Qui a dit que les Chinois étaient muets ?
Organisation :
La Grande muraille électronique se dresse tout autour de la Chine, toujours plus haute et toujours plus efficace. Le gouvernement maintient le contrôle sur la presse écrite. Les gouverneurs ou les dirigeants du parti unique continuent à ordonner l'arrestation de journalistes, de blogueurs et d'intellectuels. La liberté de la presse est piétinée par les directives du Département central de la propagande et plusieurs responsables locaux.
Et pourtant, de nombreux journalistes, internautes, blogueurs, artistes, avocats et intellectuels parviennent, grâce à leur persévérance et leur courage, à ouvrir des brèches dans la censure chinoise. Au cours des dernières semaines, Reporters sans frontières a recensé de nombreux cas encourageants, autant de victoires des militants de la liberté d'expression.
La lutte contre la censure est certes une bataille menée par les Chinois, mais elle requiert le soutien nécessaire de la blogosphère mondiale et des entreprises des secteurs de l'information. Ce combat pour la liberté d'expression dans la Chine d'aujourd'hui, nouvelle grande puissance internationale, doit pouvoir compter sur des gestes forts de solidarité.
C'est pour cette raison que Reporters sans frontières soutient vivement la candidature de l'intellectuel chinois Liu Xiaobo(刘哓波) au prix Nobel de la paix. Fervent défenseur de la liberté d'expression, Liu Xiaobo, condamné à onze ans de prison pour la Charte 08, incarne le combat pacifique et généreux des partisans de la liberté en Chine et dans le monde.
La mobilisation paie
Plusieurs faits et événements récents présagent un tournant favorable, montrant l'efficacité de la mobilisation de la profession et des internautes contre la censure et la répression.
"Je ne regretterai jamais l'écriture de ce livre", revendique l'écrivain Xie Chaoping, le jour de sa libération, le 17 septembre, après plusieurs semaines passées en prison. Les autorités du Shaanxi lui reprochaient ses enquêtes et la publication de son ouvrage sur le barrage de Sanmenxia. Les autorités l'ont libéré sous caution par manque de preuves et sous la pression des mobilisations publiques (pour en savoir plus: http://fr.rsf.org/chine-un-journaliste-arrete-pour-son-07-09-2010,38295.html)
"J'ai publié la vérité", peut également affirmer Qiu Ziming, après que les autorités du Zhejiang ont abandonné, le 29 juillet, leurs poursuites contre le journaliste de The Economic Observer. Celui-ci avait été inculpé de diffamation pour avoir dénoncé les mauvaises pratiques d'un important producteur de batteries. Le journaliste avait alors pris la fuite, tout en clamant son innocence sur son blog et exigé des excuses de la part de la police du Suichang. Il a été soutenu par un grand nombre d'internautes, devenant un véritable héros du Net chinois.
(Pour en savoir plus sur l'affaire Qiu Zimin: http://fr.rsf.org/china-un-denouement-heureux-03-08-2010,38060.html)
"Le chef de la police de Pékin s'est excusé auprès de moi, du magazine Caijing et de tous les journalistes", a écrit Luo Changping, rédacteur en chef adjoint du magazine Caijing, le 21 septembre sur le réseau Twitter. Il avait été arrêté par la police de la capitale pour son enquête "Les compagnies de sécurité se voient confier la tâche spéciale d'intercepter les pétitionnaires". Luo Changping précise que la police a promis de ne pas poursuivre en justice les personnes liées à cet article. Pour suivre Luo Changping sur Twitter: http://twitter.com/lianyue
Les journalistes se serrent les coudes
Ces bonnes nouvelles sont le résultat d'une mobilisation publique dont l'impact sur les autorités chinoises est de plus en plus fort. Dans certains cas, cette "agitation" a été initiée par des associations de journalistes, des médias ou des groupes informels de journalistes régionaux.
