Équateur : les violences contre les journalistes doivent être une priorité pour le prochain gouvernement

Alors que la campagne pour l'élection présidentielle équatorienne entre dans sa dernière ligne droite avant le scrutin du 9 février, Reporters sans frontières (RSF) appelle tous les candidats à faire du renforcement de la sécurité des journalistes un objectif prioritaire. Au moins 19 journalistes ont été contraints à l'exil au cours des deux dernières années, signe que l'aggravation de la crise sécuritaire dans le pays pousse au bord de l'effondrement les protections insuffisantes dont bénéficient les professionnels des médias. 

L'exil, dernier recours, est de plus en plus fréquent en Équateur, car les journalistes sont de plus en plus confrontés à des menaces extrêmes. Selon le partenaire local de RSF, la Fundación Periodistas Sin Cadenas, 19 journalistes équatoriens ont fui depuis 2023, généralement après avoir reçu des menaces directes liées à leur travail d'investigation. Ces exils ont été enregistrés dans la région amazonienne, les provinces de Pichincha et Santo Domingo, et les provinces côtières comme Guayas et Manabí, qui représentent près de la moitié des cas enregistrés. Les journalistes ciblés couvrent généralement les conflits liés aux trafics, les conflits environnementaux liés au pétrole et les conflits concernant les terres indigènes.

L'un des cas les plus emblématiques s'est produit le 9 janvier 2024, lorsque le journaliste José Luis Calderón a été pris en otage lors du siège armé de TC Televisión. Quelques mois plus tard, se sentant menacé, il a lui aussi été contraint à l'exil. Plus récemment, en janvier 2025, un autre journaliste – dont l'identité restera anonyme pour sa sécurité – a fui l'Équateur après avoir survécu à une attaque armée et avoir subi pendant des mois des menaces de mort.

Malgré ses promesses d'améliorer la sécurité, le président Daniel Noboa n'a pas réussi à mettre en place de réelles protections pour les journalistes au cours des 18 derniers mois de sa présidence. En octobre 2024, RSF a publié un rapport exposant les graves lacunes du mécanisme de protection des journalistes en Équateur. Le programme reste sous-financé, mal coordonné et manque de soutien institutionnel, ce qui entraîne des retards et des défaillances dans les mesures de sécurité. Ces lacunes ont laissé les journalistes exposés aux menaces, alimentant la peur, l'autocensure et l'exil. RSF appelle tous les candidats à l'élection présidentielle à s'engager à mettre en œuvre des politiques concrètes qui garantissent la liberté de la presse, protègent les journalistes et mettent fin à l'impunité pour les crimes commis contre eux.

“La liberté de la presse en Équateur est à un point de rupture. L'exil n'est plus une exception, il est devenu une nouvelle réalité sinistre. Enquêter sur la corruption, le crime organisé et les abus commis par l'État comporte désormais des risques mortels. Le nouveau gouvernement doit prendre des mesures immédiates pour protéger les journalistes, renforcer les mécanismes de sécurité et démanteler les réseaux criminels qui contraignent les reporters à l'exil. Dans le cas contraire, le pays sera soumis au silence.

Artur Romeu
Directeur du bureau Amérique latine de RSF

Le prochain gouvernement doit donner la priorité à ces actions :

  • Renforcer le mécanisme de protection des journalistes, en garantissant un cadre légal à la politique de protection, un budget régulièrement alloué, une équipe technique qualifiée pour gérer les questions de sécurité et des protocoles spécifiques d'assistance aux journalistes. Actuellement, ni les ministères ni le bureau du procureur ne sont chargés du suivi des réunions de mise en œuvre du mécanisme, ce qui explique que les mesures approuvées soient restées dans les limbes.
  • Mettre fin à l'impunité en démantelant les liens entre le crime organisé et les acteurs politiques, militaires et policiers. Tant que les crimes contre la presse ne seront pas considérés comme une priorité par l'État, la violence contre les journalistes restera une stratégie efficace pour faire taire les voix qui critiquent les pouvoirs politiques et économiques.
  • Fournir des garanties juridiques et institutionnelles pour empêcher que les journalistes soient contraints à l'exil en raison de menaces, de harcèlement ou de persécutions légales. Le premier pas dans cette direction est de prendre une position publique condamnant les attaques contre la presse et reconnaissant le rôle vital du journalisme dans la démocratie, ce que le président Noboa n'a pas encore fait, alors que les journalistes sont devenus une cible permanente des groupes criminels.

Les élections générales en Équateur se tiendront le 9 février 2025, avec un éventuel second tour le 13 avril 2025. Le président sortant Daniel Noboa, qui a pris ses fonctions en 2023, cherche à se faire réélire face à la principale opposante, Luisa González. L'élection se déroule dans un contexte de hausse de la criminalité, d'instabilité économique et de crise énergétique, ce qui fait de la sécurité et des attaques contre ceux qui fournissent des informations vitales au public une question cruciale.

Pour répondre à ce scénario, RSF a lancé un projet visant à aider les journalistes équatoriens à continuer à couvrir les élections présidentielles. L'organisation a distribué 75 batteries externes et stations électriques externes à plus de 50 journalistes et 21 médias locaux – dont des sites web, des stations de radio et des chaînes de télévision – dans 24 villes du pays.

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