Reporters sans frontières demande au président Rafael Correa de retirer deux requêtes exorbitantes contre la presse
Organisation :
M. Rafael Correa Delgado
Président de la République d’Équateur
Palais du Carondelet, Quito
Monsieur le Président, Vous venez d’engager coup sur coup deux procédures dans des affaires de presse. Organisation internationale de défense de la liberté de la presse, Reporters sans frontières s’inquiète fortement des conséquences de telles actions judiciaires, et des réclamations selon nous excessives que vous formulez. Engagée au mois de février, la première procédure, civile, pour “dommage moral”, vise Juan Carlos Calderón et Christian Zurita, auteurs du livre “Le grand frère”. Les deux journalistes y mettent en cause certains contrats passées par votre frère aîné, l’entrepreneur Fabricio Correa, et affirment que vous en étiez informés. Vous réclamez en l’occurrence réparation à hauteur de 10 millions de dollars. Le second dossier relève du pénal. Les poursuites engagées le 21 mars pour “injure calomnieuse” concernent trois directeurs du quotidien El Universo – Carlos, César et Nicolas Pérez -, ainsi que l’éditorialiste Emilio Palacio, dont nous connaissons l’extrême virulence. Dans une tribune publiée le 6 février sous le titre “Non aux mensonges !” ce dernier vous accuse notamment de vouloir amnistier les policiers à l’origine du soulèvement du 30 septembre 2010. Sans jamais citer votre nom, l’éditorialiste vous traite de “dictateur” et parle de “crime contre l’humanité”. Vous réclamez cette fois 80 millions de dollars de dommages et intérêts à El Universo et ses directeurs, ainsi qu’une peine de trois ans de prison pour chacune des quatre personnes visées par votre plainte. Nous ne nions pas la gravité - ni dans le cas de l’article d’El Universo, le caractère injurieux - des accusations portées contre vous. Nous estimons néanmoins que ces procédures sont lourdes de danger pour la liberté d’expression. Vous avez vous-mêmes déclaré réclamer justice non pas en tant que président de la République mais “à titre personnel”. Pourtant, vos détracteurs s’adressent à vous en tant que chef de l’État. Si votre fonction appelle par principe le respect, l’exercice du pouvoir expose par nature à la critique, même la plus radicale. C’est le lot de toute démocratie, en Équateur comme ailleurs. Quelle que soit leur véracité – et leur tonalité dans le cas de l’éditorial d’El Universo – de telles accusations soulèvent des questions d’intérêt public et appellent votre réponse sur le fond. Rien ne vous empêche d’y réagir publiquement devant les médias que vous assimilez parfois trop vite et sans distinction à des “ennemis”, quitte à autoriser un usage abusif des messages officiels (“cadenas”). Qu’espérez-vous, par ailleurs, en réclamant des sommes aussi exorbitantes et même des emprisonnements ? Croyez-vous par là empêcher “l’injure et la calomnie” ? Nous nous opposons de toute nos forces au traitement des délits de presse par des peines de prison effective. Un tel dessein contredit la jurisprudence interaméricaine et une tendance générale à la dépénalisation observée en Amérique latine. Il s’agit d’une atteinte gravissime à un principe démocratique fondamental. Il s’agit aussi d’une erreur politique : en obtenant gain de cause, vous risquez non seulement de pousser toute une profession à l’autocensure mais également de polariser davantage une presse qui l’est déjà bien assez. Le remède serait ici pire que le mal. Le crime de lèse-majesté appartient au passé. Un geste fort de votre part consisterait selon nous à retirer au moins vos réclamations, au mieux vos requêtes. Un gage de dépénalisation des délits de presse faciliterait également un consensus à terme autour de la loi de communication, dont nous avions souligné les aspects favorables au pluralisme et à la diversité des médias. En vous remerciant de l’attention que vous porterez à notre appel, je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma très haute considération. Jean-François Julliard
