Reporters sans frontières lance un « appel à une médiation urgente » au secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, alors que plusieurs directeurs de journaux privés ont été incarcérés, poussés à la clandestinité ou inculpés de « trahison » depuis que l'Ethiopie est secouée par des émeutes violemment réprimées par la police.
Reporters sans frontières lance un « appel à une médiation urgente » au secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, alors que plusieurs directeurs de journaux privés ont été incarcérés, poussés à la clandestinité ou inculpés de « trahison » depuis que l'Ethiopie est secouée par des émeutes violemment réprimées par la police.
« Une fois de plus, le gouvernement éthiopien cède à la panique et envoie sa police régler ses différends avec l'opposition, a déclaré Reporters sans frontières. Si Meles Zenawi souhaite contester des informations de presse, des moyens adaptés existent. Et s'ils n'existent pas, il a les moyens de les mettre en place. Au lieu de quoi, il lance une chasse à l'homme, remplit ses prisons de détenus d'opinion et plonge son propre pays dans une crise politique sévère. »
« Les journalistes de la presse privée éthiopienne, pourvu qu'ils ne prônent pas le meurtre ou la haine, ont le droit absolu d'exprimer leurs opinions, sans pour cela devoir faire face à des chefs d'inculpation extravagants, a ajouté l'organisation. Nous appelons la justice éthiopienne à relâcher sans délai les journalistes détenus, à rendre publiques les charges éventuellement retenues contre eux et à leur permettre, le cas échéant, de se défendre dans un climat d'équité et d'indépendance. Une médiation du secrétariat général des Nations unies pourrait permettre de stopper la désagrégation progressive du pays, dont la presse est l'une des victimes. »
Le gouvernement éthiopien a publié une liste de personnes recherchées pour leur rôle dans les violences de rue qui déstabilisent le pays depuis le 1er novembre 2005. Sur cette liste figurent des opposants, des responsables d'associations et des directeurs de publication et rédacteurs en chef d'hebdomadaires privés publiés à Addis Abéba en langue amharique. Les médias publics ont ensuite diffusé des appels à témoins et des photographies de certains d'entre eux. La liste de 58 noms incluant, outre les journalistes, la direction de la Coalition pour l'unité et la démocratie (CUD, principale formation de l'opposition), des militants des droits de l'homme et des responsables d'associations, a été publiée dans l'édition du 6 novembre du bihebdomadaire en amharique Iftin.
Les journalistes nommés sont les suivants : Fassil Yenealem et Wosonseged Gebrekidan, directeur de publication et rédacteur en chef de Addis Zena ; Andualem Ayele, rédacteur en chef de Ethiop ; Eskindir Nega, propriétaire du groupe de presse Serkalem Publishing Enterprise, qui édite les journaux Asqual, Menelik et Satenaw ; Wonakseged Zeleke, rédacteur en chef de Asqual, Zelalem Gebre ; rédacteur en chef de Menelik ; Nardos Meaza, rédacteur en chef de Satenaw ; Zekarias Tesfaye, directeur de publication de Netsanet ; Abiye Gizaw, rédacteur en chef de Netsanet et son adjoint Dereje Abtewold ; Mesfin Tesfaye, rédacteur en chef de Abay, ainsi que Kifle Mulat, président de l'Association éthiopienne des journalistes libres (EFJA).
Le 9 novembre, Fassil Yenealem, Wosonseged Gebrekidan, Zekarias Tesfaye et Dereje Abtewold se sont rendus à la police et ont été immédiatement incarcérés. Le 2 novembre, Dawit Kedebe et Feleke Tibebu, respectivement rédacteur en chef et rédacteur en chef adjoint de l'hebdomadaire Hadar, avaient déjà été arrêtés et incarcérés à la prison centrale d'Addis Abéba. Ils avaient comparu devant un tribunal, le 7 novembre, au sein d'un groupe de militants et de cadres de l'opposition. La cour avait décidé leur maintien en détention, sans les inculper formellement. Les autres journalistes recherchés sont entrés dans la clandestinité.
Le 9 novembre, le Premier ministre éthiopien Meles Zenawi a expliqué que les opposants et les journalistes incarcérés seraient inculpés de « trahison », un crime passible de la peine de mort. « Ils sont accusés d'avoir lancé une insurrection », a-t-il déclaré, ajoutant qu'il ignorait ce que seront les réquisitions du ministère public, mais que la peine de mort était « toujours légale » en Ethiopie. M. Meles a précisé qu'il était personnellement défavorable à l'application de la peine de mort pour ces cas précis et qu'il « préférerait des peines de prison ». S'agissant des journalistes, le Premier ministre a expliqué qu'ils avaient été arrêtés à cause de leur « rôle dans l'insurrection ».
Depuis le 1er novembre, la police éthiopienne a violemment réprimé des manifestations organisées à Addis Abéba et dans plusieurs villes de province par la CUD, protestant contre les résultats des élections législatives du 15 mai 2005 qui ont vu le parti au pouvoir rafler deux tiers des sièges au Parlement. La CUD affirme que le parti de M. Meles, l'Ethiopian People's Revolutionary Democratic Front (EPRDF), a truqué le décompte des voix. Elle a appelé ses partisans à exiger que justice leur soit rendue en manifestant. Depuis le début des manifestations, 48 personnes ont été tuées par la police et 200 autres ont été blessées. Au moins 11 000 personnes ont été interpellées, dont près de 4 000 ont été relâchées récemment, au motif qu'elles n'avaient joué aucun rôle « actif » dans les violences.
Certains organes de presse publiés en langue amharique se sont faits les porte-voix de l'opposition politique, publiant des informations non vérifiées ou ouvertement partisanes, un phénomène déploré avec embarras par plusieurs professionnels interrogés par Reporters sans frontières. Depuis le début des violences, de nombreux journaux privés ne paraissent plus à Addis Abéba. Toutefois, selon des sources locales, les vendeurs de journaux avaient repris leur travail, le 11 novembre, et plusieurs hebdomadaires en ahmarique dont les responsables n'ont pas été arrêtés ont refait leur apparition.