Réponses aux détracteurs de Liu Xiaobo (刘哓波)

L’attribution du prix Nobel de la paix au dissident chinois Liu Xiaobo, condamné à onze ans de prison pour “subversion”, fait couler beaucoup d’encre et enflamme les débats. Chacun tente de comprendre la portée de cette décision et les motivations du Comité norvégien. En Chine comme en Occident, certains émettent des doutes quant aux intentions et aux raisons de cette attribution. Liu Xiaobo est-il un homme de paix ? Le Comité Nobel ne s’éloignerait-il pas de son but originel ? Pourquoi l’Occident semble-t-il fêter cette nouvelle alors que les autorités chinoises répondent par la menace et la censure ? Reporters sans frontières souhaite participer à ce débat et apporter des réponses à ces questions, non pas en direction des convaincus de l’importance du combat mené par Liu Xiaobo, mais pour les sceptiques et les indécis. Aux détracteurs de Liu Xiaobo et du Comité norvégien, qui mettent en doute le bon droit, l’ampleur et l’utilité de la décision de le récompenser du prix Nobel de la paix, Reporters sans frontières propose une série de témoignages argumentés d’intellectuels, sinologues, avocats, défenseurs des droits de l’homme chinois et étrangers. Autant de clés pour mieux comprendre les enjeux de l’"affaire Liu Xiaobo”. -Critique 1 : « Liu Xiaobo est un dissident « à l’occidentale ». Après ses voyages en Occident, il a été très influencé, et pense la démocratie à l’occidentale. Certains affirment qu’il est impossible d’appliquer un modèle démocratique occidental en Chine, et que les aspirations de Liu Xiaobo seraient inapplicables. Son combat est fictif et détaché de la réalité chinoise. » Perry Link, spécialiste de littérature chinoise contemporaine, enseigne dans les universités de Princeton et California-Riverside aux Etats-Unis. Il est l’auteur d’ouvrages sur la Chine et a également traduit de nombreux livres chinois en anglais, The Tiananmen Papers qu’il a co-édité avec Andrew J.Nathan, sur les événements de 1989. Il est interdit de séjour en Chine depuis 1996. « Liu Xiaobo a effectivement été influencé par les penseurs occidentaux dans les années 1980, lorsqu’il portait son regard sur l’extérieur. Cependant, quand il s’est rendu à Oslo et à New York entre 1988 et 1989, il a été déçu par les intellectuels occidentaux et extrêmement critique vis-à-vis du style de la “théorie critique” pratiquée en Occident. Donc, les gens se trompent quand ils affirment qu’il a été influencé par l’Occident lors de son voyage. Ce fut l’inverse. La Charte 08 reflète les valeurs universelles. Certains passages sont tirés de documents français ou américains, mais également de déclarations d’Afrique du Sud, de Taïwan, de l’ancienne Tchécoslovaquie et, bien sûr, de la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations unies. Ceux qui soutiennent que ces idées sont purement occidentales se trompent. Il est infondé et, si je peux me permettre, un peu stupide de dire que les “aspirations" de Liu Xiaobo sont inapplicables. Cela sonne comme une déclaration politique partisane, et non pas comme une analyse historique responsable. » -Critique 2 : « Liu Xiaobo n’est pas connu en Chine. La nouvelle de son prix n’a eu que peu d’impact dans son propre pays, et la grande majorité de la population chinoise n’a jamais entendu parler de lui. Pourquoi le Comité Nobel a-t-il donc élu une personnalité si méconnue dans son propre pays ? » Teng Biao (滕 彪) est avocat, défenseur des droits de l’homme et juriste chinois. Il enseigne à l’université de sciences politiques et de droit de Pékin (中国政法大学). Il est l’un des fondateurs de l’ONG Open Constitution Initiative (公盟推荐), depuis fermée par les autorités. Il a tout particulièrement soutenu Hu Jia et Chen Guangcheng. « La liberté d’expression n’existe pas en Chine. De nombreux journalistes et écrivains restent enfermés en prison. Le contrôle très strict de l’information empêche le grand public de connaître l'identité de ces prisonniers politiques. Les autorités locales font leur possible pour maintenir une éducation de l’ignorance et de l’oubli. A cause de cela, la grande majorité de la population n’a pas les clefs pour comprendre certains événements du passé et s’en remet totalement à la version gouvernementale. De nombreux jeunes Chinois restent dans l’ignorance sur les événements du 4 juin, sur l’affaire Zhao Ziyang et la Révolution culturelle. Malgré tout cela, Liu Xiaobo s’est battu pour la paix, la