Secrétaire général de Reporters sans frontières
Président de la République d’Équateur
Palais du Carondelet, Quito
Monsieur le Président, Vous venez d’engager coup sur coup deux procédures dans des affaires de presse. Organisation internationale de défense de la liberté de la presse, Reporters sans frontières s’inquiète fortement des conséquences de telles actions judiciaires, et des réclamations selon nous excessives que vous formulez. Engagée au mois de février, la première procédure, civile, pour “dommage moral”, vise Juan Carlos Calderón et Christian Zurita, auteurs du livre “Le grand frère”. Les deux journalistes y mettent en cause certains contrats passées par votre frère aîné, l’entrepreneur Fabricio Correa, et affirment que vous en étiez informés. Vous réclamez en l’occurrence réparation à hauteur de 10 millions de dollars. Le second dossier relève du pénal. Les poursuites engagées le 21 mars pour “injure calomnieuse” concernent trois directeurs du quotidien El Universo – Carlos, César et Nicolas Pérez -, ainsi que l’éditorialiste Emilio Palacio, dont nous connaissons l’extrême virulence. Dans une tribune publiée le 6 février sous le titre “Non aux mensonges !” ce dernier vous accuse notamment de vouloir amnistier les policiers à l’origine du soulèvement du 30 septembre 2010. Sans jamais citer votre nom, l’éditorialiste vous traite de “dictateur” et parle de “crime contre l’humanité”. Vous réclamez cette fois 80 millions de dollars de dommages et intérêts à El Universo et ses directeurs, ainsi qu’une peine de trois ans de prison pour chacune des quatre personnes visées par votre plainte. Nous ne nions pas la gravité - ni dans le cas de l’article d’El Universo, le caractère injurieux - des accusations portées contre vous. Nous estimons néanmoins que ces procédures sont lourdes de danger pour la liberté d’expression. Vous avez vous-mêmes déclaré réclamer justice non pas en tant que président de la République mais “à titre personnel”. Pourtant, vos détracteurs s’adressent à vous en tant que chef de l’État. Si votre fonction appelle par principe le respect, l’exercice du pouvoir expose par nature à la critique, même la plus radicale. C’est le lot de toute démocratie, en Équateur comme ailleurs. Quelle que soit leur véracité – et leur tonalité dans le cas de l’éditorial d’El Universo – de telles accusations soulèvent des questions d’intérêt public et appellent votre réponse sur le fond. Rien ne vous empêche d’y réagir publiquement devant les médias que vous assimilez parfois trop vite et sans distinction à des “ennemis”, quitte à autoriser un usage abusif des messages officiels (“cadenas”). Qu’espérez-vous, par ailleurs, en réclamant des sommes aussi exorbitantes et même des emprisonnements ? Croyez-vous par là empêcher “l’injure et la calomnie” ? Nous nous opposons de toute nos forces au traitement des délits de presse par des peines de prison effective. Un tel dessein contredit la jurisprudence interaméricaine et une tendance générale à la dépénalisation observée en Amérique latine. Il s’agit d’une atteinte gravissime à un principe démocratique fondamental. Il s’agit aussi d’une erreur politique : en obtenant gain de cause, vous risquez non seulement de pousser toute une profession à l’autocensure mais également de polariser davantage une presse qui l’est déjà bien assez. Le remède serait ici pire que le mal. Le crime de lèse-majesté appartient au passé. Un geste fort de votre part consisterait selon nous à retirer au moins vos réclamations, au mieux vos requêtes. Un gage de dépénalisation des délits de presse faciliterait également un consensus à terme autour de la loi de communication, dont nous avions souligné les aspects favorables au pluralisme et à la diversité des médias. En vous remerciant de l’attention que vous porterez à notre appel, je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma très haute considération. Jean-François Julliard
Secrétaire général de Reporters sans frontières
Publié le
Updated on
20.01.2016