RSF appelle l'ONU à agir face à la situation tragique des journalistes emprisonnés en Iran

Dans une lettre du 13 juin date à laquelle débutait la cinquantième session du Conseil des droits de l’homme, qui s’est tenue jusqu’au 8 juillet Reporters sans frontières (RSF) a alerté Michelle Bachelet, la Haute-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, sur les conditions de détention indignes dans lesquelles sont aujourd’hui maintenus de nombreux journalistes en Iran. Alors qu’ils sont malades, très affaiblis physiquement et psychologiquement, ils sont privés de soins. RSF appelle Michelle Bachelet ainsi que Javaid Rehman, le rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en Iran, à agir pour mettre un terme à ces comportements criminels qui relèvent de l’assassinat d’État.

 

Mme Michelle Bachelet 

Haute-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme (OHCHR) 

Palais des Nations, 

CH-1211 Genève 10, Suisse

 

Paris, 13 juin 2022

 

Objet : Il est urgent de remédier à la situation tragique des journalistes emprisonnés en Iran 

 

Madame la Haute-Commissaire,

 

À l’occasion de la cinquantième session du Conseil des droits de l’homme qui s’ouvre aujourd’hui, Reporters sans frontières (RSF), organisation internationale promouvant et défendant le journalisme libre, indépendant et pluraliste, attire votre attention sur les conditions de détention indignes que subissent de trop nombreux journalistes en Iran. Actuellement en Iran, classé 178e sur 180 au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2022, ce sont 24 journalistes qui croupissent en prison pour avoir exercé leur métier.

Plusieurs d’entre eux sont malades et privés de soins, et d’autres encore font l’objet de menaces de mort directes et indirectes de la part de l’administration pénitentiaire. Parmi ces journalistes emprisonnés, nous sommes gravement préoccupés par l’état de santé de Narges Mohammadi et Alieh Motalebzadeh, toutes deux arrêtées à leur domicile le 12 avril dernier pour être amenées à la tristement célèbre prison d’Evin, puis à la prison pour femmes de Gharchak, et ce alors qu’elles bénéficiaient d’une permission médicale. Depuis, leur détention n’a été qu’un long calvaire : alors qu’elle avait subi une opération cardiaque peu de temps avant, Mme Mohammadi a été privée par l’administration pénitentiaire de son traitement médical pendant une semaine. Et le 23 avril, Narges Mohammadi et Alieh Motalebzadeh ont été informées de leur “interdiction de permission médicale respectivement pendant six et trois mois” ainsi que du dépôt d’une plainte à leur encontre par l’organisation des prisons du pays.

Il apparaît clairement que cette dégradation de leurs conditions de détention vient en représailles des tentatives de ces détenus de faire respecter leurs droits les plus fondamentaux, comme avait tenté de le faire Mme Motalebzadeh en écrivant publiquement au responsable du système judiciaire, M. Gholam Hossein Mohseni-Ejei pour contester l’illégalité de son arrestation (sans mandat légalement obtenu) et dénoncer l’acharnement des membres des services de renseignement à son encontre à la prison d’Evin. Son maintien en détention, alors qu’elle devrait légalement être libérée pour avoir purgé le tiers de sa peine, est également éloquent.

Nous nous inquiétons de cette nouvelle technique de répression qui vise à briser  psychologiquement et physiquement les opposants et critiques emprisonnés en niant leur droit fondamental à accéder à des soins et en s’acharnant à les emprisonner – sous des motifs fallacieux – pour n’avoir fait qu’exercer leur droit à la liberté d’expression.

Malgré une libération récente et un âge avancé, les journalistes Kayvan Samimi Behbahani (73 ans) et Alireza Saghafi (69 ans), figures du journalisme iranien, ont récemment été renvoyés en prison pour purger respectivement 3 ans et 1 an derrière les barreaux. Le premier avait pourtant été libéré en février après que des médecins légistes ont confirmé son “incapacité à supporter les conditions de détention”, tandis que le second souffrait déjà au moment de son arrestation d’une tension artérielle élevée et d’une grande fatigue causée par une alimentation désastreuse en détention.

La pandémie de Coronavirus, malgré sa létalité en Iran, n’a pas non plus freiné le recours à cette technique de répression : Reza Khandan Mahabadi (60 ans), journaliste et membre de l’Association des écrivains iraniens hospitalisé début janvier après avoir vu son état de santé se dégrader lourdement des suites de son infection au Coronavirus, a été contraint à regagner sa cellule le 5 avril dernier, alors qu’il souffrait toujours de problèmes respiratoires.

La mort tragique de son co-détenu Baktash Abtin, également membre de l’Association des écrivains iraniens, trop tardivement pris en charge et décédé le 8 janvier 2022 des suites d’une contamination au Coronavirus à la prison d’Evin, n’aura pas servi de leçon aux autorités.

Hélas, les voix indépendantes qui tentent d’interpeller l’opinion publique iranienne sur ces privations de soin éhontées sont elles aussi réprimées, comme le photojournaliste Soheil Arabi, déjà lourdement emprisonné, qui a écopé d’une peine de 2 ans de prison ferme en avril dernier.

Cette situation catastrophique appelle donc des réponses fortes et immédiates de la part du Haut-Commissariat aux droits de l’homme. Nous vous demandons, au nom de la communauté internationale, d’enjoindre les autorités iraniennes à respecter leurs engagements internationaux, tout particulièrement le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), auquel l’Iran est partie. Il est également vital que vous appeliez à libérer sans condition l’ensemble des prisonniers d’opinion en Iran.

Si en vertu dudit PIDCP, la privation de soins médicaux constitue une violation de l’interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants, le droit iranien (art. 102 et 104-3 du Règlement intérieur des prisons en Iran) impose lui aux autorités pénitentiaires de dispenser aux prisonniers malades les soins nécessaires.

Le 15 janvier 2022, RSF avait appelé les rapporteurs spéciaux de l’ONU sur la situation des droits de l’homme en Iran, sur les exécutions extrajudiciaires et sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, à faire toute la lumière sur les circonstances de la mort de Baktash Abtin. Désormais, il s’agit de mettre un terme à ces comportements criminels qui relèvent de l’assassinat d’État.

Je vous prie d’agréer, Madame la Haute-Commissaire, mes sincères salutations.

 

Antoine BERNARD

Directeur, Plaidoyer & Assistance

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