Traitement des conflits et actes terroristes : le projet de recommandation du CSA "inutile et dangereux"
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Reporters sans frontières conteste la légitimité et la pertinence du projet de recommandation du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) sur le « traitement des conflits internationaux, des guerres civiles et des agressions terroristes », présenté aux dirigeants de l’audiovisuel le 2 juillet 2013. Le texte, divulgué lors d’une réunion avec les conseillers Nicolas About et Mémona Hintermann-Afféjee, rappelle essentiellement des principes déjà posés par de précédentes recommandations de 2003 et 2004, faisant référence aux bases de la déontologie journalistique et à la 3e Convention de Genève. Mais les quelques innovations du texte, marquées par leur caractère restrictif et flou, sont inquiétantes.
« Nous réprouvons ce texte qui prétend soumettre la liberté de l’information au respect de critères si vagues et subjectifs qu’ils ne peuvent qu’encourager l’autocensure, a déclaré Christophe Deloire, directeur général de Reporters sans frontières. Si le CSA adopte en l’état ce projet de recommandation, les médias seront désormais sommés d’éviter ‘toute exploitation excessive de l’évocation de la souffrance humaine’ et de ne pas divulguer d’informations ‘susceptibles (…) de menacer la sauvegarde de l’ordre public’. Les dernières décisions du CSA, notamment dans le contexte de la guerre au Mali, laissent penser que l’institution cherche à protéger l’armée française des enquêtes journalistiques. Quels garde-fous garantissent que les médias français pourront, dans de telles conditions, enquêter sur d’éventuelles exactions commises par les forces armées françaises ou leurs alliés ? »
Là où en 2003, le Conseil mettait en garde les chaînes contre « l’exploitation complaisante de documents difficilement supportables », il leur « demande » désormais de s’abstenir de « toute exploitation excessive d’images de combattants ou de civils, tués ou blessés, et des réactions de leurs proches et, d’une manière générale, de l’évocation de la souffrance humaine ». La notion d’« excès » est par nature susceptible d’interprétations. On se souvient à quel point l’« émotion des proches » et la « place des victimes » avaient été invoquées pour limiter le droit à l’information du public sur l’affaire Merah. Qui définira donc le seuil de l’« excès », et sur quelle base ? Les médias audiovisuels doivent bien entendu prendre toutes les mesures nécessaires à la protection du jeune public et informer à l’avance les téléspectateurs de la nature des images qu’ils vont visionner, mais leur rôle ne saurait être de présenter une vision aseptisée des conflits.
« Dans le cas où la France est partie à un conflit », le Conseil demande aux éditeurs de ne pas divulguer « d’informations susceptibles, d’une part, de mettre en péril la sécurité des forces armées françaises ou alliées présentes sur le théâtre d’opérations et, d’autre part, de menacer la sauvegarde de l’ordre public, notamment lorsque cela pourrait faciliter l’exécution d’une action terroriste. » Le CSA, garant de la liberté de communication audiovisuelle, sort de son rôle pour se positionner en défenseur des intérêts stratégiques de la France.
En aucun cas la « consultation » sur le traitement des images de conflits, engagée à huis clos par le CSA suite à la mise en gardede France Télévisions en février, ne saurait légitimer sa volonté d’ajouter de nouvelles contraintes à la législation existante. Auditionnée le 18 avril, Reporters sans frontières avait contesté les modalités de cette consultation et notamment demandé une plus grande transparence et publicité des débats. L’organisation avait par ailleurs souligné qu’un nouveau texte plus restrictif n’était ni opportun, ni nécessaire. La jurisprudence française et européenne est déjà suffisamment précise quant aux règles à observer dans le traitement audiovisuel des conflits et des attaques terroristes. Elle rappelle également, de façon plus claire et systématique que le CSA, le caractère fondamental du droit à l’information du public sur les sujets d’intérêt général.
Photo : THOMAS SAMSON / AFP
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Updated on
20.01.2016