RSF et Freedom Network appellent à une révision en profondeur du projet de loi pakistanais “liberticide” contre les cybercrimes
Reporters sans frontières et son association partenaire Freedom Network sont fortement préoccupés par le projet de “loi sur la prévention des crimes électroniques de 2015 ” adopté le 16 avril dernier par le Comité sur les Technologies de l’Information du Parlement pakistanais. L’organisation présente ses recommandations aux autorités et appelle à une révision en profondeur du texte avant son adoption.
Présenté comme une réponse aux menaces croissantes du cyberterrorisme, le projet de loi, loin de protéger d’attaques informatiques, sape en réalité les libertés fondamentales des citoyens pakistanais et bafoue sans réserve la liberté de la presse et de l’information. Le texte contient notamment des dispositions qui permettent au gouvernement de censurer tout contenu sans recours judiciaire, de criminaliser de nombreuses activités en ligne selon de très larges critères, ou encore d’accéder aux données des utilisateurs du Net sans contrôle judiciaire.
“Ce projet de loi représente un véritable danger pour la démocratie au Pakistan", déclare Benjamin Ismaïl, responsable du bureau Asie-Pacifique de Reporters sans frontières.
"Criminaliser la diffusion d'information par les lanceurs d'alerte entrave la liberté d'expression au Pakistan et équivaut tout simplement à faire du droit à l'information une infraction" a déclaré Aurangzaib Khan, journaliste et membre de Freedom Network, organisation de défense de la liberté de la presse au Pakistan.
“Si elle était adoptée en l’état, une telle loi provoquerait une autocensure sans précédent de l’ensemble de la presse et particulièrement des critiques du pouvoir. Nous demandons aux autorités de réviser en profondeur ce texte en prenant en compte nos recommandations”, concluent les deux organisations.
L'un des articles les plus controversés autorise le blocage de contenus si le gouvernement estime qu'il est “nécessaire dans l'intérêt de la gloire de l'Islam ou de l'intégrité, la sécurité ou la défense du Pakistan ou toute partie de celui-ci, des relations amicales avec les États étrangers, de l'ordre public, de la décence ou la moralité."
Pour M. Aftab Alam, juriste, le section 34 qui mentionne l'article 19 de la constitution pose problème : "L'utilisation hors de son contexte d'une disposition constitutionnelle dans le cadre d'une loi est contraire à l'esprit de la Constitution. Il est inconstitutionnel de déléguer à un organisme tel que la PTA (Pakistan Telecommunications Authority, l'autorité de régulation des télécommunications au Pakistan) ou à l'un de ses représentants le pouvoir de statuer sur les droits fondamentaux des citoyens et de bloquer ou supprimer des informations d'un site web."
"Aucune agence gouvernementale, la PTA inclue, ne doit avoir un rôle dans la gestion des contenus, que ce soit par le blocage ou par quelqu'autre moyen. C'est un organe représentatif de la société civile avec une autorité et des pouvoirs adéquats qui devrait être mandaté pour réaliser l'audit de contenus."
Une autre section, intitulée "spoofing", criminalise la satire avec une peine d'emprisonnement de trois ans. L'utilisation des réseaux privés virtuels (VPN), utilisés par de nombreux Pakistanais pour contourner notamment le blocage de You Tube et les logiciel d’encryption” pourraient être rendus illégaux.
LIRE LES RECOMMANDATIONS DE RSF ET FREEDOM NETWORK (pdf, anglais)
Le Pakistan n’en est pas à son coup d’essai en matière de répression de l’information et de surveillance du Net. En février 2012, le ministère des Technologies de l’information pakistanais avait lancé un appel d’offres destiné au déploiement d’un système de filtrage national du Net s’inspirant de la grande muraille électronique chinoise. Reporters sans frontières a dénoncé les actions de l’Autorité des Télécommunications du Pakistan à plusieurs reprises, notamment lors de la journée mondiale contre la cybercensure, le 12 mars 2014.
Le Pakistan occupe la 159ème place sur 179 au classement de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières.