Sommet de l'APEC : témoignage sur la situation de la presse libre
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A l'occasion du sommet de l'APEC qui se tient à Hanoi du 12 au 19 novembre 2006, Reporters sans frontières lance un appel aux autorités vietnamiennes pour qu'elles cessent de harceler la presse dissidente et permettent l'émergence de médias libres. L'organisation proteste contre les mesures prises par le gouvernement pour empêcher les reporters étrangers présents actuellement au Viêt-nam de rencontrer des dissidents. Enfin, l'organisation publie un témoignage du père Phan Van Loi, le premier à avoir lancé en avril dernier un journal sans licence.
"Il faut que les dirigeants présents au sommet de l'APEC, notamment le président George W. Bush, s'expriment clairement sur les manquements graves du Viêt-nam au respect de la liberté d'expression. Le développement économique du Viêt-nam ne peut faire oublier un bilan de la situation de la liberté de la presse encore précaire", a affirmé Reporters sans frontières.
Reporters sans frontières appelle la presse étrangère qui couvre le sommet de l'APEC à rendre compte de l'émergence d'une presse dissidente et à tenter d'interviewer les dissidents placés en quarantaine. L'organisation tient à disposition des journalistes les adresses de certains de ces dissidents.
La police a installé des postes de garde devant les domiciles de nombreux dissidents, dont certains journalistes de publications libres. Hoang Tien, Pham Hong Son, Pham Que Duong ou Nguyen Van Dai sont ainsi interdits de sortir de chez eux. Les étrangers sont avertis par un écriteau accroché aux portes : "No foreigners". Ainsi, devant le domicile de Nguyen Thanh Giang, les autorités ont installé une pancarte en vietnamien "Zone de sécurité". Hoang Tien, l'un des animateurs du journal dissident Tu Do Dan chu (Liberté et Démocratie) a vu s'installer devant son domicile des policiers pour l'empêcher d'établir tout contact avec des participants au sommet de l'APEC. Quant à Nguyen Van Dai, dix agents de police campent devant son domicile depuis le 14 novembre. Enfin, l'avocate et dissidente Bui Thi Kim Thanh a été internée de force dans un hôpital psychiatrique d'Ho Chi Minh-Ville.
Ces mesures semblent avoir été décidées le 19 octobre au ministère de la Sécurité publique à Hanoi. Il avait été demandé aux forces de l'ordre de garantir la sécurité pendant le sommet et d'isoler la dissidence.
Par ailleurs, quatre Américains d'origine vietnamienne et quatre Vietnamiens ont été condamnés, le 10 novembre, à quinze mois de prison pour "terrorisme". Liés à un groupe radical basé aux Etats-Unis, ils sont accusés d'avoir fait entrer illégalement du matériel de diffusion radiophonique dans le pays afin de diffuser des messages antigouvernementaux. L'un des condamnés a été expulsé vers les Etats-Unis quelques jours plus tard. Les deux autres Américains devraient quitter le pays prochainement.
En raison des pressions de la communauté internationale, le Viêt-nam a semblé récemment assouplir sa politique en matière d'Internet. Par exemple, plusieurs cyberdissidents, notamment Pham Hong Son, ont été libérés depuis 2005. Cette relative clémence a d'ailleurs redonné du souffle au mouvement démocratique, qui s'est admirablement saisi du Net pour s'organiser et faire passer dans le pays une information indépendante. Ainsi, le mouvement dissident "Bloc 8406" a lancé une pétition en ligne, signée sous leur vrai nom par des centaines d'internautes, demandant au gouvernement d'engager des réformes politiques. Mais l'utilisation du Réseau par ces démocrates fait peur aux autorités. Et ces dernières ont encore souvent recours à la force pour faire taire les cyberdissidents. Une dizaine de personnes ont été emprisonnées cette année pour des propos tenus sur Internet. Quatre d'entre elles sont encore derrière les barreaux : Truong Quoc Huy, Le Nguyen Sang ("Nguyen Hoang Long"), Huynh Nguyen Dao ("Huynh Viet Lang") et Nguyen Vu Binh. D'autre part, le Viêt-nam filtre toujours abusivement Internet et bloque notamment l'accès aux sites d'opposition tenus par les Vietnamiens de l'étranger.
Depuis le lancement, en avril, "Bloc 8406", de nombreuses initiatives démocratiques émergent dans tout le pays notamment à travers la création de médias indépendants. En octobre, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères a jugé que ce groupe était illégal et les services de sécurité n'ont cessé de harceler ses principaux animateurs.
Enfin, Reporters sans frontières apporte son soutien aux animateurs des journaux sans licence apparus au cours des derniers mois au Viêt-nam. Voici notamment un témoignage du père Phan Van Loi, animateur du journal Tu Do Ngon Lan, recueilli par Reporters sans frontières. Installé à Hué (Centre), il parvient à échapper aux attaques répétées contre la presse indépendante. Il diffuse une version imprimée du journal Tu Do Ngon Lan (Liberté et démocratie) qui continue à circuler sous le manteau depuis son lancement en avril dernier. En 1998, le père Phan Van Loi avait déjà tenté de publier clandestinement le Tin Nha (Nouvelles de chez soi) à l'étranger, ce qui lui avait valu des sanctions de la police. Aujourd'hui, le dissident fait entendre sa voix et appelle les dirigeants du Viêt-nam à respecter la liberté de presse.
Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté et ouvert à la signature, à la ratification et à l'adhésion par l'Assemblée générale le 6 décembre 1966, par le Viet Nam le 24-9-1982, dit à l'article 19: “1. Nul ne peut être inquiété pour ses opinions. 2. Toute personne a droit à la liberté d'expression; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix”. La Constitution de la République Socialiste du Viet Nam (1992) dit aussi à l'article 69: “Tout citoyen a droit à la liberté d'expression, la liberté de presse; il a le droit d'information, le droit de réunion, le droit d'association, le droit de manifestation selon les prescriptions de la loi”.
Tout ceci montre que, théoriquement et officiellement, l'État vietnamien reconnaît la liberté d'expression et la liberté de presse. Mais depuis 1989 (date de la Loi sur la presse, 28-12-1989), jusqu'à 2006 (date de l'Arrêté 56-CP sur la culture et l'information, 6-6-2006), l'État a publié 23 textes législatifs supprimant graduellement et totalement cette liberté. Pourquoi?
Le régime politique au Viet Nam depuis 1954 jusqu'à maintenant est un régime communiste et totalitaire dans lequel l'Assemblée Nationale (pouvoir législatif), le Gouvernement (pouvoir exécutif), la Cour (pouvoir judiciaire), la presse (journaux, magazines, radio, télévision, Internet... le quatrième pouvoir), l'Armée, la Police (pouvoir des armes) sont aux mains du Parti Communiste qui les considère comme ses instruments à lui.
Presque 600 journaux et magazines, une centaine de postes de radio et télévision, une centaine de pages web au Vietnam sont sous le contrôle du Parti (sans compter 3.000 murs de feu (firewalls) érigés par la police de l'Internet). Cette monopolisation renforce le pouvoir et, naturellement, augmente les biens du Parti Communiste (spécialement le Bureau politique) mais cause de grands dégâts et de grandes souffrances à la nation et au peuple.
Les dirigeants communistes deviennent actuellement des capitalistes rouges qui s'enrichissent non seulement par l'affaire (“économie du marché à orientation socialiste”) mais aussi par la vente du pouvoir (autorisation, licence), par l'exploitation des gens du peuple (de connivence avec les chefs des compagnies étrangères), par l'exportation de main-d'oeuvre (une sorte de trafic humain), par la confiscation des terres des paysans, des citadins et des Églises (par le biais des planifications ou urbanisations qui ne sont presque pas affichées publiquement). La corruption parmi ces dirigeants est inimaginable et sans réticence! La presse peut donner des informations sur ces faits mais ces informations sont strictement contrôlées et ne peuvent jamais toucher les dirigeants de haut rang. Les 150 commissaires centraux du Parti sont presque intouchables! Conséquence: les gens du peuple et les communautés religieuses pourvues de quelques terres deviennent des victimes sans secours. Le gouvernement devient une sorte de mafia (mafia rouge). Récemment, même un magazine du ministère des Affaires étrangères a été fermé parce qu'il a publié des lettres de réclamation, et quelques hebdomadaires ont été menacés de fermeture après avoir publié des articles sur les fautes des papiers-monnaies en polymère.
Imbus du matérialisme dialectique athée et d'une conception léniniste-staliniste du pouvoir, les dirigeants communistes n'acceptent jamais l'influence des forces spirituelles (les religions, les Églises) dans la société, les opinions “réactionnaires” des démocrates, la concurrences des parties politiques. Par conséquent, il n'y a pas de presse privée et indépendante au Viet Nam. Quelques magazines soi-disant des religions sont en réalité les organes d'expression du Parti. Ils mêlent sournoisement la doctrine religieuse avec la doctrine marxiste, assimilent le pouvoir du Parti au pouvoir spirituel, mettent Ho Chi Minh, grand criminel et féroce prédateur, et les saints au même rang... Les journaux ou les journalistes officiels qui mettent en question la direction du Parti, parlent du pluralisme politique ou qui semblent l'encourager subissent immédiatement des punitions ou des mesures coercitives sévères. Récemment, quelques combattants démocrates ont tenté de publier des magazines imprimés en papier et lancés sur Internet mais le gouvernement les a vite réprimés. Un grand dégât causé par ce monopole politique: le Viet Nam reste l'un des dix pays les plus pauvres du monde.
Actuellement, grâce à la propagation des techniques du cyberspace (internet, paltalk, skype, blog...), beaucoup de citoyens peuvent rechercher, recevoir et répandre des informations et des idées de toute espèce, au-delà des frontières. Devant cette situation, l'État et le Parti Communiste ne peuvent pas rester immobiles. Tout ceci menace leur pouvoir.
Profitant de cette situation et de cette relative clémence (spécialement à l'occasion du sommet APEC à Ha Noi) nous, les dissidents du mouvement démocratique, tâchons de revendiquer la liberté d'expression qui est l'âme de toutes les libertés (Voltaire). Maintenant, deux magazines indépendants, Tu do Ngon luan (Liberté d'Expression) et Tu do Dan chu (Liberté et Démocratie), sont publiés en papier et circulent presque publiquement. (Chose étrange, le bimensuel Tu do Ngon luan a pu exister 7 mois, depuis le 15 avril, avec 15 numéros!). Deux autres, To Quoc (la Patrie) et Dan chu (Démocratie) sont lancés sur l'internet. Les éditeurs s'efforcent de présenter au gouvernement communiste ainsi qu'au peuple les valeurs de la démocratie, les dangers du totalitarisme, les crimes du communisme et les droits de l'homme qui ont été officiellement et solennellement consacrés dans Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Nous voulons livrer au Parti et au Peuple un message: la Vérité seule libère ! La Liberté seule est digne de l'homme ! La Démocratie seule apporte le progrès!
Hué, Viet Nam, le 16 Novembre
Pierre Phan Van Loi, prêtre catholique, éditeur de Tu do Ngon luan
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20.01.2016