Reporters sans frontières a été auditionnée sur le projet de loi sur le secret des sources des journalistes, ce mercredi 4 septembre 2013, par Marie-Anne Chapdelaine, rapporteure, et Colette Capdevielle, membre de la commission des lois de l’Assemblée nationale. Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières, et Prisca Orsonneau, coordinatrice du pôle juridique de l’organisation, ont exposé six recommandations majeures visant à améliorer le projet de loi, après avoir rappelé qu’une protection efficace des sources journalistiques était une “garantie démocratique nécessaire”, particulièrement pour une société française souffrant “d’un déficit de transparence dans le fonctionnement de sa sphère politique”.
Si l’avant-projet de loi comportait de réelles améliorations, ses évolutions successives ont abouti à un résultat décevant,
comme le pointait Reporters sans frontières en juin dernier. Disposition centrale du projet de loi,
l’exception au secret des sources symbolise ce rétropédalage. En l’état, le secret des sources pourrait être levé pour prévenir ou réprimer un crime ou un délit “constituant une atteinte grave à la personne ou aux intérêts fondamentaux de la Nation” ; une notion extrêmement floue qui laisse toute latitude aux interprétations abusives, laissant les journalistes travailler dans un cadre incertain. Reporters sans frontières recommande fortement une exception au secret des sources limitée à la prévention d’une atteinte grave à l’intégrité physique, sur le modèle de
la loi belge de 2005.
Une seconde priorité pour Reporters sans frontières concerne
les sanctions prévues en cas de violation du secret des sources. Le projet de loi, dans sa forme actuelle, prévoit seulement un renforcement des sanctions pour deux infractions, quand la création d’un délit spécifique permettrait de s’affranchir d’une liste, même prétendument exhaustive, des délits pouvant conduire à la violation du secret des sources. La surveillance des échanges électroniques, qui concentre les inquiétudes après
les révélations sur le programme Prism, constitue l’un de ces moyens de contournement dont les applications techniques extrêmement variées appellent la création d’un délit spécifique. Outre l’impossibilité d’énumérer tous les moyens de contourner le secret des sources, créer un tel délit serait légitime pour sanctionner une infraction qui constitue une atteinte à un droit fondamental.
Enfin, si
le contrôle exercé par le juge des libertés et de la détention, qui sera chargé d’autoriser ou de refuser les demandes d’atteintes au secret des sources, est une excellente disposition, des interrogations persistent quant à sa réelle marge de manoeuvre. Reporters sans frontières souhaite que des garanties soient posées de sorte à ce que les décisions rendues par le juge des libertés et de la détention ne soient pas purement formelles, mais qu’elles soient au contraire instruites et motivées comme l’exige la gravité d’une atteinte au secret des sources. Reporters sans frontières s’inquiète tout particulièrement de la capacité effective du juge à faire face à une grande quantité de demandes, alors que ce dernier doit déjà traiter, de par ses attributions actuelles, une grande quantité de dossiers.
Outre ces trois points, Reporters sans frontières recommande également que toutes les personnes qui collaborent à la production ou à la diffusion de l’information figurent parmi les bénéficiaires du secret des sources : dans ses dispositions, le projet de loi oublie notamment les blogueurs, qui prennent pourtant une part croissante à la production et la diffusion de l’information. L’organisation demande également que les journalistes ayant collecté des documents dans le cadre de leur travail d’information soient systématiquement exonérés du délit de recel. Le projet de loi prévoit bien une exonération, mais la limite à certains documents et à la condition que la diffusion de ces informations serve “un but légitime en raison de leur intérêt général”. Or, le journaliste découvre le contenu d’un document au moment où il lui est transmis : il ne saurait déterminer avant même de mener l’enquête, si celui-ci revêt un intérêt général. Une telle disposition se révèle particulièrement nécessaire au moment où Fabrice Lhomme, journaliste au Monde ayant travaillé pour Mediapart sur l’affaire Bettencourt, a été renvoyé en correctionnelle pour recel d’atteinte à l‘intimité de la vie privée avec quatre confrères.
Reporters sans frontières regrette que parmi les lieux de privation de liberté, qui comprennent les locaux de garde à vue, les centres de rétention, les zones d’attente et les établissements pénitentiaires, seuls ces derniers puissent être visités par les journalistes accompagnés par au moins un parlementaire. L’organisation demande que ces lieux soient tous accessibles aux journalistes sans qu’un accompagnement officiel ne soit nécessaire. Enfin, elle rappelle qu’une grande loi de protection des lanceurs d’alerte devra compléter la prochaine loi sur le secret des sources, qui n’apporte aucune amélioration à leur statut.
L’ensemble des recommandations soumises à Marie-Anne Chapdelaine et Colette Capdevielle
sont disponibles ici.