démocratie et les droits de l’homme. Il a tenu bon pendant vingt ans. Il jouit d’un très grand prestige au sein des Chinois qui aspirent à la démocratie. Il est l'un des principaux initiateurs de la Charte 08 qui dessine l’horizon des réformes politiques et qui influencera de plus en plus les intellectuels, ainsi que toute la société chinoise. Liu Xiaobo est un excellent représentant des intellectuels et des défenseurs des droits de l’homme chinois. Les pionniers de la société font obligatoirement partie d’une minorité. Ils indiquent le sens de l'histoire et possèdent une conscience intuitive. Ils expriment les non-dits, les peurs, les abus, les injustices, la réalité dont la majorité n’ose pas parler. La décision du Comité Nobel va accélérer le processus de pacification en Chine. Tous les Chinois qui possèdent cette connaissance intuitive remercient Liu Xiaobo du fond du cœur. » -Critique 3 : « Liu Xiaobo n’est pas représentatif de la population chinoise. C’est un lettré, un intellectuel, professeur de philosophie et écrivain, il fait partie de l’élite. Il ne représente pas le peuple et possède une éducation bien différente de celle de ses concitoyens. Comment peut-on alors imaginer qu’il puisse les représenter, ce que devrait faire un lauréat du prix Nobel de la paix ? » Li Xiaorong (李晓蓉) a tout d’abord enseigné la philosophie à l’université du peuple de Pékin (北京人民大学), avant de s’exiler aux Etats-Unis après les événements de 1989. Elle est chercheuse et professeur de philosophie et de politique publique à l’université du Maryland. « Tant qu'il n'y a pas de démocratie, il est impossible de savoir qui représente la majorité de plus de 50% de Chinois qui voteraient à des élections générales. Si vous êtes convaincus que le droit de vote est un droit universel, alors, ce qu’a fait Liu Xiaobo en s’exprimant pour défendre ce droit, équivaut à donner la parole à tous les Chinois qui ont été privés de ce droit fondamental. Dans un pays où la liberté de la presse n’existe pas, où la liberté d’expression peut être criminalisée, il faut du courage pour parler au nom de la vérité et de la justice. C’est ce qu’un intellectuel défenseur de l’intérêt général est capable de faire, et c’est aussi la meilleure chose qu’il sache faire. Il utilise ses idées, ses talents d’analyse et d’écriture, pour stimuler la pensée critique, pour dire la vérité, faire entendre les préoccupations et les plaintes de ceux qui n’ont pas la parole, formuler des aspirations, exprimer des idées au nom des exclus et promouvoir un combat juste. En cela, Liu Xiaobo est devenu, grâce à ses écrits, un porte-parole courageux et puissant, un représentant des aspirations du peuple chinois pour la liberté et la démocratie. Le fait que Liu Xiaobo s'est vu interdire par les autorités de publier ses articles, et d'avoir un espace d'expression dans les médias nationaux, est le résultat de la censure de la presse. Cela ne veut pas dire qu'il n’exprime pas les inquiétudes et les espoirs de la population chinoise. Le condamner au silence et ensuite l’accuser de ne pas représenter les préoccupations du peuple ou de ne pas représenter le peuple lui-même, est un argument qui ne tient pas debout. Le seul moyen de vérifier si cette conclusion correspond à la réalité, est de lever la censure en Chine, laisser les articles et les livres de Liu Xiaobo circuler sans entraves, et permettre à ses lecteurs de discuter ses idées librement. Ce n’est qu’en levant la censure en Chine, en permettant la libre circulation des articles et des œuvres de Liu Xiaobo, et en autorisant les lecteurs à en discuter librement, que l’on pourra émettre une telle conclusion. » -Critique 4 : « D’après « Excerpt from the Will of Alfred Nobel » de la Fondation Nobel, le lauréat du prix Nobel de la paix devrait être une personne qui « devrait avoir œuvré pour la fraternité entre les nations, l’abolition ou la réduction des interventions armées, et pour la promotion de la paix et la tenue de congrès en sa faveur ». A première vue, Liu Xiaobo n’apparaît pas comme étant un acteur incontournable de la paix en Chine ou dans le monde. Qu’a fait Liu Xiaobo pour la paix ? En quoi se distingue-t-il d’un simple dissident politique ? » Wang Longmeng (王龙蒙) a participé au mouvement étudiant de Tiananmen en 1989. Il vit actuellement à Paris où il milite en faveur de la démocratie en Chine. Il est également l’un des responsables de l’Association sino-tibétaine ("汉藏联盟").