"Le développement d'Internet ouvre de nouvelles possibilités. Si un site est fermé, un autre se crée ailleurs. Le gouvernement se trompe : supprimer et fermer des sites n'est pas la bonne méthode. Il devrait plutôt tenter de résoudre les problèmes", déclare Xiao Jianfeng, directeur du Hunan Ribao (Le quotidien du Hunan), suite à la fermeture par les autorités d'un forum de discussion très prisé des journalistes : Dushibao Lianmeng (Association des journaux des métropoles). Le forum permettait l'échange d'informations et accueillait les discussions entre les rédactions de treize journaux locaux, sous l'impulsion du Nanfang Dushi Bao, basé dans le sud de la Chine.
Certains débats lancés par Dushibao Lianmeng, comme celui sur l'abolition du système du hukou, ou permis de résidence, en Chine, avaient "fâché" plusieurs dirigeants du PCC. Les journalistes avaient appelé ensemble à la suppression de ce système qui discriminerait les résidents ruraux travaillant en ville. Dans les conclusions de son enquête, en mars 2010, sur cet "incident", le Bureau de la propagande avait proposé la suppression du forum. Ye Du, un journaliste basé à Canton et ancien membre de ce forum, explique que la solidarité entre médias se développe discrètement. A titre d'exemple, si un journal ne peut pas couvrir des informations censurées sur sa propre province, un journal d'une autre province voisine se chargera de reprendre l'affaire. Même s'ils la déplorent, la plupart des participants de ce forum pensent que sa fermeture n'aura qu'un très faible impact sur la liberté de la presse et qu'un autre espace de discussion prendra très vite le relais.
"La police n'a pas le droit d'arrêter les journalistes sans raison", affirme la banderole tenue par une dizaine de reporters venus protester le 28 août à Yichun, au nord-est du pays, pour dénoncer l'interpellation de quatre collègues par les autorités locales. Ils étaient venus couvrir le crash d'un avion qui avait fait 42 morts près de cette ville frontalière avec la Russie. Les journalistes ont manifesté silencieusement à deux reprises, devant le bureau local du Département de la propagande. Les images de cette manifestation sont immédiatement diffusées sur Internet. Dans l'après-midi, les journalistes détenus ont été relâchés et ont reçu les excuses des autorités locales.
Jeux de mots et caricatures, les nouvelles armes contre la censure
Les Chinois sont de fervents adeptes des jeux de mots. La langue chinoise regorge d'homophones et se prête très facilement à cet exercice.
Depuis plusieurs années, les internautes se sont attaqués avec humour et créativité aux censeurs du Net. La résistance contre la censure est représentée par une créature mythique appelée le Caonima (cheval fait d'herbe et de boue), un homonyme pour "Nique ta mère". Les internautes ridiculisent la censure du PCC en créant de faux reportages animaliers et des chansons sur le Caonima : http://www.youtube.com/watch?v=wKx1aenJK08&feature=player_embedded
Plus récemment, le lézard Yake, ou "yakexi" en chinois, est apparu à la suite du show télévisé du nouvel an chinois durant lequel des chanteurs ouïghours ont été présentés en train de louer les mérites du gouvernement. Ils répétaient que la politique du Comité central du Parti communiste était "bonne" (en ouïghour "yakexi").
Choqués par une telle propagande alors que le Xinjiang est connu pour son instabilité, des internautes ont créé le personnage du lézard ("xi" en chinois) yake qui se promène sur la Toile. Selon ses auteurs, le lézard représentant la politique du Comité central du PCC a eu un passé glorieux en Union soviétique, où l'espèce serait en train de s'éteindre, et se développerait dans des pays tels que Cuba, la Corée du Nord ou la Chine. Le lézard Yakexi, à la langue fourchue, se nourrit de "crabes des rivières", en chinois: "hexie", qui se prononce comme en chinois "harmoniser" (leitmotiv du président Hu Jintao), euphémisme utilisé par le gouvernement pour désigner la censure, et repris avec ironie par les internautes.
En tout, les blogueurs et les internautes chinois ont créé une dizaine de créatures représentant les censeurs du Net.
Il faut également noter que le dessin de presse est de plus en plus mis au service de la liberté de la presse. Ainsi, lors de l'affaire du journaliste d'investigation Xie Chaoping, des caricatures des quatre coins de la Chine ont soutenu la campagne de mobilisation en faveur de l'écrivain.
