Pakistan : les signaux préoccupants pour la liberté de la presse se multiplient sous la nouvelle gouvernance du pays

Trois mois après l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle gouvernance au Pakistan, le pays montre des signaux alarmants d’une dégradation de la liberté de la presse. Reporters sans frontières (RSF) appelle les nouveaux dirigeants, fédéraux et provinciaux, à prendre des mesures d’urgence. 


Mise à jour du 14/06/2024 : Ali Ahmed Farhad Shah a été libéré sous caution après avoir passé 30 jours en détention. Les charges d'accusations à son encontre n'ont pas été abandonnées.


Assassinats, disparition forcée, détentions arbitraires de journalistes, censure et coupures de réseaux sociaux…Alors que le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux ont pris leurs fonctions début mars, RSF relève  des signaux très inquiétants pour la liberté de la presse au Pakistan, durement fragilisée en ce début de mandat exécutif.

“Les multiples atteintes à la liberté de la presse révèlent un climat général d’insécurité et une volonté de censure, loin des engagements pris par les partis dans leurs manifestes de campagne, et du discours de soutien aux journalistes prononcé par le Premier ministre Shehbaz Sharif. La stratégie de répression des voix critiques est toujours plus marquée, alors que les résultats du scrutin ont été dénoncés comme entachés de fraudes, dans un contexte d’ingérence de l’armée en politique. Le Pakistan reste l’un des plus dangereux pays au monde pour les journalistes, et l’impunité des assassinats est dramatique. RSF réitère son appel aux nouveaux dirigeants du pays et des provinces à prendre des mesures urgentes pour rétablir la liberté de la presse.

Célia Mercier
Responsable du Bureau Asie du Sud de RSF
  • Assassinats de journalistes 

Le 21 mai, le journaliste indépendant d’une chaîne Youtube et de Waziristan TV sur Facebook Kamran Dawar a été assassiné dans le district du Nord-Waziristan, au nord-ouest du pays, quelques semaines après avoir fait part à des confrères de sérieuses inquiétudes pour sa vie.

Le même jour, dans la province méridionale du Sindh, le reporter du journal Awami AwazNasrullah Gadani, qui dénonçait le système féodal dans sa région, a été criblé de balles par des hommes armés à moto. Il a succombé à ses blessures le 24 mai.

  • Enlèvement par les services secrets 

Le journaliste indépendant et poète du Azad Jammu-et-Cachemire (partie pakistanaise du Cachemire au nord du pays), Ali Ahmed Farhad Shah, très critique de l’armée, a été victime d’une disparition forcée dans la capitale Islamabad le 15 mai. Après une requête en justice de son épouse, la police de l'Azad Cachemire a fini par révéler son arrestation, pour avoir partagé sur Facebook du “matériel provocateur” lors de manifestations au Cachemire – auxquelles il n’a pas participé étant à Islamabad. La cour antiterroriste de Muzaffarabad a rejeté sa demande de libération sous caution le 4 juin. 

  • Détentions arbitraires et clubs de la presse assiégés

Dans la province du Pendjab, le président du club de la presse et journaliste de la chaîne de télévision Bol News, Sher Afgan, ainsi que le président de l'Anjuman-e-Sahafyan (Union des journalistes) et correspondant du journal Daily Ausaf, Ghulam Mustafa, ont été envoyés en détention le 7 mai, après avoir protesté contre l’irruption de la police dans le club de la presse local, venue interrompre une conférence de partisans du Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI) – le parti de l’ancien Premier ministre Imran Khan. 

Le 18 mai, c’est le club de la presse de Quetta, ville de l’est du pays, qui a été assiégé par la police locale pour empêcher les membres d'une organisation baloutche de protester contre les disparitions forcées.

  • Des affaires montées de toutes pièces, ciblant des journalistes contraints à l’exil

Le journaliste youtubeur Wajahat Saeed Khan, et l’ancien rédacteur en chef du quotidien The News International, Shaheen Sehbai, vivant tous deux aux États-Unis, sont la cible d’une plainte ubuesque depuis juin 2023, les accusant de complot pour “affaiblir l’armée et encourager le terrorisme”. Un dossier qui vient d’être relancé par la Cour antiterroriste II fin mai 2024.

  • De nouvelles mesures de censure 

Le 3 mai, le gouvernement a annoncé la création de l’Agence nationale d'investigation de la cybercriminalité (National Cyber Crimes Investigation Agency ou NCCIA), pour surveiller les contenus en ligne. 

Le 20 mai, un projet controversé de loi sur la diffamation (Punjab Defamation Act of 2024) a été voté par le gouvernement provincial du Pendjab. Il permet d'intenter des actions en diffamation, sans preuve de préjudice, et d'imposer des amendes et des blocages de comptes de médias et de journalistes.

Le 21 mai, l'Autorité pakistanaise de régulation des médias électroniques (PEMRA) a interdit aux chaînes d'information de diffuser des informations sur les “affaires judiciaires en cours”. Saisies par une organisation de journalistes, la haute cour d'Islamabad (IHC) et la haute cour du Sind ont cependant déclaré début juin que les journalistes étaient libres de couvrir les procédures judiciaires.

  • Blocage de Twitter depuis février

Depuis les élections générales début février, l'accès à la plateforme X a été bloqué au nom de la “sécurité nationale” et reste sporadique. L’objectif est d’étouffer toute contestation depuis le scrutin, marqué par des allégations de fraudes électorales. 

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