Kirghizistan : RSF dénonce la condamnation infondée de quatre journalistes indépendants

Le 10 octobre, la justice kirghize a condamné Makhabat Tazhibek kyzy, Azamat Ishenbekov, Aktilek Kaparov et Ayke Beishekeeva, liés aux chaînes YouTube Temirov live et Ait Ait Dese, pour “appels aux émeutes”. Reporters sans frontières (RSF) dénonce une décision dénuée de preuves qui vise à museler le journalisme indépendant et appelle à leur libération immédiate.

Sombre journée pour la liberté de la presse au Kirghizistan. Le 10 octobre, un tribunal de la capitale Bichkek a prononcé des peines allant de trois ans de mise à l’épreuve à six ans de prison pour quatre des 11 journalistes d’investigation liés aux chaînes YouTube indépendantes Temirov live et Ait Ait Dese poursuivis pour “appels aux émeutes”. Une décision arbitraire, sans preuves tangibles, prise à l’issue d’un procès qui a débuté le 29 mai.

“C'est un tournant critique pour la presse indépendante au Kirghizistan. La condamnation de quatre journalistes anticorruption indépendants liés à Temirov LIVE et Ait Ait Dese, lors d’un procès inique, marque une dérive flagrante du pouvoir kirghiz vers l'autoritarisme. Ils paient le prix fort pour leurs enquêtes sur la corruption de l’élite dirigeante, et en particulier au sein du cercle présidentiel. RSF appelle à leur libération immédiate et à leur acquittement faute de preuves, comme pour les sept autres journalistes poursuivis dans la même affaire.

Jeanne Cavelier
Responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de RSF

Dix mois de persécution arbitraire

L’avocat de Makhabat Tajibek kyzy et d’Azamat Ishenbekov, respectivement condamnés à six et cinq ans de prison, a déjà annoncé son intention de faire appel de la décision. Aktilek Kaparov et Ayke Beishekeeva ont écopé de trois ans de prison avec sursis avec mise à l’épreuve. Les sept autres, acquittés, se trouvaient, eux, assignés à résidence depuis mars ou avril. Leur persécution judiciaire aura duré près de dix mois. 

Tous arrêtés le 16 janvier 2024, les 11 journalistes étaient poursuivis dans le cadre d’une procédure pénale ouverte pour “appels aux émeutes”. Celle-ci s’appuyait sur une expertise linguistique de publications sur des réseaux sociaux des médias d’investigation Temirov LIVE et Ait Ait Dese datée du 12 janvier. L’experte kirghize spécialiste en linguistique et en littérature interrogée lors du procès à la demande de la défense n’a pourtant relevé aucun élément permettant de confirmer cette accusation. 

La détention préventive des 11 journalistes, renouvelée pour tous au moins une fois sans justification, s’est déroulée dans des conditions indignes. Makhabat Tazhibek kyzy, la rédactrice en chef d'Ait Ait Dese et épouse du fondateur de Temirov Live Bolot Temirov, a été frappée dans sa cellule par des gardiens de prison en avril. Son confrère Aktilek Kaparov, arrêté alors qu’il ne travaillait plus depuis plusieurs mois pour Temirov Live, s'est tranché les veines en prison le 30 mai car il ne supportait plus ses conditions de détention.

Détérioration de la liberté de la presse

La persécution des autorités contre les journalistes indépendants se poursuit hors des frontières du pays. La police kirghize a décidé d’ouvrir une nouvelle affaire pénale contre Bolot Temirov et Ulan Nurmanbetov, tous deux en exil, pour avoir soutenu les “appels aux émeutes”. Les deux journalistes réfutent ces accusations. 

La situation en matière de liberté de la presse au Kirghizistan se détériore. Le 7 octobre, des amendements à la loi sur la diffamation proposés par la présidence ont été approuvés en première lecture, pour instaurer une amende de 100 à 200 000 soms (1 080 à 2 150 euros environ) en cas “d’insulte” ou de “fausse information”, une somme extrêmement élevée pour le pays. Les autorités ont aussi annoncé en août 2024 la création d’un Centre de recherche sur l'environnement de l'information. Placé sous la tutelle du ministère de la Culture, de l'Information, des Sports et de la Politique de la jeunesse, celui-ci aura pour mission de surveiller les publications des médias en ligne, sous prétexte de lutter contre ce qu’il considère comme de “fausses” informations. En avril dernier, le président Sadyr Japarov a également signé une loi sur les “agents étrangers” visant les ONG et médias indépendants, calquée sur la loi russe.

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