Peine de prison prononcée contre un journaliste pour un texte de fiction posté sur son blog : “Une folie judiciaire”

C’est avec incrédulité et consternation que Reporters sans frontières a eu connaissance de la condamnation à sept mois et seize jours de prison, le 4 juillet 2013, du journaliste José Cristian Góes (photo), pour un article d’opinion en forme d’exercice littéraire, posté sur son blog Infonet en mai 2012. Dans cette chronique intitulée “Moi, le colonel en moi”, l’auteur raillait les travers du coronélisme brésilien - gouvernement clientéliste des oligarchies locales – à l’épreuve de la démocratie actuelle (lire le rapport Brésil). Faisant parler un “colonel” imaginaire à la première personne, José Cristian Góes ne citait ni noms, ni dates, ni charges publiques. Sa prose a néanmoins suscité la colère du vice-président du Tribunal de justice d’Aracaju (capitale de l’État de Sergipe, Nordeste), Edson Ulisses, lequel a engagé une double procédure, criminelle et civile, pour “injure”. Selon le magistrat, la chronique aurait attenté à son honneur propre et plus encore à celui de son beau-frère et gouverneur de l’État, Marcelo Dedá (PT), qui n’a pourtant jamais porté plainte. “Cette affaire en dit long sur les pratiques de pouvoir que José Cristian Góes dénonce justement dans son texte de fiction. Certes, la peine de prison infligée au journaliste a été aussitôt convertie en travaux d’intérêt général et le jugement n’est que de première instance. Il s’agit néanmoins d’une folie judiciaire et d’une insulte aux principes fondamentaux de la Constitution démocratique de 1988. L’issue d’une procédure d’appel doit mettre fin à ce précédent. Aucune justice d’État ne peut piétiner les libertés fondamentales par intérêt et complaisance”, a déclaré Reporters sans frontières. Depuis la révocation, en 2009, de la loi sur la presse de 1967, héritée du régime militaire, les autorités judiciaires, surtout locales, usent de plus en plus de la censure dite “préventive”, ciblant un média ou un journaliste en particulier, afin de protéger les cercles de pouvoirs dont elles dépendent. Le phénomène a pris dernièrement de l’ampleur sur Internet. A cet égard, Reporters sans frontières se félicite de la récente victoire judiciaire remportée par le journaliste de TV Bandeirantes et auteur de blog Fábio Pannunzio. Pour avoir posté, en juin 2012, un article jugé diffamatoire par le secrétaire d’État à la Sécurité publique de São Paulo, Antônio Ferreira Pinto, le journaliste avait reçu l’ordre d’une magistrate de retirer son blog de la Toile, sans jugement sur le fond de l’affaire. A l’issue du jugement sur le fond, le Tribunal de justice de São Paulo a invalidé cette mesure, ainsi que la demande d’indemnisation formulée par Antônio Ferreira Pinto. “Cet heureux dénouement est malheureusement trop rare parmi les nombreux cas de censure affectant la liberté de l’information au Brésil. Cette liberté-là demeure à consolider à tous points de vue. Les événements du ‘Printemps brésilien’ ont à la fois rappelé les problèmes de sécurité criants que subissent les journalistes et les graves déséquilibres en matière de pluralisme que beaucoup de citoyens dénoncent. Ces défis restent à relever, de même que la lutte contre l’impunité, alors que le Brésil est devenu en 2013, avec quatre tués, le pays le plus meurtrier du continent pour les journalistes”, a rappelé Reporters sans frontières.
Publié le
Updated on 20.01.2016