Reporters sans frontières dénonce la violation systématique de la liberté d'expression au Tibet

Reporters sans frontières est scandalisée par les atteintes systématiques à la liberté de la presse et à la liberté d'expression au Tibet. Les journalistes étrangers peuvent de plus en plus difficilement se rendre dans la province himalayenne, où la liberté de parole est réprimée bien plus sévèrement encore qu'en Chine.

Reporters sans frontières est scandalisée par les atteintes systématiques à la liberté de la presse et à la liberté d'expression au Tibet. Les journalistes étrangers peuvent de plus en plus difficilement se rendre dans la province himalayenne, où la liberté de parole est réprimée bien plus sévèrement encore qu'en Chine. Au cours de ces derniers jours, le directeur d'un site Internet tibétain a été arrêté, un autre site consacré à la culture tibétaine a été fermé, et les services de SMS ont été suspendus dans certaines régions de la province du Sichuan. "Nous demandons à les journalistes étrangers puissent se rendre librement au Tibet et dans les régions tibétaines. Par ailleurs, nous appelons les autorités chinoises à accorder plus de liberté éditoriale aux médias basés au Tibet et de cesser de brouiller les émissions des radios internationales en tibétain", a affirmé l'organisation. "La répression entamée après les événements de mars 2008 n'a jamais cessé. Les autorités ont déployé des moyens considérables pour imposer par la force la version officielle des événements, niant l'existence des victimes tibétaines. Les déclarations haineuses de certains officiels chinois à l'encontre des Tibétains sont inadmissibles. Le maintien de la stabilité, leitmotiv du gouvernement, se transforme au Tibet en répression implacable des voix dissidentes", a ajouté Reporters sans frontières. A l'approche du 50e anniversaire du soulèvement tibétain de 1959, les autorités locales ont renforcé la propagande dans la presse. Le Quotidien du Tibet a affirmé dans un éditorial, le 16 février, que la Chine était engagée dans une "lutte de classes à la vie à la mort" contre la "clique du dalaï-lama et les forces occidentales hostiles". Au cours de ces derniers jours, les autorités chinoises au Tibet et à Pékin ont systématiquement démenti les informations sur des incidents impliquant des Tibétains. Ainsi, le 18 février, un officiel de Litang a indiqué à l'Agence France-Presse qu'aucune manifestation n'avait eu lieu dans ce district du Sichuan, alors que plusieurs sources indiquaient qu'au moins 20 Tibétains avaient été arrêtés par la police après un rassemblement pacifique. Depuis des décennies, la presse étrangère ne peut se rendre librement au Tibet. Ce contrôle a été renforcé après les événements de mars 2008. A la veille du nouvel an tibétain et du 50e anniversaire, les étrangers ont été interdits d'accès au Tibet, au moins jusqu'au 1er avril 2009, rendant de fait impossible la présence d'observateurs indépendants. Les touristes étrangers présents à Lhassa ont été priés de quitter la province himalayenne au plus vite. Les autorités chinoises ont organisé de rares voyages de presse au Tibet, le dernier ayant eu lieu mi-février 2009. Mais, comme le font remarquer les journalistes du groupe de presse français Hikari, les "règles sur le choix des médias sélectionnés ne sont pas connues et les médias sélectionnés ne sont pas libres de leurs déplacements". A l'issue de visites de monastères vidés de leurs moines, Arnaud de La Grange du quotidien français Le Figaro s'interroge : "Pourquoi ne pas autoriser un libre accès des journalistes au Tibet, comme ailleurs en Chine ?" Les reporters étrangers qui tentent d'enquêter dans les régions tibétaines sans être guidés par les autorités sont régulièrement entravés dans leur travail ou malmenés, en violation des régulations pour les correspondants internationaux, renouvelées en octobre 2008. Début février, deux journalistes de la société de production française Hikari ont été empêchés de travailler puis interpellés à Xiahe, ville du Gansu où se trouve le monastère de Labrang. "Des policiers nous ont emmenés dans un hôtel, où nous avons attendu deux heures, avant d'être ramenés à l'aéroport de Lanzhou, à plusieurs centaines de kilomètres, en voiture de police avec gyrophare". Avant d'être expulsés, les journalistes ont constaté que les autorités avaient mis en place un dispositif sécuritaire pour empêcher les étrangers d'accéder à cette zone, grâce notamment à des barrages sur les routes. De son côté, Edward Wong, reporter du quotidien New York Times, a été détenu pendant près de 20 heures par la police alors qu'il enquêtait sur la présence militaire dans la province du Gansu. "Les étrangers n'ont pas besoin d'autorisation pour aller dans cette région, mais la police a refusé de donner des explications", a écrit le journaliste dans son article. Par ailleurs, l'agence Associated Press a annoncé que ses reporters avaient été récemment interpellés deux fois dans des régions tibétaines. Quand ils arrivent à entrer au Tibet, notamment avec des visas de touriste, les journalistes sont confrontés à la peur des Tibétains de témoigner. "La présence massive des forces de sécurité, mais aussi les caméras placées à de nombreux endroits de la ville, créent un sentiment général de méfiance et de paranoïa. Les Tibétains savent très bien qu'ils risquent très gros s'ils parlent à un étranger. (...) Beaucoup d'habitants de Lhassa sont persuadés qu'il y a des micros et des caméras aux coins des rues, dans les magasins et dans les taxis", a expliqué à Reporters sans frontières une journaliste européenne qui s'est rendue à Lhassa en 2008. Plusieurs sources ont confirmé qu'à l'approche du 10 mars, Internet