Une radio privée dans la ligne de mire des autorités du pays
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Reporters sans frontières s’inquiète de la menace de fermeture qui pèse actuellement sur la Radio Publique Africaine (RPA), la radio la plus écoutée au Burundi, en raison de sa couverture des troubles politiques qui secouent actuellement le pays.
Dans une déclaration publique le 16 mars 2014, le Conseil de Sécurité du Burundi, institution dirigée par le chef de l’Etat, a accusé certains médias, surtout la Radio Publique Africaine, de déstabiliser le pays en “semant la peur au sein de la population”. Il a ainsi demandé au Conseil National de la Communication (CNC), dont le bureau a été renouvelé la semaine dernière, de se saisir de ce cas et de prendre des mesures appropriées à l’encontre de la RPA. Cette dernière risque de lourdes sanctions, allant jusqu’à la fermeture.
“La déclaration du Conseil de Sécurité qui épingle un média simplement pour avoir fait son travail d’informer la population est très inquiétante. Ces accusations de 'déstabilisation de l’ordre public' sont d’autant plus graves dans un contexte de troubles politiques et de répression croissante. Plus que jamais, les autorités du Burundi ont le devoir de garantir la liberté d’expression et la liberté d’information et en cela de protéger le travail des journalistes”, déclare Lucie Morillon, directrice de la recherche et du plaidoyer à Reporters sans frontières.
Le président de l’Union burundaise des journalistes (UBJ) Alexandre Niyungeko a demandé aux nouveaux responsables du Conseil de la communication “de ne pas succomber aux tentations de certains qui, à travers certaines déclarations publiques, voudraient abuser de leur position politique pour verrouiller le paysage médiatique burundais à leur guise”.
“Nous appuyons la position de l’UBJ et encourageons vivement le Conseil national de la Communication à jouer son rôle de régulateur des médias, à prendre toute la mesure de ses actions et à ne pas outrepasser son mandat sous la pression du pouvoir”, ajoute Lucie Morillon.
La Radio Publique Africaine est notamment accusée par le Conseil de Sécurité d’avoir diffusé en direct, le 8 mars 2014, des informations “de nature à semer la désobéissance et l’insurrection au sein de la population burundaise”. Des journalistes de la radio avaient couvert en temps réel les affrontements violents entre des éléments de la police et des militants du parti d’opposition Mouvement pour la solidarité et le développement (MSD), à la permanence nationale du même parti à Bujumbura, capitale burundaise. Des policiers avaient été séquestrés pendant un moment, et des manifestants ont été blessés et arrêtés. Suite à cette confrontation, le MSD a été accusé “d’insurrection”, suspendu le 14 mars 2014 pour quatre mois et son président Alexis Sinduhije, contraint de fuir. Il reste à ce jour introuvable. Le crime d’insurrection pour lequel il est poursuivi est passible de prison à perpétuité.
Le directeur de la RPA, Eric Manirakiza, a immédiatement réagi à ces accusations, déclarant que sa radio n’avait fait que “son travail d’informer” et que le Conseil de Sécurité “devrait plutôt lui adresser un message de félicitation”, selon les propos recueillis par un journaliste de la radio burundaise Isanganiro. Il ajoute que sa radio “a aidé les Burundais et même les étrangers à savoir ce qui se passait réellement et en temps réel, a dissipé les rumeurs” et qu’ “aujourd’hui on ne pouvait plus violer les droits des citoyens à huis clos”.
La communauté internationale n’avait pas tardé à condamner les violents affrontements entre des membres de l'opposition et la police. Le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon a déploré le 13 mars 2013 “les restrictions croissantes à la liberté d'expression et de rassemblement”. La veille, l'Union européenne avait exprimé son inquiétude face à la “montée de la tension politique” au Burundi, le département d'Etat américain déplorant un usage excessif de la force.
La RPA, une des radios les plus populaires du pays, dérange les autorités burundaises car elle n’hésite pas à traiter de sujets sensibles et de dénoncer les actions du parti au pouvoir. Sa couverture de l’actualité lui avait déjà valu des représailles par le passé.
Le 30 août 2013, Clarisse Irakoze, journaliste pour la RPA, ainsi que les journalistes de Radio Télé Renaissance Prime Gahinja et Alexandre Bizoza, avait été battus par des policiers et des militants du parti au pouvoir, dans une province du nord-ouest du pays (Cibitoke), alors qu’elle couvrait une descente d'Alexis Sinduhije, à la tête du parti MSD, qui s'était vu interdit de continuer sa route vers ses militants.
Le Burundi se situe à la 142e place sur 180 pays dans le classement mondial 2014 de la liberté de la presse, établi par Reporters sans frontières. Il perd neuf places par rapport à l’année précédente.
Publié le
Updated on
20.01.2016