de la vie sociopolitique [...], de parler des problèmes de la société et des petites gens, de critiquer le gouvernement pour ses crimes. »


Le 9 juin, le Comité de sécurité nationale (GKNB) a également ouvert une enquête pénale à l’encontre du correspondant de Ferghana au Kirghizistan, Ulugbek Babakulov, pour “incitation à la haine inter-ethnique”. Cela fait suite à la publication d’un article, le 23 mai, dans lequel le journaliste dénonçait les messages de haine à l’encontre de la minorité ouzbèke, circulant sur les réseaux sociaux. Certains de ces messages font eux aussi l’objet d’une enquête pénale. Les relations interethniques sont largement taboues au Kirghizistan depuis les massacres perpétrés en 2010 à Och, dans le sud du pays.


Le Kirghizistan occupe la 89e place sur 180 au Classement mondial de la liberté de la presse 2017 établi par RSF. Si le pluralisme des médias kirghizes fait figure d’exception dans la région, les inquiétudes se multiplient à l’approche de l’élection présidentielle d’octobre prochain. Le président Almazbek Atambaïev multiplie les poursuites contre les principaux sites d’information critiques, accusés d’“insulte à (sa) dignité et à (son) honneur”. En mars dernier, il a accusé sur le site officiel de la présidence “un petit groupe de journalistes indépendants, de médias et d’hommes politiques” de chercher à déstabiliser la situation du pays, avant de traiter certains journalistes “d’idiots immoraux” lors d’une réunion avec des ambassadeurs étrangers.

Publié le
Updated on 13.06.2017