A propos de la liberté de la presse (dernière partie)

Vie d'un journaliste chinois, de Jiang Weiping Reporters sans frontières présente une série de quatre articles du journaliste d’investigation Jiang Weiping, dans lesquels il raconte sa vie de journaliste : de ses débuts dans le journalisme dans les années 1980, en passant par son arrestation en 2000, jusqu’à son exil au Canada en 2009. « Jiang Weiping est un journaliste exemplaire et courageux. Il n’a pas hésité à se mettre en danger pour dénoncer la corruption dans les plus hautes sphères du Pari communiste chinois. C’est grâce à un journalisme engagé que la population chinoise prend connaissance des dérives du Parti ‘tout puissant’ et grâce au travail de journalistes engagés tels que Jiang Weiping que la liberté de la presse pourra évoluer en Chine », a déclaré l’organisation. Jiang Weiping est un journaliste expérimenté et reconnu. Il a commencé sa carrière dans les années 1980, en travaillant pour l’agence Xinhua. Puis, au début des années 1990, il est devenu chef du bureau de la Chine du Nord-Est pour le journal hongkongais Wen Wei Po (香港文匯報). En 1999, il a écrit une série d’articles sur la corruption du PCC pour le magazine hongkongais Frontline (前哨). A partir de 2001, il a travaillé pour le Hong Kong magazine. En décembre 2000, il est arrêté par les autorités provinciales de Dalian (Nord-Est). En mai 2001, il est condamné à huit ans de prison pour « mise en danger de la sécurité de l’Etat » et « diffusion de secrets d’Etat ». Il est finalement libéré en 2006, après avoir purgé six années de prison. En février 2009, il obtient l’asile politique au Canada. Il vit à Toronto avec sa femme et continue de travailler en tant que journaliste indépendant et calligraphe. Voir troisième partie ---------- Les lecteurs hongkongais et étrangers, qui savent que j’ai été journaliste pendant dix-huit ans avant d’être emprisonné pendant cinq ans, aiment à me demander si je sais ce que c’est la liberté de la presse, si la liberté de la presse existe en Chine, si je peux prévoir quand, en Chine, la presse sera libre... Je ne suis pas un expert sur le sujet, aussi, je ne m'essaierai pas à faire des grands discours, me contentant de donner quelques conditions pour l’existence de la liberté de la presse. Ainsi, quand les autorités permettent la libre expression, quand les journalistes peuvent interviewer, s'exprimer et publier librement, quand ils ne sont pas emprisonnés pour des écrits ou des propos, alors seulement peut-on parler de liberté de la presse. Évidemment, les journalistes se doivent d’être intègres. Cette intégrité s’apparente à une chaîne qui retient un danseur. Rousseau n’avait-t-il pas écrit que « l’homme naît libre mais partout il est dans les fers » ? Après ma libération le 4 janvier 2006, je fus accueilli par mes proches qui me donnèrent plus d'une centaine d’articles qui relataient mon affaire provenant de sites de journaux hongkongais et étrangers. Bien sûr, je n’ai eu de cesse de remercier les gens qui m'ont soutenu, mais j’ai toujours senti que je n'avais pas fait tout mon possible. Je n’ai lu qu’un article critique à mon égard, intitulé « Bo Xilai avale sa rancœur ».Je jetai à la poubelle l’ensemble des articles tous plus élogieux les uns que les autres pour ne conserver précieusement que cet article qui relatait mon soi-disant licenciement du Dalian Daily au début des années 80, ainsi qu’un détournement de plus de 800 000 yuans du journal Wen Hui, tout autant inventé. Mais heureusement que les collègues du Dalian Daily et de Wen Hui veillent et peuvent encore témoigner de ma bonne conduite. Un ami avocat m’expliqua alors qu’un procès pour diffamation pourrait me rapporter beaucoup d'argent. Pour plaisanter, je rétorquai que c’était cela la liberté de la presse, que grâce à cet article, je ne pourrais pas prendre la grosse tête. Après tout, je ne suis qu'un journaliste ordinaire qui n’avais pas imaginé de faire quelque action héroïque. Et je tiens à dire que, jamais, je n’ai reçu de pots-de-vin, ni été licencié. Tandis qu’une centaine d'articles approuve mes écrits, un seul s’est montré critique. J’aurais voulu qu’il y en ait plus. C'est pour cela que je garde précieusement. Je ne sais qui en est l’auteur. Un jour, peut-être, pourrais-je le remercier en lui offrant une de mes calligraphies ! Les louanges peuvent pervertir les individus. Mais il en est de même pour les gouvernements. Un parti politique unique tend à se complaire dans l’écoute de louanges, à rendre toute critique impossible. Inévitablement, à l’instar du Parti Communiste Chinois, c’est alors une généralisation de la corruption et de la décadence du régime à laquelle on assiste. Le PCC n’autorise ni l’expression libre d’opinions divergentes, ni la possibilité pour les journalistes de révéler la vérité. Il s’efforce seulement d’assurer le maintien au pouvoir de ses leaders. La République Populaire de Chine, depuis sa fondation en 1949 jusqu'à l'arrestation récente de Liu Xiaobo, n’a cessé d’envoyer ses dissidents en prison. La liberté de la presse n’existe donc guère en Chine à l’heure actuelle. Seule la période qui a précédé le massacre des étudiants du 4 juin 1989 aura été libre pour les journalistes. Mais cette liberté, le 4 juin, c’est de leur vie, qu’ils ont dû la payer. Car les journalistes chinois ne sont pas intouchables. Ils sont constamment gênés dans leurs enquêtes, ne peuvent s’exprimer librement et doivent se contenter de chanter les louanges du PCC. Je n’évoquerai même pas l’obligation de soumettre les articles à un bureau chargé de la censure, ou la peur qui suit la publication d’articles sensibles. C’est à ce genre de problèmes que j’ai passé ma vie à me confronter. De nos jours, les lignes éditoriales des journaux