S’emparer de questions sensibles coûte cher : un journaliste assassiné et deux autres intimidés
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Reporters sans frontières condamne avec force l’assassinat de Luis Eduardo Gómez et les intimidations visant deux autres professionnels des médias, Mary Luz Avendaño et Gonzalo Guillén. L’organisation demande aux autorités d’instaurer des mesures fermes de protection garantissant la sécurité des journalistes. Le pays doit faire du respect de la liberté d’expression et du combat contre l’impunité une priorité.
Luis Eduardo Gómez, 70 ans, collaborateur des journaux El Heraldo de Urabá et Urabá al día, a été retrouvé criblé de balles, le 30 juin 2011, à Arboletes, dans le département d'Antioquia (Nord-ouest). Deux hommes à moto l’ont suivi jusqu’à son domicile, dans le quartier d’El Deportivo, et l’ont exécuté sous les yeux de son épouse.
Selon des informations confiées par un journaliste à la Fondation pour la liberté de la presse (FLIP), organisation partenaire de Reporters sans frontières, Luis Eduardo Gómez avait enquêté sur l'assassinat de son fils, en 2009, et sur la gestion des comptes publics par le gouvernement local. Témoin dans le cadre des enquêtes judiciaires sur des liens existants entre un groupe paramilitaire et des hommes politiques locaux, le journaliste a été tué alors qu’il devait comparaître au parquet quelques jours plus tard. Il a été réduit au silence, comme trois autres témoins assassinés depuis octobre 2010; cinq autres témoins auraient été forcés à quitter la région ou seraient partis de peur de représailles. Le journaliste n’avait pas reçu de menaces au préalable.
Le secrétaire du gouvernement municipal, Esteban Revollo, a exprimé qu’il n’est pas certain que les groupes paramilitaires soient derrière l’assassinat du journaliste. Il a néanmoins reconnu que les mesures de protection, adoptées lors d’un conseil extraordinaire de sécurité, le 29 juin dernier, n’avaient pas donné les résultats escomptés. Ces crimes démontrent que les groupes paramilitaires, loin d’avoir rendu les armes lors du processus de "démobilisation" mené entre 2003 et 2006, continuent de semer la terreur et restent un danger permanent pour la démocratie et les libertés publiques. L’un d’entre eux, les "aigles noirs", figure depuis plusieurs années dans la liste des prédateurs de la liberté de presse de Reporters sans frontières.
Mary Luz Avendaño, correspondant du journal El Espectador, et Gonzalo Guillén, journaliste indépendant et ancien collaborateur des quotidiens El Tiempo, La Prensa et Miami Herald, sont la cible d’une campagne d’intimidation depuis qu’ils se sont emparés de questions sensibles.
Mary Luz Avendaño a reçu un premier avertissement après avoir publié un article sur les violences entre différents cartels de narcotrafiquants à Antioquia. Ses sources et des agents de renseignement de la police l'ont prévenue du danger qu’elle courait. De nouvelles menaces lui sont parvenues lorsqu’elle a publié un article dénonçant les liens entre des bandes criminelles et certains membres de la police, les dénommés "polybandes". Les avertissements se sont depuis accentués. "Dites à la journaliste Mary Luz d'arrêter de publier des conneries, ou veut-elle gagner le gros lot ?", disait le dernier message envoyé à travers l’un de ses sources, le 22 juin dernier. Le général de la police de Medellín a placé la journaliste sous protection policière.
Le 27 mai 2011, des individus non identifiés se sont à nouveau introduits de force dans le domicile de Gonzalo Guillén, auteur d'un documentaire polémique sur la libération d'Ingrid Betancourt. Les malfaiteurs ont emporté des documents de travail contenant des informations faisant état du paiement d’une rançon pour la libération de la femme politique franco-colombienne et impliquant des forces armées dans des exécutions extrajudiciaires (“faux positifs”). Les menaces téléphoniques ne cessent depuis. "Le documentaire montre des documents et des témoignages de première main selon lesquels la libération d'Ingrid Betancourt, de trois militaires nord-américains et d’onze colombiens, n'a pas été un coup militaire mais une affaire entre le gouvernement et deux chefs des FARC à qui l'ex président Uribe a offert cent millions de dollars", a expliqué Guillén soulignant la sensibilité de l’affaire. "Sans avoir vu le documentaire, le président Santos m'a qualifié ‘d’idiot utile aux FARC’, me plaçant ainsi dans la ligne de mire d’inconnus qui m’appellent pour me menacer de mort", a-t-il ajouté. Guillén a porté plainte devant le parquet mais ne bénéficie pas de protection policière.
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20.01.2016