Russie : un an après la mort d’Evgueni Prigojine, l’ombre du système de propagande Wagner plane toujours

Un an après la mort d’Evgueni Prigojine le 23 août 2023 en Russie, certains réseaux médiatiques de l'ancien patron de la milice Wagner sont toujours actifs et se sont alignés sur le narratif du Kremlin sur l’invasion russe en Ukraine. Les héritiers de son empire, qui perpétuent sa “méthode”, se disputent ce qu’il en reste. Reporters sans frontières (RSF) alerte sur ce système de propagande qui continue de polluer l’espace informationnel. 

“Des commandos du groupe Wagner devant un véhicule blindé Typhoon dans un des pays du Sahel, en Afrique. C’est le dernier message publié le 23 juillet par Nikita Fedyanin, administrateur de la chaîne Telegram Grey Zone, affiliée à Wagner. Ce propagandiste russe a été tué quelques jours plus tard, aux côtés d'autres mercenaires du groupe au Mali. Depuis, seul un message qui confirme son décès a été relayé sur cette chaîne qui est toujours restée active, même après la mort le 23 août 2023 d’Evgueni Prigojine, ancien patron du groupe Wagner.

L'empire médiatique d'Evgueni Prigojine, qui comprenait des médias de propagande, des usines à trolls et des chaînes Telegram, a été en grande partie démantelé après sa mutinerie avortée en juin 2023 et sa mort deux mois plus tard en Russie. Mais certains de ses relais existent toujours et continuent leur travail de désinformation. Sur Telegram, les réseaux affiliés à Wagner se sont alignés sur le narratif du Kremlin. Les chaînes les plus populaires, à savoir Grey Zone (“Zone grise”) – 565 000 abonnés –, Orkestr Wagnera (“L’Orchestre de Wagner”) – 580 000 abonnés – et Kepka Prigojina (“La casquette de Prigojine”) – 331 000 abonnés –, critiquaient auparavant les décisions du commandement militaire russe en Ukraine ayant entraîné des revers militaires pour la Russie. Elles s’en tiennent désormais au discours officiel et diffusent par exemple des vidéos sur les avancées de l’armée russe dans les territoires occupés, les déclarations des officiels russes, sans oublier de rendre hommage aux vétérans de Wagner qui ont combattu en Ukraine. Elles couvrent également les actions de la milice dans d’autres pays, comme en République centrafricaine, au Mali ou au Venezuela

“Un an après la mort d'Evgueni Prigojine, ses réseaux sont encore actifs. Alignés sur le récit du Kremlin, ils poursuivent leur travail de justification de la guerre contre l'Ukraine. Certains organes de propagande pourtant annoncés comme disparus sont simplement en veille, et prêts à reprendre leurs activités. Dans les territoires ukrainiens occupés, Alexandre Malkevitch, ancien proche du patron de Wagner, a repris le flambeau et a établi son propre empire de désinformation en s’inspirant de son modèle. RSF dénonce ces réseaux qui polluent l’espace informationnel et ont transformé les zones ukrainiennes occupées en trous noirs de l’information irrigués uniquement par la propagande russe.

Bureau Europe de l’Est et Asie centrale

Des médias de propagande prêts à reprendre leurs activités

Tous les médias d’Evgueni Prigojine n’ont pas disparu et certains sont même prêts à reprendre leurs activités. En juin 2024, la justice russe a rejeté la demande du Roskomnadzor, le régulateur russe des télécommunications, visant à suspendre les licences de RIA FAN, de Narodnye Novosti et d’Ekonomika Segodnya, trois de ses médias phares fermés à l’été 2023, qui devaient être liquidés au printemps 2024, mais ont finalement été conservés. Selon les informations du média indépendant de Saint-Pétersbourg Fontanka.ru, les entités juridiques sont gelées, mais les médias existent toujours et le financement des noms de domaine est assuré pour encore quelques mois. Des discussions ont récemment eu lieu avec Pavel Prigojine, son fils et héritier, pour les relancer, sans qu’une décision définitive ne soit prise. 

Les anciens acolytes d’Evgueni Prigojine se livrent une lutte acharnée pour conserver leur position de seul maître de la désinformation. Ainsi, ce jugement, qui a autorisé le maintien de ces trois médias, intervient quelques jours après l’arrestation d’Ilya Gorbounov, propagandiste et haut responsable du Patriot Media Group, une holding appartenant à l’ancien patron de Wagner, dissoute à l’été 2023. Il est accusé d’extorsion par Alexandre Malkevitch – ancien employé et proche d’Evgueni Prigojine qui a développé un réseau de propagande du Kremlin dans les territoires ukrainiens occupés après février 2022.

L’héritier Alexandre Malkevitch, propagandiste en chef en Ukraine occupée

Dans les territoires ukrainiens occupés, Alexandre Malkevitch, qui a fait une partie de sa carrière dans l’ombre de Wagner et dit s’être éloigné d’Evgueni Prigojine depuis 2021, conserve son rôle de propagandiste en chef. Formé à la “méthode” Prigojine, Alexandre Malkevitch est particulièrement actif sur les réseaux sociaux et se met régulièrement en scène en publiant des “recommandations” pour les “journalistes” dans les territoires occupés d’Ukraine, en participant à des forums de la jeunesse sous occupation ou en interviewant les “autorités” locales. 

Après l’invasion russe de 2022, il a créé ses médias de propagande dans les régions du sud-est de l’Ukraine, tels que Mariupol 24 à Marioupol, Tavria TV à Kherson, occupée jusqu’en novembre 2022, ou encore le groupe ZaMedia à Melitopol, qui comprend une chaîne de télévision, une station de radio et plusieurs journaux locaux. Ces organes de propagande n’ont jamais cessé de propager le narratif du Kremlin, en présentant systématiquement l’occupation russe comme une “libération”, en diffusant des appels à rejoindre l’armée russe, et en relayant tous les faits et gestes de Vladimir Poutine. 

Dans le viseur de la justice

Ce système de propagande “à la Wagner” ne passe pas inaperçu. Alexandre Malkevitch est désormais recherché par le département d’État américain – en raison de son ingérence dans les élections présidentielles américaines de 2016 – qui offre jusqu’à 10 millions de dollars (près de neuf millions euros) pour toute information permettant de l’identifier ou de le localiser. 

Relai fidèle de la propagande de Moscou, Alexandre Malkevitch cultive l’empire de désinformation russe auprès des populations locales en zones occupées. Il recrute régulièrement de jeunes Ukrainiens vivant sous occupation pour ses médias de propagande. Mais ces derniers sont aussi dans le viseur de la justice et certains des collaborateurs d’Alexandre Malkevitch sont sous le coup d’enquêtes en Ukraine libre, comme Oleksandr Yakymets, propagandiste ukrainien de 19 ans qui travaille sur la chaîne de télévision Mariupol 24visé par une enquête depuis janvier 2024 pour “collaboration”, ou Ihor Belinsky, directeur du montage de la chaîne, poursuivi depuis mai 2024 pour le même motif. 

L’Ukraine et la Russie occupent respectivement la 61e place et la 162e place sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2024. 

Image
162/ 180
Score : 29,86
Image
61/ 180
Score : 65
Publié le