de Chine continentale vont du pareil au même. Certes, quelques variations sont tolérées, mais ils doivent toujours rester en harmonie avec la mélodie du PCC. C’est ce que j’appelle l’uniformité médiatique. La propagande mensongère sert seulement à masquer les innombrables problèmes sociaux, sûrement pas à les résoudre. En fait, l’impossibilité de relayer la volonté et les complaintes populaires provoquent encore plus de bouleversements et d’instabilité sociale. La multiplication des revendications ces dernières années indique l’importance croissante de la société civile chinoise. Mais en Chine, les doléances des défavorisés peinent à être relayées du fait du manque de liberté. J’estime que l’absence de liberté d’expression revient à supprimer la raison d’être des journalistes. L’ensemble des médias est sous la tutelle du PCC car c’est le Parti qui décide de qui est à la tête de tel journal, tel magazine et telle chaîne de télévision. C’est également lui qui fixe les salaires, les primes ou les subventions pour le logement. Les audacieux journalistes, qui ne font pas les louanges exigées par le PCC, peuvent être rétrogradés, licenciés, voire même emprisonnés et jugés. Naturellement, dans ce cas, les avantages sociaux, comme la couverture sociale, sont aussi supprimés. Comment ne pas craindre ces sanctions, alors qu’on doit gagner sa vie, se marier, avoir des enfants et les élever? C’est pour cette raison que la plupart des 200 000 journalistes de Chine obéissent aveuglément au gouvernement. La croissance, encore relativement élevée, de l’économie chinoise, a permis au PCC d’utiliser alternativement la violence et la propagande afin de mettre sous pression les médias. La probabilité de voir la situation des médias changer à court terme est donc assez faible. Dans le cas où aucune transformation du régime politique ne surviendrait, nous serions réduits à espérer les faveurs du PCC. La liberté de l’information ne tombe pas du ciel. Dans ce cas, comment exiger de soudaines transformations ? Je pense que les mouvements populaires de protection des droits de l’homme constituent une pression des plus importantes. Une étincelle, si infime soit-elle, pourra attiser réellement la volonté populaire et obliger le PCC à changer. Peu importe donc comment la société évoluera, journalistes et média vont assurément jouer un rôle crucial. Dans la situation actuelle, le plus efficace serait au plus vite de promulguer « un code de l’information », déjà esquissé au cours des années 80, mais qui doit être remis à jour. Certes, la promulgation du code ne sera pas tout de suite suivie d’effet, mais constituera une étape significative. Ce code serait l’occasion pour les réformistes au sein PCC de faire avancer la Chine vers la démocratie. Même si le code n’était pas parfait, même s’il n’était pas mis, de suite, en pratique, sa seule existence encouragerait les journalistes, se sachant protéger, à user de leur droit. Au début de juin de cette année, lors d’une conférence, je tentai d’évoquer le problème de la liberté d’expression en Chine auprès de confrères avec qui j’avais autrefois partagé les mêmes idéaux. Mais ils me croyaient trop modéré, compréhensif ou même bercé d’illusions à l’égard du PCC. Comment pourrait-il en être ainsi ? Ces gens-là ont quitté la Chine il y a une vingtaine d’années, et il me semble qu’ils sont devenus déconnectés et ne comprennent pas la situation actuelle. Rares sont les éditeurs ou journalistes, affilié au Parti, qui voudraient faire fi de la censure, et risquer ainsi de perdre son emploi. Pourtant, tout le monde, ou presque, applaudirait à l’idée d’établir ce code. On pourrait alors discuter sur le fond, évoquer sa mise en application et son suivi. Lentement mais sûrement, on avancerait vers une Chine démocratique. Peut-être que même des miracles pourraient survenir. Mais il faut garder à l’esprit que la Chine est trop grande, la puissance étatique trop importante, le gouvernement trop autoritaire et la population trop soumise. Aussi, si l’on veut s’aventurer sur la route épineuse et sinueuse de la liberté d’expression, il faut être méthodique et résoudre les problèmes à bras le corps. Cette année, mon cauchemar vient de prendre fin. J’ai vécu en Chine et au Canada et je me sens à même de comparer les deux pays. Je suis devenu encore plus sensible à l’importance de la liberté d’expression. Le Ministre de l’Immigration canadien m’a dit en personne que je pourrais devenir citoyen canadien et enquêter sur les scandales de corruption de son pays… Certes, c’était une plaisanterie, mais elle illustre le fait que les médias canadiens, ainsi que les citoyens dans leur ensemble, peuvent veiller sur les autorités officielles. Les régimes non démocratiques ne peuvent avoir des scandales de corruption. Mais un régime démocratique comme celui du Canada ne saurait emprisonner pour des écrits ! Évidemment, la liberté de la presse doit être légiférée. Un vrai journaliste ne saurait inventer des histoires, ou diffamer quelqu’un, car il risquerait d’être attaqué. Par conséquent, la liberté de la presse peut pleinement se réaliser si la justice est indépendante et peut garantir la liberté des journalistes. Mais en Chine, les individus qui doivent être défendus ne le sont pas, et ceux qui doivent être attaqués ne le sont pas. Par exemple, alors que des journalistes intègres sont arrêtés tandis que des journalistes corrompus, payés grassement pour ne pas dévoiler des scandales. Enoncer des principes ne suffit pas, il faut agir. Sans plus attendre. De toutes nos forces, nous devons œuvrer afin d’améliorer la Chine. Ainsi, nos vies n’auront pas été inutiles ! Voir vidéo de l'interview avec Jiang Weiping sous-titré français et anglais:
Publié le
Updated on 20.01.2016