Le 1er mars 2015, plus de quatre millions d’électeurs seront appelés aux urnes pour élire, parmi 288 candidats, les 63 députés qui siégeront au Parlement tadjik. Au-delà des apparences démocratiques de ce scrutin, la situation alarmante de la liberté de l’information souligne la dérive liberticide du régime d’Emomali Rakhmon, au pouvoir depuis 1992. Le pays occupe la 116ème place sur 180 dans le
Classement mondial 2015 de la liberté de la presse, établi par Reporters sans frontières.
“Il ne saurait y avoir de démocratie sans pluralisme médiatique et sans libre accès à l’information, rappelle Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale.
Or, force est de constater que l’état de la liberté de l’information ne cesse de s’aggraver au Tadjikistan, jusqu’à atteindre un point très préoccupant à la veille de ces élections. Nous exhortons les autorités à garantir aux citoyens tadjiks le droit d’informer et d’être informés. Nous encourageons la communauté internationale à rappeler Douchanbé à ses engagements et à lui demander des comptes sur les violations à grande échelle de ce principe fondamental de la démocratie.”
Une campagne électorale marquée par les manœuvres d’intimidation
Plusieurs journalistes indépendants ont confié à RSF avoir reçu des menaces de la part des services de renseignement, dans les semaines précédant le scrutin. Par e-mail ou par SMS, ils se sont vu enjoindre d’”arrêter d'écrire des articles critiques”, sous peine de voir leur "intimité" exposée au grand jour. Un chantage à la sextape digne du KGB, qui suggère l’existence d’un vaste dispositif de surveillance dans le pays.
D’autres journalistes indépendants ont fait l’objet de campagnes de discrédit dans les médias publics ou sur les réseaux sociaux, utilisant souvent, là aussi, des éléments de leur vie privée. Dans
l’un des derniers exemples en date, un “reportage” de la chaîne de télévision publique
TVT accusait les médias indépendants de soutenir le maire de Douchanbé en échange d’avantages en nature, comme des appartements ou des terrains.
Dans un
communiqué commun publié le 16 février, l’association nationale des médias indépendants (NANSMIT), l’Union des journalistes et le Conseil des médias ont appelé à mettre un terme aux “attaques, manœuvres d’intimidation et d’obstruction contre l’activité professionnelle des journalistes”, dénonçant également l’instrumentalisation des médias à des fins politiques et les violations répétées de la vie privée des journalistes indépendants.
Le pluralisme médiatique mis à mal
Étant donné le manque de pluralisme du paysage médiatique, la campagne électorale ne pouvait qu’être terne et la compétition politique, inégale. Les autorités contrôlent la quasi-totalité du secteur audiovisuel. Trois spots de campagne du parti d’opposition Renaissance islamique ont été
interdits d’antenne, au motif qu’ils n’avaient pas été tournés dans les rares studios officiellement habilités. Le procès en appel de l’opposant Zaïd Saïdov se poursuit
à huis clos, loin des caméras. Le puissant homme d’affaires et ancien ministre de l’Industrie, arrêté peu après avoir fondé un parti d’opposition en 2013, avait été
condamné en première instance à 26 ans d’emprisonnement.
Le média
Asia Plus, qui se décline sous la forme d’un hebdomadaire, d’une agence de presse, d’une
radio, d’un studio de télévision et d’un
site internet de référence, est l’une des rares sources d’information indépendantes au Tadjikistan. Depuis quelques années, son site est régulièrement bloqué dans le pays. Au printemps 2014, l’hebdomadaire et sa rédactrice en chef,
Olga Toutoubalina, ont été
reconnus coupables d’“outrage à l’intelligentsia” à l’issue d’un procès ubuesque et condamnés à verser aux plaignants la somme astronomique de 30 000 somoni (4 500 €). Les procès à l’encontre des journalistes indépendants
se sont multipliés à l’approche des élections législatives.
La liberté de l’information dans le viseur d’autorités paranoïaques
Alors que le blocage temporaire des réseaux sociaux et des sites d’information indépendants est devenu
fréquent depuis 2012, c’est l’accès à
plus de 200 sites qui a été coupé pendant deux semaines en octobre 2014 - y compris Facebook, Vkontakte, YouTube, ainsi que les principaux sites d’information tadjiks, russes et d’Asie centrale. Le blocage est intervenu peu après l’annonce d’une manifestation anti-gouvernementale par le mouvement d’opposition “Groupe-24”, et a pris fin au lendemain de l’événement.
Ce blackout inédit s’est accompagné de restrictions drastiques à l’activité des réseaux de télécommunications : les services de messagerie SMS ont été
suspendus pendant plusieurs jours et Internet a totalement été coupé dans la région de Sughd (Nord). Des pratiques qui tendent à se généraliser en cas de troubles sociaux, politiques, ou même de catastrophe naturelle.
Ces réactions liberticides et disproportionnées sont le fait d’autorités en proie à une angoisse viscérale de la déstabilisation, légitimant leur peur de l’opposition par le spectre de la guerre civile qui a déchiré le pays entre 1992 et 1997. Une paranoïa dont a également fait les frais
Alexandre Sodikov, spécialiste de la prévention des conflits
arrêté en juin 2014. Le seul tort de cet universitaire et net-citoyen était de s’être entretenu, dans le cadre de ses recherches, avec un leader de l’opposition dans la province autonome du Gorno-Badakhchan (Est), où de violents affrontements avaient été
enveloppés d’un lourd secret en 2012. Accusé d’espionnage, il n’a
été relâché, après un mois d’emprisonnement, qu’au terme d’une intense mobilisation internationale.
NANSMIT, organisation partenaire de RSF, a
rendu publiques des recommandations adressées aux journalistes pour assurer le respect des principes d’impartialité et d’objectivité lors de la couverture des élections.
(Photo: AFP Photo / STR)