Tadjikistan : jusqu’à 10 ans de prison pour des journalistes indépendants, le régime de Rakhmon bâillonne toute critique

Gênants pour le pouvoir, à cause de leurs reportages sur des sujets “sensibles”, quatre journalistes indépendants ont été accusés d’avoir noué des liens avec des organisations extrémistes et condamnés à des peines allant de 7 à 10 ans par les autorités tadjikes. Reporters sans frontières (RSF) dénonce cette censure systématique de la presse libre et demande leur libération.

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“Ces peines démesurées, annoncées au compte-gouttes depuis le début du mois d’octobre, sonnent comme un glas pour les journalistes indépendants qui osent encore s’exprimer au Tadjikistan, déclare le bureau Europe de l’Est et Asie centrale de RSF. Les autorités tadjikes doivent cesser d’entretenir un climat de peur qui interdit aux médias de porter tout regard critique sur le régime, et libérer ces journalistes.”



Une ambition commune lie ces quatre journalistes : exercer leur profession librement au Tadjikistan.  Avazmad Gourbatov, plus connu sous son pseudonyme Abdoullo Gourbati et Daler Imomali, respectivement correspondant pour l'agence de presse indépendante Asia-Plus et journaliste d’investigation indépendant, sont détenus en juin par les autorités tadjikes pour avoir enquêté sur la démolition arbitraire d’immeubles résidentiels à Douchanbé, capitale du Tadjikistan, à la demande du gouvernement. En juillet, deux de leurs anciens collaborateurs, les journalistes et blogueurs Zavkibek Saidamini et Abdusattor Pirmukhamadzoda, ont été interpellés après les avoir publiquement soutenus. En prison, le destin de ces confrères demeure lié : accusations de “terrorisme”, procès à huis clos, tortures, confessions forcées... Les affaires de ces quatre journalistes se présentent comme des cas d’école des méthodes répressives employées par le régime d’Emomali Rakhmon afin de faire taire toute voix critique.



En dépit des lourdes accusations à leur encontre, ces journalistes ne cessent de dénoncer les pratiques liberticides du gouvernement et de faire valoir leurs droits. C’est le cas de Daler Imomali qui écope le 17 octobre de 10 ans de prison pour  commerce illégal, diffusion de fausses informations et participation à une organisation extrémiste. Depuis sa cellule, dans une lettre adressée aux médias et au président, il dénonce une enquête et un procès montés de toutes pièces.  Daler Imomali  ”demande à tous, chers représentants des médias et président du pays, de ne pas être indifférents à ma cause et à la cause de mes autres collègues.” Sa lettre, diffusée par l’agence de presse Asia-Plus met aussi en garde contre la pratique de “vidéos de confession” obtenues sous la pression.

Dédain du régime pour les institutions internationales

Radio Ozodi le service Tadjik de Radio Freedom Europe/ Radio Liberty (RFE/RL) rapporte notamment que la confession filmée d’Abdullo Gourbati, condamné le 4 octobre 2022 à 7 ans et 6 mois de prison pour recours à la violence contre un représentant du pouvoir, insulte publique à un représentant du pouvoir et participation à une organisation extrémiste, a été obtenue en lui faisant miroiter sa libération. Son jugement, rendu pendant la visite de la représentante de l’OSCE pour la liberté de la presse Teresa Ribeiro met en exergue le dédain du régime pour les institutions internationales. Un témoignage d’Abdusattor Pirmukhamadzoda sur la pratique de la torture par les autorités démontre qu’elles font aussi fi des conventions pour les droits de l’homme. Dans une lettre publiée par Radio Ozodi, il dit avoir été torturé 8 à 10  jours durant jusqu’à ce qu’il se confesse devant la caméra. Pirmukhamadzoda, tout comme son confrère Zavkibek Saidamini condamné lui le 3 novembre, écope le 26 décembre de 7 ans de prison pour participation à une organisation extrémiste.

Toujours dans cette même missive rendue publique par  Radio Ozodi, le journaliste s’exprime avec pessimisme sur l’avenir de la liberté de la presse dans le pays ​ déclarant qu’il ne croit pas à la justice au Tadjikistan et qu’il est sûr d'avoir été condamné avant même son arrestation dans les couloirs du pouvoir.  Ces mots reflètent le climat de terreur instauré par le président Emomali Rakhmon, qui favorise la persécution des journalistes et leur autocensure. Depuis 2021 et l'instauration de la censure officielle sur les chaînes de télévision et de radio, une vague de répression gouvernementale s’est abattue sur le journalisme indépendant. Celle-ci a aussi touché le blogueur Khoushrouz Djoumayevcondamné en décembre 2022 à 8 ans de prison. “Les autorités tentent d'établir un contrôle total de l'opinion publique du pays, a déjà déclaré Nuriddin Karshiboev, président de l'Association nationale des médias indépendants du Tadjikistan (NANSMIT), partenaire de RSF. (...) à terme, cela aura  un très mauvais effet sur l'image du Tadjikistan”. 

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