Twitter et blogueurs
Les journalistes sont souvent épaulés par leurs avocats et leurs proches, qui utilisent aussi bien leurs blogs que le réseau Twitter pour diffuser des informations sur l'avancée des procès et pour exprimer leur soutien aux personnes détenues par les autorités.
"Je dis ce que je veux, et si je ne peux pas parler, alors je meurs étouffé. Le droit d'expression, c'est la base de tous les droits", lance l'avocat et blogueur Lan Zhixue sur son compte Twitter, le 14 septembre. L'adresse de son blog: http://blog.sina.com.cn/lanzhixue1
"Justice ne sera pas facilement rendue, Xie Chaoping a besoin que l'on continue à suivre son cas", affirme sur son blog Zhou Ze, l'avocat du reporter lors de sa détention. L'avocat a régulièrement mis à jour son blog pour informer les internautes, connaissant l'importance d'une mobilisation du Net en faveur de son client. L'adresse de son blog: http://blog.sina.com.cn/zhouze
Des voix qui traversent les frontières
"Il est important qu'un auteur ne se censure pas, qu'il exprime sa pensée. Il y a malheureusement trop d'autocensure en Chine, parce que les auteurs tiennent avant tout à être publiés", déclare l'écrivain censuré Liao Yiwu lors d'une interview à la Deutsche Welle, après avoir été finalement autorisé à sortir de Chine.
Selon Liao Yiwu, les journalistes et les écrivains sont, contre le refus des autorités, les seuls capables de proposer une description fidèle de la réalité sociale. Même si Liao Yiwu ne se considère pas comme un dissident, toutes ses œuvres sont censurées. L'un de ses poèmes, "Massacre", sur la répression des événements de la place Tiananmen, lui a valu quatre ans de prison.
D'autres journalistes chinois ont décidé de s'installer à l'étranger, mais continuent à se battre pour la libre circulation des informations et à aider activement leurs collègues restés en Chine. Lire le témoignage d'une journaliste radio recueilli par Reporters sans frontières : http://fr.rsf.org/chine-tout-etait-en-differe-temoignage-d-13-09-2010,38342.html
L'engagement exemplaire des militants des droits de l'homme
Leur sort est très rarement évoqué dans les médias chinois, en raison de l'interdiction faite aux médias de traiter toutes formes d'opposition. Les militants des droits de l'homme peuvent cependant compter sur certains journalistes et blogueurs pour faire circuler leurs informations.
"Une chose est sûre, tant que la démocratie ne sera pas complètement respectée en Chine, je n'arrêterai pas le combat, et mes convictions démocratiques ne changeront jamais ! ", déclare l'écrivain et dissident politique Chen Shuqing, dans une interview donnée le jour même de sa sortie de prison, après quatre ans de détention. Chen Shuqing avait été incarcéré pour "incitation au renversement de l'Etat" dans le cadre de ses activités au sein du Parti démocratique de Chine (interdit). Ces prises de position n'ont pas été publiées en Chine, mais elles ont circulé sur Internet.
Le sort de l'avocat et défenseur des droits de l'homme Chen Guangcheng, tout juste libéré de prison, n'a pas non plus été évoqué dans la presse chinoise. Mais l'annonce de sa libération a fait le tour du Net. "Je n'ai pas changé d'un iota", affirme Chen Guangcheng alors qu'il est toujours sous la surveillance constante de la police. Ses déclarations ont été très vites relayées en chinois sur Twitter auquel des milliers d'internautes et de journalistes ont accès grâce aux proxies de contournement de la censure.
Après quatre ans et trois mois de prison ferme, Chen Guangcheng compte continuer à se battre pour défendre les droits de ses concitoyens, comme il l'a fait, plusieurs années plus tôt, en dénonçant les méthodes abusives des campagnes de stérilisation. Pour en savoir plus sur Chen Guangcheng : http://fr.rsf.org/petition-les-prisonniers-olympiques,34042.html
Subterfuge, cache misère ou lueur d'espoir?