était particulièrement lent dans les régions tibétaines. Mais, les appels à boycotter le nouvel an tibétain, Losar, ont largement circulé sur les blogs et les forums de discussion en tibétain. Tandis que les médias de Pékin ont retransmis des festivités et célébré le calme et la joie au Tibet après "50 ans de réformes démocratiques". Kunchok Tsephel Gopey, directeur du site en tibétain Chomei (La Lampe), tibetcm.com, a été arrêté à la veille du nouvel an tibétain, le 26 février, par des policiers chinois à Gannan, dans la province du Gansu. Reporters sans frontières redoute que Kunchok Tsephel Gopey ne soit soumis à de mauvais traitements comme cela avait déjà été le cas en 1995, lors d'une précédente arrestation. Selon ses proches, sa maison a été fouillée et son ordinateur confisqué. Créé en 2005, tibetcm.com vise à promouvoir les arts tibétains. Malgré des censures répétées de la part des autorités, le site a permis à de jeunes poètes et artistes tibétains de présenter leurs travaux. Un autre site tibétain, tibetcul.com, n'est plus accessible depuis le 5 mars. Un message publié sur la page d'accueil indique que cette fermeture est liée à des "raisons techniques", tout en remerciant les internautes pour leur "soutien". Par ailleurs, depuis plusieurs jours, les services de SMS ne fonctionnent plus dans les régions tibétaines du Sichuan. En 2008, des manifestations avaient été organisées grâce à l'usage de SMS. Et les autorités de Pékin ont mis en garde les gouvernements étrangers qui oseraient dénoncer ce contrôle militaire et la répression au Tibet. "Il est impossible pour les pays occidentaux de coopérer avec la Chine s'ils ne suivent pas une position objective et claire sur le Tibet", a mis en garde le Quotidien de Chine, l'un des organes de presse du Parti communiste chinois, dans son édition du 5 mars 2009. Reporters sans frontières a recueilli les témoignages de Tibétains récemment arrivés dans le nord de l'Inde. Certains témoignent des avertissements des autorités locales à l'encontre des contacts avec les étrangers. "L'année dernière, quelques journalistes étrangers ont réussi à venir dans notre village, mais les policiers avaient menacé la population, lui demandant de ne pas leur parler", a expliqué un jeune homme originaire du Kham. Un moine qui a été emprisonné cinq ans témoigne des contrôles qu'il continue de subir à Lhassa : "Des policiers me suivent régulièrement. Dans les cybercafés, ils contrôlent mon document d'identité et de nombreux sites en tibétain sont bloqués." Pour Tenpa Dhargye, un Tibétain qui a passé presque cinq ans en prison, "toute personne qui tente d'accéder à un site Internet tibétain libre devient un homme du dalaï-lama, et doit donc être prêt à atterrir en prison". Vague de condamnations pour "envoi illégal d'informations à l'étranger" Reporters sans frontières appelle les autorités de Pékin à procéder à la libération de tous les Tibétains détenus pour des délits d'opinion, et notamment pour avoir envoyé des informations à l'extérieur du Tibet. Depuis mars 2008, Reporters sans frontières a enregistré une augmentation significative des procès de Tibétains accusés d'avoir envoyé des informations à l'étranger, principalement vers les communautés tibétaines en exil. Le 27 octobre et le 7 novembre 2008, la Cour intermédiaire de Lhassa a condamné sept Tibétains pour avoir participé à des manifestations et avoir envoyé illégalement des informations hors de Chine. Les peines allaient de 8 ans de prison à la condamnation à vie. L'un d'eux, Wangdue, a été condamné à la prison à vie pour avoir "mis en danger la sécurité de l'Etat". Ancien prisonnier politique, il militait dans la lutte contre le VIH au Tibet. Il a été détenu au secret du 14 mars au 7 novembre 2008 par le Bureau de la Sécurité publique de Lhassa. Migmar Dhondup a été condamné à 14 ans d'emprisonnement pour avoir également "mis en danger la sécurité de l'Etat". De son côté, Phuntsok Dorjee a été condamné à 9 ans de prison et privé de ses droits politiques pendant 5 ans pour "trahison" car il a "donné illégalement des informations" à des personnes se trouvant hors de Chine. Tsewang Dorjee a été condamné à 8 ans d'emprisonnement pour les même motifs. De même pour Sonam Dakpa et Sonam Tseten, condamnés à 10 ans de prison, et Yeshi Choedon, condamné à 15 ans de prison. Selon l'organisation Tibetan Centre for Human Rights and Democracy (TCHRD), la Cour intermédiaire de Kardze, dans le comté de Dartsedo (province du Sichuan) a condamné, le 23 octobre 2008, à 13 ans de prison, un jeune moine et éditeur de 23 ans, Ludrub Phuntsok, originaire de Ngaba (Sichuan). Reconnu coupable de "mise en danger de la sécurité de l'Etat", il avait été arrêté suite à sa participation à une manifestation pacifique le 16 mars 2008 au Tibet. Elève brillant du monastère d'Amchok, il était l'éditeur du périodique Maseng Shedra (Flowers of expression). Un autre écrivain tibétain, Logyam, originaire de Ngaba et âgé de 36 ans, est toujours détenu dans la prison de Maowar (Sichuan) où il purge une peine de six ans de prison. Il rédigeait des articles pour le magazine Maseng Shedra. Il est détenu par les autorités chinoises depuis 2005. On lui reproche d'avoir compilé et diffusé des articles et des discours du dalaï-lama. A plusieurs reprises, des gardes l'auraient violemment frappé pour avoir refusé de critiquer le chef spirituel tibétain. A l'approche du 10 mars, les forces de sécurité, dont la présence a été renforcée au Tibet, ont interpellé des dizaines de Tibétains. La majorité d'entre eux sont détenus dans l'ancien camp militaire de Denggongtang, à l'est de Lhassa, ou renvoyés manu militari dans leur région d'origine.
Publié le
Updated on 20.01.2016