« De mon point de vue, l’attribution du prix Nobel de la paix sonne comme un avertissement de la communauté internationale au pouvoir despotique chinois. Un signal pour avertir le Parti communiste qu’il doit suivre le sens de l'histoire, et ne pas continuer à s’opposer au reste de l'humanité. Jusqu’à ce jour, aucun pays n’a pu développer sa civilisation indépendamment du reste du monde. Tous les gouvernements doivent se conformer aux valeurs communes de l’humanité que sont la liberté, l’égalité et la fraternité pour chaque homme, peu importe la couleur de sa peau ou son origine. La Chine ne fait pas exception. Ce prix a justement révélé ceci : les droits de l’homme sont souverains. Il n'est pas étonnant que le gouvernement chinois soit en colère et se sente humilié. Puisque notre gouvernement n'est pas élu par son peuple, il ne représente pas 1,3 milliard de personnes. Liu Xiaobo a inlassablement tenté de révéler ces réalités. Le gouvernement a alors eu peur que la population chinoise ne s'inspire de ses écrits, et qu'elle ne se retourne contre lui dans le but de renverser la dictature. Il fallait donc faire disparaître physiquement et intellectuellement Liu Xiaobo ! ll est normal que les Chinois expatriés n'aient pas le même avis sur l'attribution du prix Nobel à Liu Xiaobo que les citoyens en Chine. Objectivement, un grand nombre de démocrates chinois auraient mérité ce prix. Cependant, avec sa personnalité, son savoir et sa situation actuelle, Liu Xiaobo le méritait encore plus. D'après moi, trois catégories de personnes s'opposent à cette décision. Tout d’abord, ceux qui ne comprennent pas ou se trompent sur le cas de Liu Xiaobo. Mais on peut encore les convaincre. Ensuite, ceux qui, par mesquinerie, ou jalousie pensent qu’ils auraient eux-mêmes mérité ce prix et se demandent pourquoi il a été décerné à Liu Xiaobo. Ceux-ci ne se laisseront pas convaincre. Enfin, ceux qui soutiennent le gouvernement et le Parti communiste chinois. Ils tentent, par tous les moyens, de calomnier Liu Xiaobo et de semer la confusion au sein de la communauté internationale et des défenseurs des droits de l’homme. De toute manière, n’importe quel Chinois qui aurait obtenu ce prix aurait été critiqué par ces trois groupes de personnes. Leur véritable cible est le prix Nobel et non pas le lauréat lui-même. » -Critique 5 : « L’Europe fait la leçon à la Chine sur la question de la démocratie, alors qu’elle est loin d’être parfaite. Cette décision du Comité Nobel pourrait-elle être considérée comme une façon inappropriée de faire la morale à la Chine ? » Chang Ping (长平) est un éditorialiste et défenseur de la liberté de la presse chinois. Son engagement lui a coûté son poste de rédacteur en chef du Nanfang Dushi Bao (南方都市报) en mai 2008, après avoir publié un éditorial sur les événements au Tibet. Il a également été interdit de publication dans le journal du Nanfang Zhoumo (南方周末). « A partir des années 1990, la société chinoise a été éduquée dans l’esprit de consolider l’économie de marché et d’appliquer un nouveau système légal assujetti aux principes politiques. A partir de là, les Chinois ont cru qu’aucune justice n’existait dans le monde et que tout n’était qu’échange d’intérêts. Avec le développement économique, de nombreux Chinois croyaient qu’à cause de l’appât du gain et de la pression des intérêts commerciaux, les Occidentaux oseraient de moins en moins décrier le non-respect des droits de l’homme en Chine. Cette année, l’attribution du prix Nobel de la paix a pour le moins fait office d’avertissement. Il