Reporters sans frontières exprime son inquiétude face à l'hostilité croissante des partisans du Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), le parti au pouvoir, à l'égard de la radio privée Isanganiro. Le rédacteur en chef de la radio, notamment, fait l'objet d'une campagne de calomnies et de menaces, tandis qu'un de ses journalistes a été maltraité lors d'un meeting du parti présidentiel.
"A défaut d'entendre nos appels au calme, le président Pierre Nkurunziza doit enfin prendre conscience du mal que cette campagne agressive et absurde entretenue par ses partisans cause à son pays. La violence verbale, les menaces et la haine sont extrêmement dangereuses pour la démocratie. Radio Isanganiro et ses journalistes ne font que leur travail et les accusations portées contre eux sont infondées. Il est urgent que ce climat d'hostilité s'apaise", a déclaré Reporters sans frontières.
Le 12 septembre 2006, un e-mail anonyme a été envoyé à l'adresse générale de la radio, qui diffuse aussi sur Internet. Selon le message, non signé et rédigé en kirundi, Isanganiro n'a “d'autres objectifs que de calomnier le nouveau régime issu des urnes”. Le message intime à la radio de fermer son site web (www.isanganiro.org) : “Soit vous fermez de votre propre gré, ou on sera obligé de vous y forcer par tous les moyens. On vous demande maximum un mois, passé ce délai, gare à ce qui vous arrivera.” Des menaces de mort y sont proférées à l'encontre des journalistes et de leurs familles, dont six sont nommément cités, leur conseillant de “se rappeler qu'ils sont encore sur terre, sinon, ils seront tués”. L'expéditeur du message, “Burundi gov”, utilise l'adresse
[email protected]. Intumwa est le nom du journal animé par le premier conseiller de la présidence en charge de la communication, Willy Nyamitwe. Il est toutefois impossible d'identifier avec certitude l'auteur des menaces.
Depuis l'affaire du coup d'Etat qui aurait été déjoué au mois d'août, trois radios privées, Isanganiro, la Radio publique africaine (RPA) et Bonesha FM, sont régulièrement prises à partie par les partisans du CNDD-FDD. Récemment, les actes menaçants à l'encontre des journalistes d'Isanganiro se sont multipliés. Le 12 septembre, par exemple, Tatien Nkeshimana, officiellement invité par le ministère des Travaux publics à couvrir une intervention du chef de l'Etat, Pierre Nkurunziza, au stade Saint-Augustin à Buyenzi, commune urbaine de Bujumbura, a été agressé par des hommes en civil. Ces derniers lui ont interdit d'enregistrer ou de prendre en note le discours du président et lui ont confisqué son carnet et son matériel de reportage, ainsi que son téléphone portable. Son matériel lui a été restitué plus tard après l'intervention d'un confrère de la télévision publique.
Gabriel Nikundana, rédacteur en chef de la radio Isanganiro, a été violemment calomnié sur le site Internet du CNDD-FDD, Burundi Information, dans deux articles en date du 3 et du 5 septembre, intitulés : “Le rédacteur en chef de Isanganiro prend le large” et “Nikundana manque de visa, rentre et reprend son poste”. Accompagnés d'une photo, ces articles, le qualifiant de “journaliste extrémiste” et faisant allusion à sa “petite taille”, répandaient l'information mensongère selon laquelle il avait échoué à s'enfuir au Kenya.
Le 3 septembre, le chef du parti au pouvoir, Hussein Radjabu, avait laissé entendre, lors d'un meeting au stade Prince Rwagasore de Bujumbura, que les journalistes critiquant le gouvernement verraient leur vie menacée. Cette violente intervention publique intervenait quelques jours après que, le 24 août, Isanganiro avait jeté un pavé dans la mare en diffusant une interview d'Alain Mugabarabona, un leader de l'oppositon incarcéré dans l'affaire du coup d'Etat, qui dénonçait un montage orchestré par le CNDD-FDD, ainsi que les actes de torture dont il avait été victime en prison.
Isanganiro, créée en 2002 avec l'ambition de réconcilier par “le dialogue plutôt que la force” (sa devise) les communautés du Burundi, a déjà été la cible de la répression du précédent gouvernement. Le 13 septembre 2003, sa diffusion avait été suspendue une semaine, sur ordre du ministre de la Communication, pour avoir interviewé le porte-parole des Forces nationales de libération (FNL, un groupe d'opposition armée).
Depuis le début de l'été 2006, les partisans du CNDD-FDD, dont on ignore s'ils sont téléguidés ou non par le pouvoir, s'en prennent publiquement aux médias, en mobilisant le lexique de l'opposition ethnique. Ainsi, le 24 août, une personne se déclarant “citoyenne de Buterere, commune urbaine de Bujumbura” a envoyé une lettre à la radio, dressant une critique vindicative en 15 points de la ligne d'Isanganiro. Elle accuse la radio, dont le nom signifie “point de rencontre” en kirundi, d'être devenue une “radio de la haine”. La “citoyenne” s'en prend à toutes les radios privées, qu'elle qualifie de “radios tutsies, ethnie minoritaire, proches des partis d'opposition qui n'ont d'autres objectifs que de déstabiliser le gouvernement”.
Les journalistes de la presse publique ne sont pas épargnés. Ainsi le correspondant à Kayanza (Nord) de l'Agence burundaise de presse, Aloys Kabura, est détenu depuis le 31 mai à la prison centrale de Ngozi, pour avoir critiqué, dans un bar de la ville, l'attitude du gouvernement dans un incident ayant opposé la police, un député dissident du parti au pouvoir et plusieurs journalistes. Il attend toujours l'issue de son procès, en délibéré depuis le 28 juillet. Régulièrement menacé par les services de sécurité, il était l'auteur d'une enquête sur un trafic de sucre avec le Rwanda, dans lequel certains policiers auraient été impliqués.