RSF et le CCIM demandent la relaxe immédiate et sans conditions de Mam Sonando

Interview de Mam Sonando réalisée par Reporters sans frontières le 4 mars 2013, depuis le Centre Correctionnel n°1 de Phnom Penh : voir en fin d’article.

Le procès en appel du propriétaire de la radio Beehive s’est achevé à Phnom Penh le 6 mars 2013 après deux jours d’audience. Le verdict sera rendu le 14 mars prochain. Reporters sans frontières et le Centre Cambodgien pour les medias indépendants (CCIM) réitèrent leurs demandes de libération sans conditions de Mam Sonando. “Les principaux accusateurs de Mam Sonando étaient absents du procès. Aucun élément nouveau n’a pu être ajouté au dossier. La détention de Mam Sonando demeure donc toujours aussi incohérente”, a déclaré Reporters sans frontières. Mam Sonando s’est exprimé le 5 mars au matin devant le juge de la Cour d’Appel de Phnom Penh afin de clamer son innocence. “Je suis un bouc-émissaire, a-t-il déclaré, ces accusations sont injustes et je ne peux me résoudre à accepter le jugement de première instance”. Dans une interview exclusive à Reporters sans frontières, il a également confié : “Le journalisme, au Cambodge, n’existe pas. Les journalistes ne jouent pas leur rôle honnêtement, car ils ont peur et baissent la tête devant les moindres menaces. J’ai voulu faire mon travail de manière honnête, et c’est pour cela que je ne plais à personne (...) Je ne suis pas né pour faire plaisir à un Premier ministre. Je fais ce que j’ai le droit de faire, dans le respect de la Constitution. Si ton droit existe et que tu ne t’en sers pas, alors il ne sert à rien”. Pendant un jour et demi, les juges ont ré-examiné la véracité des accusations selon lesquelles Mam Sonando serait l’instigateur d’un mouvement d’insurrection dans la province de Kratie. Le procureur a demandé à ce que les accusations criminelles “d’incitation à l’insurrection armée” et “d’usurpation des fonctions d’autorités” soient levées. Le journaliste demeure néanmoins sous le coup de poursuites civiles pour “incitation à s’opposer aux membres du gouvernement” et “opposition à l’autorité légale”, auxquelles s’est ajoutée une accusation pour “incitation à la déforestation illégale”, passible de cinq à dix ans d’emprisonnement. On ne sait pas encore si ces peines pourront revêtir un caractère cumulatif. Mam Sonando avait été condamné en première instance à vingt ans de prison, le 1er octobre 2012. Durant la matinée du 6 mars, le juge a lu un Amicus Brief, présenté par des organisations locales et internationales de défense de la liberté de la presse, mentionnant l’importance de la libération de Mam Sonando au nom, entre autres garanties internationales, du respect des dispositions de l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, gardien du droit de tout individu à la liberté d’opinion et d’expression. “C’est la première fois qu’un tribunal cambodgien prend en compte une analyse indépendante au cours d’un procès. C’est un signe encourageant, mais le dossier de Mam Sonando reste entâché de plusieurs accusation, qui ne sont étayées par aucune preuve. La cour doit l’innocenter et le libérer”, a déclaré Pa Ngoun Teang, directeur du CCIM. Maître Sa Sovan, l’un de ses avocats, a déclaré à Reporters sans frontières: “le jugement de première instance ne tenait pas debout. Mon client n’est pas coupable d’incitation. Il doit être rejugé, acquitté et libéré. Toute décision contraire serait une injustice”. Dinn Phanara, l’épouse de Mam Sonando, a confié à l’organisation qu’elle gardait espoir, cette décision montrant à ses yeux que les juges écoutent et prennent en compte les arguments de la défense. De son côté, Ou Virak, le directeur du Centre cambodgien pour les droits de l’Homme (CCHR) craint que la cour n’essaie de faire de Mam Sonando un exemple pour tous les militants du droit à la propriété au Cambodge : « Les autorités essaient de régner par la peur. C’est la méthode choisie par le Premier ministre, en réaction aux élections législatives à venir en juillet 2013, ainsi qu’à la pression internationale ». Reporters sans frontières