Dix libérations phares pour la liberté de la presse en 2024

Si cette année a été marquée par une hausse des détentions des professionnels des médias, comme le pointe le bilan 2024 de Reporters sans frontières (RSF), elle a aussi été marquée par de nombreuses libérations. RSF revient sur dix de ces libérations phares de l’année 2024 à travers le monde, aboutissement d’un combat de longue haleine et de la mobilisation internationale pour le droit d’informer et le droit à l’information de tous.

L’incarcération reste l’un des moyens privilégiés des prédateurs de la liberté de la presse, comme le montre le bilan 2024 de RSF : 550 journalistes sont encore détenus à travers le monde en 2024, ce qui représente une augmentation de 7,2 % par rapport à l’année précédente. Cependant, l’année a également été marquée par des libérations majeures, auxquelles ont contribué les campagnes de l’organisation et la mobilisation internationale. 

“Si les défis restent immenses et la répression du journalisme incessante, la mobilisation fonctionne et nous sommes heureux et fiers de pouvoir compter nombre de libérations encore cette année. La plupart d’entre elles sont le fruit de campagnes menées de longue haleine. C’est pour la liberté de ces journalistes, pour leur liberté d’exercer leur métier, que nous nous battons sans relâche, et que nous continuerons à nous mobiliser en 2025, avec vous, afin que tous aient accès à une information libre et indépendante.

Thibaut Bruttin
Directeur général de RSF

Les deux journalistes iraniennes ont été libérées sous caution en janvier 2024, après 15 mois de prison. Elle avaient été emprisonnées en septembre 2022 pour avoir couvert la mort de Mahsa Amini à la suite d’une garde à vue pour non-respect des strictes obligations vestimentaire du pays : Niloofar Hamedi pour avoir photographié les proches de Mahsa Amini à l’hôpital où celle-ci était soignée, et Elaheh Mohammadi pour avoir couvert les funérailles de la jeune femme. Malgré leur libération et leur acquittement pour l'accusation de “collusion avec le gouvernement des États-Unis, elles sont toujours condamnées pour d'autres chefs d'accusation –“complot et collusion pour commettre un crime contre la sûreté nationale” et “propagande contre la République islamique” – et risquent d'être incarcérées de nouveau. Depuis le début du mouvement de protestation “Femme, vie, liberté” en septembre 2022, plus de 100 journalistes ont été arrêtés, dont 18 sont toujours en prison à ce jour.

 

Stanis Bujakera - 19 mars - République démocratique du Congo

“J’ai quitté la prison grâce à vos efforts.” Stanis Bujakera a remercié RSF et tous ses soutiens au lendemain de sa libération, obtenue après six longs mois de détention, sept demandes de mise en liberté provisoire et une mobilisation internationale. Dans un dossier monté de toutes pièces contre lui, il était notamment accusé d’avoir “fabriqué et diffusé” un “faux document” des services de renseignement incriminant un autre service de sécurité dans l’assassinat d’un opposant politique. 


Aasif Sultan - 10 mai - Inde

Symbole de l’acharnement judiciaire du gouvernement indien envers les journalistes indépendants du Jammu-et-Cachemire, le journaliste du mensuel Kashmir Narrator Aasif Sultan a passé près de six ans en prison. Détenu en vertu de la loi antiterroriste UAPA (Unlawful Activities Prevention Act) et de la loi sur la sécurité publique du Jammu-et-Cachemire, il a été libéré le 28 février 2024 puis de nouveau arrêté deux jours plus tard. Il a finalement été libéré sous caution le 10 mai par un tribunal spécial de Srinagar, capitale d’été du territoire de l’Union.  

 

Julian Assange - 24 juin - Royaume-Uni 

Le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, a été libéré de la prison de Belmarsh à Londres le 24 juin et la procédure américaine contre lui, vieille de 14 ans, a enfin été clôturée. Citoyen australien, il risquait jusqu'à 175 ans de prison pour 18 chefs d'accusation liés à la publication, en 2010, de plus de 250 000 documents militaires et diplomatiques classifiés. En échange de sa liberté, il a plaidé coupable de conspiration pour obtenir et divulguer des documents classifiés relatifs à la défense nationale des États-Unis. “Je ne suis pas libre parce que le système a fonctionné. Je suis libre aujourd’hui, après des années d’incarcération parce que j'ai plaidé coupable de journalisme”, a-t-il déclaré le 1er octobre, lors d'une audience historique au Conseil de l'Europe.

