Coûts prohibitifs de l’accès à Internet
Si le président Gourbangouly Berdymoukhamedov a permis aux Turkmènes d’avoir enfin accès au Web depuis 2008, de nombreux obstacles techniques et financiers subsistent. L’accès à Internet est possible, mais son usage généralisé n’est pas le bienvenu.
Hormis les entreprises et ambassades étrangères qui peuvent accéder au World Wide Web, les rares utilisateurs d’Internet ont accès à une version ultra-censurée, un intranet baptisé le “Turkmenet”. Un filtrage très sévère se concentre sur les publications critiques en langue turkmène visant en premier lieu les utilisateurs locaux et dissidents potentiels, notamment en raison de la langue. Les sites de l’opposition, comme XpoHo.tm et Gundogar, ainsi que des sites d’informations régionales sur l’Asie centrale tels que Ferghana.ru ou EurasiaNet.org sont bloqués. YouTube et LiveJournal ont été rendus inaccessibles à la fin de l’année 2009, afin d’empêcher les Turkmènes de bloguer ou d’envoyer des vidéos à l’étranger. Facebook et Twitter restent inaccessibles.
Les sites de la plupart des ONG généralistes sont en revanche consultables. Même cas de figure pour les médias russes et turcs, qui ne contiennent pas d’articles critiques du Turkménistan, en raison des liens commerciaux importants qui les lient au pays.
Compte-tenu du climat de terreur qui pèse sur le pays, les net-citoyens turkmènes ne discutent pas de sujets politiques ou sociaux en ligne. Ils consultent leurs boîtes emails, et échangent avec leurs amis via Skype, ou les services de messagerie instantanée sur portable. Des réseaux sociaux turkmènes ont vu le jour il y a près de deux ans. Le forum Teswirlar.com et la plate-forme de blogs Talyplar.com sont très populaires auprès des internautes du pays et de la diaspora. Ils comptent plusieurs centaines d'utilisateurs par jour.
Une amélioration notable : les Turkmènes sont désormais autorisés à se procurer des ordinateurs personnels, même si leur prix d’achat les réserve de facto à l’élite. La mise en place de connexions wifi permet plus de flexibilité aux utilisateurs et leur évite de devoir communiquer des informations personnelles, comme c'est le cas lors de la souscription d'un abonnement ou dans un cybercafé. Chaque cybercafé demande en effet à ses clients de présenter une pièce d'identité. Les autorités maintiennent ces établissements sous étroite surveillance. En revanche, l'internaute n'a plus besoin de déclarer au gérant quels sites il souhaite consulter, comme c’était le cas auparavant.
La majorité des Turkmènes se connecte depuis des cybercafés, le régime imposant des tarifs prohibitifs pour l’accès à Internet. Un abonnement mensuel à Internet illimité à une vitesse de 64 KB/sec coûte 213,16 dollars. Pour l’ADSL, le prix s’élève à près de 7 000 dollars, alors que le
salaire mensuel moyen tourne autour de 200 dollars ! Pour ceux qui choisissent un accès limité, il faut compter 25 dollars pour 1 MB.
La vitesse de la bande passante est souvent très lente. Des utilisateurs qui bénéficient de connexions privées se plaignent de ne pouvoir utiliser lnternet que très peu en journée. La nuit, les choses s’améliorent. Certains se rendent dans les bureaux d’organisations internationales pour avoir accès au World Wide Web.
Pressions sur les téléphones portables
Une pénurie de cartes SIM pour téléphones portables a de nouveau occasionné de
longues files d’attente, en décembre 2010 à Ashgabat, d’après le site Chronicles of Turkmenistan, publié par l’ONG
Turkmen Initiative of Human Rights. De longues files d’attente se sont formées devant les magasins de la marque Altyn Asyr.
Cette “pénurie” coïncide avec le départ du pays de l’entreprise russe de télécommunications MTS, laissant les deux millions d’abonnés au Mobile TeleSystems sans accès. La licence accordée à MTS au Turkménistan a été suspendue par le ministère des Communications le 21 décembre 2010. Le seul concurrent de l’entreprise d’Etat et leader sur le marché, Altyn Asyr, a ainsi été éliminé. Altyn Asyr, qui ne comptait jusque là que quelques centaines de milliers d'abonnés, est désormais en position de monopole, ce qui assure au gouvernement un contrôle renforcé sur les portables, en terme de censure et de surveillance. Altyn Asyr, contrairement à MTS, bloque l'accès aux sites indépendants et aux sites de l'opposition.
Retour de la répression ?
Le 30 septembre, le président Gourbangouly Berdymoukhamedov s’est adressé aux employés du ministère de la Sécurité nationale dans un discours belliqueux, les appelant à lutter contre ceux qui “calomnient notre Etat laïc et démocratique fondé sur le droit et tentent de détruire l'unité et la solidarité de notre société”..
Le site de l’ONG Turkmen Initiative for Human Rights (TIHR) a été hacké début octobre 2010 et a dû changer d’hébergeur. Ces attaques ont fait suite à une interview accordée par son directeur, Farid Tukhbatullin, le 28 septembre 2010, à la chaîne de télévision par satellite K+, diffusée en Asie centrale, et accessible donc à la population turkmène. Farid Tukhbatullin, exilé à Vienne, y abordait la situation des droits de l’homme au Turkménistan. Les autorités semblent ne pas avoir apprécié son intervention.
Plusieurs dissidents ont été interdits de quitter le pays ces derniers mois. La militante des droits de l’homme, Umida Dzhumabaeva, est l’un des derniers exemples en date, en juillet 2010. Les autorités lui reprochent ses activités et ses relations avec d’autres dissidents. Elle avait été accusée, sans preuves aucunes, d’avoir livré des informations à des sites d’opposition.
La communauté internationale prête à toutes les concessions ?
La capitale Achkhabad joue par ailleurs un rôle clé dans le soutien à l'OTAN dans le cadre du conflit en Afghanistan, notamment en lui autorisant l’accès à son espace aérien, ce qui lui confère un atout stratégique aux yeux des Américains. Malgré tout, Robert Blake, secrétaire d'Etat américain adjoint, en visite dans le pays en février 2011, a adressé une mise en garde aux pays d'Asie centrale qui pratiquent une censure sévère : “Il est important pour les dirigeants de pays où les sociétés sont contrôlées d'écouter les leçons de la Tunisie et de l'Egypte”.
Une position qui contraste avec celle de la diplomatie française. D’après un
télégramme révélé par WikiLeaks et publié par le journal
Le Monde , "l’ambassade de France ne s'engage pas sur les questions de liberté religieuse ou des droits de l'homme, pour ne pas compromettre
(les contrats du groupe) Bouygues", qui bénéficie dans le pays d’un statut privilégié.
L’Union européenne, de son côté, est sur le point de conclure un accord de partenariat et de coopération avec le pays, qui comprendrait une clause de surveillance de la situation des droits de l’homme et des demandes de démocratisation du pays, sous peine de suspension. La commission des Affaires étrangères du Parlement européen a pris
position, en janvier 2011, en faveur de la signature de cet accord politique et économique.