Le 8 septembre 2010, le site Zhitong Zhongnanhai, dont le nom fait référence au siège du gouvernement situé au coeur de Pékin, a été lancé pour permettre aux internautes de laisser leurs messages à l'attention des dirigeants. Le 13 septembre, on compte déjà 23 000 commentaires pour le seul président Hu Jintao, sur des sujets comme la hausse des prix de l'immobilier, la corruption, la pollution et les abus de droits civils.
Cependant, cette fenêtre d'expression est conditionnée à 26 règles. Les cyber-citoyens ne peuvent pas, par exemple, publier des commentaires qui mettraient en péril l'honneur et les intérêts de l'Etat, ou qui inciteraient à des abus dans le droit d'association, de manifestation, ou de rassemblements illégaux qui déstabiliseraient l'ordre social.
Des sanctions ont été prévues pour l'expéditeur d'un commentaire désobligeant, allant jusqu'à la suppression définitive de l'adresse IP de l'internaute. Sachant qu'il est interdit d'envoyer sur ce site gouvernemental un message d'une adresse IP venant de l'extérieur de la Chine, les internautes chinois ne peuvent donc le faire de manière anonyme. Même dans les cybercafés, une pièce d'identité est systématiquement demandée à tout utilisateur.
Malgré ce risque, certains commentaires critiques passent à travers les mailles du filet.
"Quand les prix vont-il baisser ? La seule chose qui ne monte pas, ce sont les salaires !"
"Camarade Hu, n'est-il pas intéressant de constater que j'ai laissé tant de messages et que tous ont été harmonisés ? Ne pouvez-vous donc pas nous laisser dire la vérité ?", interpelle un internaute.
L'adresse du site: http://cpc.people.com.cn/GB/191862/191865/index.html
Une bataille loin d'être gagnée, mais sûrement pas perdue d'avance
Si les exemples de mobilisation réussie ne manquent pas, les cas tragiques de blogueurs ou journalistes victimes de la torture sont encore trop fréquents.
"Tu seras punie par où tu as péché", a affirmé un policier de la brigade de protection de la sécurité intérieure, la "Guobao", à la jeune blogueuse pékinoise Liu Shasha, détenue en juillet dernier. Interviewée par un journaliste français, elle a décrit les conditions de sa détention aux mains de la Guobao : "Ils m’ont mise sur le dos et ont commencé à verser de l’eau sur les sacs (placés sur ma tête). Je ne pouvais plus respirer, c’était affreux. Ils les ont ensuite soulevés et placé sous mon nez un tissu imbibé d’huile pimentée, puis ils ont recommencé à verser de l’eau pour m’asphyxier. Je n’en pouvais plus, alors j’ai dit 'au rapport'. Ils m’ont assise sur une chaise, mains et pieds liés." Qui as-tu contacté aujourd’hui ?, "J’ai dit que j’allais porter plainte contre eux, alors ils m’ont jetée à terre, cette fois-ci sur des bâtons pour rendre le traitement plus douloureux, et ils ont repris la séance de supplice de l’eau", raconte Liu Shasha.
Le tort de la jeune femme ? Avoir appelé sur le réseau Twitter à déposer des couronnes mortuaires devant l’immeuble du moteur de recherche chinois Sohu, accusé d'avoir supprimé des centaines de blogs de militants de la liberté d'expression. Lire l'article : http://www.ecrans.fr/Chine-blogs-et-chatiments,10872.html
Au total, une centaine de journalistes, blogueurs, internautes et militants des droits de l'homme sont actuellement détenus en Chine.
"Celui qui n'a pas gravi la Grande muraille, n'est pas un brave"
Proverbe chinois
La Grande muraille de la censure continue à se dresser, toujours plus haute, autour des lecteurs, auditeurs, téléspectateurs et internautes de l'Empire du milieu. Pourtant, les défenseurs de la liberté de la presse parviennent à la contourner ou à l'escalader. Si les efforts de ces "braves" se rejoignent, la partie sera gagnée. Aux gouvernements, aux entreprises et aux internautes des pays démocratiques de leur apporter un soutien sans failles.
Courage !
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Updated on
20.01.2016