existe encore dans le monde une force qui dévoile courageusement la justice, la liberté et la paix. La démocratie en Occident comporte encore de nombreux défauts, mais cela n’empêche pas les Européens de faire des efforts en faveur de la paix dans le monde. Si les Chinois encourageaient les défenseurs occidentaux des droits de l’homme, je pense que ce ne serait pas problématique, mais que ce serait, au contraire, une très bonne chose. La démocratie n’est pas un résultat, mais un processus. Un processus dans lequel chacun peut exprimer son propre point de vue. Encourager la poursuite non violente de la justice arrive toujours à point nommé. Les Chinois n’ont pas besoin qu’on leur apprenne la démocratie, mais ont besoin d’être encouragés et soutenus. » -Critique 6 : « L’attribution du prix Nobel de la paix devient un enjeu trop politique. D’abord le président des Etats-Unis Barack Obama, puis Liu Xiaobo. On reproche au Comité Nobel de s’éloigner de ses intentions originelles et d’essayer de s’immiscer dans des affaires politiques internes et internationales qui ne le regardent pas. » Shirin Ebadi, avocate iranienne. Elle a fondé l’Association des défenseurs des droits de l’homme en Iran. Elle a reçu le prix Rafto en 2001 puis le prix Nobel de la paix en 2003 pour son engagement en faveur des libertés en Iran.



« Les droits de l'homme sont un standard universel pour permettre à tous les êtres humains de vivre en bonne harmonie. Ils n'ont rien à voir avec l'Occident ou l'Orient, ni avec le capitalisme ou le socialisme. Rendre hommage à un militant des droits de l'homme, ce n'est pas une ingérence dans une affaire intérieure, car les droits de l'homme sont universels. Liu Xiaobo est un militant, je suis désolée qu'il soit en prison, mais je suis convaincue qu'il sera bientôt libéré. J'espère que le gouvernement chinois va comprendre qu'il s'agit d'une erreur de l'emprisonner et de menacer les pays de ne pas participer à la cérémonie du Nobel. Je suis navrée que mon pays, l'Iran, ait décidé de ne pas participer à cet hommage universel à un militant des droits de l'homme. » Jean-François Julliard : Secrétaire général de Reporters sans frontières, organisation internationale de défense de la liberté de la presse.





« Nous pensons que ce prix est utile et va aider ceux qui se battent pour ouvrir l’espace démocratique en Chine. Il a ouvert une nouvelle brèche au sein du Parti communiste chinois. La preuve, vingt-trois hauts responsables à la retraite ont signé une lettre commune demandant que l'article 35 de la Constitution chinoise, qui garantit liberté de la presse et liberté d'expression, soit appliqué. C'est exactement ce que demande Liu Xiaobo. Le Nobel de la paix protège et précipite les changements. Desmond Tutu en Afrique du Sud, Andrei Sakharov en URSS, Shirin Ebadi en Iran, ou encore Lech Walesa en Pologne, ont dit mille fois que cette récompense prestigieuse les avait aidés à poursuivre leur combat contre l'apartheid ou des régimes autoritaires. Après la déception du prix accordé à Barack Obama l’an dernier, le Comité Nobel a marqué son retour dans la défense de ceux qui paient cher le prix de leur engagement pour la défense des libertés fondamentales. Liu Xiaobo doit signifier le retour d’un soutien ferme et déterminant de la communauté internationale aux côtés des militants des droits de l’homme. » Signez la pétition en faveur de la libération de Liu Xiaobo: http://fr.rsf.org/petition-liu-xiaobo,38700.html
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Updated on 20.01.2016