 

Omar Radi, Soulaimane Raissouni et Taoufik Bouachrine - 29 juillet - Maroc 

Le fondateur du quotidien Akhbar Al-Yaoum, Taoufik Bouachrine, le journaliste d’investigation Omar Radi et le directeur de publication d'Akhbar Al-Yaoum Soulaimane Raissouni ont été libérés en vertu d’une grâce royale prononcée le 29 juillet, à l’occasion de la fête du Trône du 30 juillet. Taoufik Bouachrine était en détention depuis 2018. Il avait été condamné en octobre 2019 à 15 ans de prison et son pourvoi en cassation avait été rejeté deux ans plus tard. En mai 2023, ses conditions carcérales s’étaient dégradées après des mesures punitives prises à son égard par l’administration pénitentiaire. Des conditions indignes qu’ont également subies Omar Radi et Soulaimane Raissouni, qui étaient, quant à eux, derrière les barreaux depuis quatre ans, condamnés en 2020, respectivement à six et cinq ans de prison. Leurs pourvois en cassation avaient été rejetés en juillet 2023. 

 

Alsu Kurmasheva et Evan Gershkovich - 1er août - Russie 

Le correspondant américain du Wall Street Journal Evan Gershkovich et la journaliste russo-américaine de Radio Free Europe / Radio Liberty (RFE/RL) Alsu Kurmasheva ont été libérés dans le cadre d’un échange de prisonniers entre la Russie et plusieurs pays occidentaux, dont les États-Unis. Evan Gershkovich, arrêté le 29 mars 2023, avait été condamné à 16 ans de prison pour “espionnage”. Quant à Alsu Kurmasheva, elle avait été arrêtée en octobre 2023 et condamnée à six ans et demi de prison en juillet 2024, pour avoir omis de se déclarer “agent de l’étranger” et diffusion de “fausses informations”.

 

Floriane Irangabiye - 14 août - Burundi

“Notre joie est inexprimable”, s’est réjouie auprès de RSF la sœur de l’animatrice de Radio Igicaniro Floriane Irangabiye, libérée le 14 août 2024 à la suite d’une grâce présidentielle. Injustement condamnée, en janvier 2023, à dix ans de prison pour “atteinte à l’intégrité du territoire national”. Réputée critique des autorités burundaises, l’animatrice qui vivait au Rwanda depuis 2015 avait été arrêtée le 30 août 2022 lors d’une visite au Burundi.

 

Jose Rubén Zamora - 18 octobre - Guatemala

Le fondateur et directeur du journal elPeriódicoJose Rubén Zamora, a été libéré provisoirement et assigné à résidence le 18 octobre 2024. Cette décision a été révoquée à peine un mois plus tard. Jose Rubén Zamora a fait appel de cette décision mais sa demande est toujours en cours d'examen par la Cour suprême du Guatemala. Le journaliste de 68 ans, lauréat du prix RSF de l’indépendance 2023, a déjà passé plus de 800 jours derrière les barreaux et risque désormais de devoir retourner en prison. “J'ai eu plus d'impact en deux ans de prison qu'en 30 ans de journalisme, parce que nous avons enlevé le masque de la démocratie”, a-t-il déclaré depuis sa maison en novembre. 

 

Ihsane El Kadi - 30 octobre - Algérie

Après 22 mois en prison, le directeur de Radio M et de Maghreb Émergent a été libéré à la suite d’une grâce présidentielle. Accusé à tort d’avoir perçu des fonds à des fins malveillantes, cette libération a un goût plus amer lorsque l’on sait qu’Ihsane El Kadi a subi la confiscation de ses actifs et de lourdes amendes, tandis que son média Radio M a dû cesser ses activités le 19 juin 2024. 

 

Hanin Gebran et Tal al-Mallouhi - 8 décembre - Syrie

Le 8 décembre 2024, la prise de Damas par les rebelles du groupe islamiste Hayat Tahrir al-Cham (HTS) a entraîné la fuite de l’ex-dictateur Bachar al-Assad, mettant fin à plus de cinq décennies de règne de son clan sur la Syrie. Dès la chute du régime, les rebelles ont entrepris d'ouvrir les prisons. Hanin Gebran, la journaliste de Syria media monitor détenue depuis juin 2024, et la blogueuse Tal al-Mallouhi, incarcérée depuis 2009 pour son travail avant la révolution, comptent parmi les milliers de prisonniers qui retrouvent alors la liberté. Le 14 février 2011, Tal Al-Mallouhi, à l’époque une lycéenne de 19 ans, avait été condamnée à à cinq ans de prison par la Haute Cour de sûreté de l’État pour “divulgation d’information à un État étranger”, et n’avait pas été libérée à l’issue de cette peine.

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