a interviewé Mam Sonando le 4 mars 2013, à la veille de son procès en appel. Reporters sans frontières : En quoi consiste votre rôle au sein de l’Association des Démocrates ? Mam Sonando : J’apprends aux Cambodgiens que je rencontre à connaître leurs droits fondamentaux et la Constitution du Cambodge. Je leur donne souvent la métaphore suivante pour qu’ils protègent mieux leurs droits : chacun a besoin d’air pour respirer. Si jamais on vous le confisque, que vous reste-t-il ? C’est pareil pour nos droits. La plupart des Cambodgiens sont bouddhistes, donc tout passe par le respect d’autrui et la non-violence. Quand je me rends dans les campagnes, je distribue aussi des médicaments pour les aider car, là où je me rends, ils n’ont souvent accès à rien en termes de soins. Comment votre détention se passe-t-elle ? En ce qui concerne ma santé, je me porte très bien pour un homme de 71 ans ! Je me sens bien, mais ça reste la vie dans une prison dans laquelle je ne suis pas légitime. Je reçois des visites de ma famille, donc je m’estime content. A mon stade, ce n’est pas la nourriture ou l’amusement qui compte. Je ne pense qu’aux Cambodgiens qui tombent un peu plus bas de génération en génération. Je pense que nos dirigeants ne sont pas à la hauteur de la tâche. Quand je sortirai, j’aurai la même détermination pour défendre la démocratie et les droits de l’Homme. Même en prison, je continue à aider la société. Fin février, on a organisé une cérémonie de levée de fonds pour construire une école dans la province de Kompong Cham. Même si je suis en prison, les gens s’organisent et sont solidaires. Avez-vous confiance en la justice de votre pays ? Je sais que le Premier Ministre Hun Sen n’est pas content de mes activités mais j’ai quand même décidé d’affronter ses reproches. Je ne veux pas me cacher et je n’aime pas que l’on me tire dans le dos. Une rencontre avec lui ne m’intéresserait même pas. Je crois que si cela devait se faire, ce serait simplement une bonne surprise pour de nombreux Cambodgiens. Je n’ai pas le choix de la justice qui m’est donnée. Je n’ai que faire d’être condamné à 20 ou 30 ans tant que je peux être un bon exemple pour les Cambodgiens. Ma force est que l’on ne peut pas m’acheter. Je n’ai pas de tentation si ce n’est juste celle de faire quelque chose de bien pour l’être humain. C’est dommage que ceux qui sont au pouvoir détruisent le pays. J’ai changé de défense et j’ai deux très bons avocats à ce jour, qui se battent sur de vrais problèmes de loi et de droit. C’est rare. En général, un avocat négocie financièrement avec le juge. Mais les miens ont même lu mon dossier ! Que je quitte la prison ou que j’y reste n’est plus le problème. Je me battrai quand même pour la justice au Cambodge et pour me défendre. Mais je ne veux surtout pas compter les jours ! Quel rôle la communauté internationale doit-elle jouer au Cambodge ? Après le régime de Pol Pot, les Cambodgiens étaient désespérés et perdus. C’est là qu’a crû leur désir de démocratie. Avec le temps, la connaissance du concept a également évolué et les Cambodgiens ont commencé à prendre conscience du caractère positif de ce concept, dont ils ne comprenaient pas vraiment le sens. Ils ont donc commencé à écouter les grands pays démocrates, comme la France et les Etats-Unis. De ce fait, si la communauté internationale ne leur vient pas en aide, qui le fera ? Il serait temps d’observer consciencieusement les petits-enfants des pères de la démocratie, pour voir si tout est bien assumé... Que pensez-vous du journalisme au Cambodge ? Le journalisme, au Cambodge, n’existe pas. Les journalistes ne jouent pas leur rôle honnêtement, car ils ont peur et baissent la tête devant les moindres menaces. J’ai voulu faire mon travail de manière honnête, et c’est pour cela que je ne plais à personne (...) Je ne suis pas né pour faire plaisir à un Premier ministre. Je fais ce que j’ai le droit de faire, dans le respect de la Constitution. Si ton droit existe et que tu ne t’en sers pas, alors il ne sert à rien. Photo : TANG CHHIN SOTHY / AFP
Publié le
Updated on 20.01.2016