Reporters sans frontières demande qu'une enquête soit diligentée depuis la Commission interaméricaine des droits de l'homme (CIDH), après qu'un nouveau scandale d'écoutes téléphoniques visant des journalistes, des magistrats et des personnalités politiques d'opposition, a été révélé par l'hebdomadaire Semana dans son édition du 21 février 2009. Les dénégations du président Alvaro Uribe et la “purge” annoncée au sein du Département administratif de sécurité (DAS, service de renseignements) ne sauraient éluder la question de l'objectif et de l'usage de ces enregistrements, estime l'organisation.
“Ce scandale n'est pas le premier du genre et nous constatons, une fois encore, que certains journalistes mentionnés dans cette nouvelle affaire sont réputés pour leurs critiques vis-à-vis de du gouvernement, parfois stigmatisés par le Président lui-même, et souvent victimes de menaces. Le scandale est d'autant plus grand que le contenu de certaines écoutes aurait été porté à la connaissance de paramilitaires, de narcotrafiquants, et même de guérilleros. Ces pratiques mettent clairement en danger les journalistes et leurs sources. La question est désormais posée : ou la présidence de la République a ordonné elle-même ces écoutes au DAS, qui dépend directement d'elle, ou le DAS a échappé à son contrôle, ce qui n'excuse rien. Dans les deux hypothèses, une enquête au niveau interaméricain se justifie pleinement, la partialité des autorités colombiennes étant ici évidente”, a déclaré Reporters sans frontières.
Le 5 novembre 2008, Felix de Bedout, de la station privée W Radio, avait adressé un courrier électronique à un collègue de l'hebdomadaire Semana, mettant en cause certaines pratiques irrégulières de Fernando Tabares, chef du renseignement du DAS, et de son homologue du contre-espionnage, Jorge Lagos. Deux heures plus tard, des fonctionnaires du contre-espionnage téléphonaient par erreur à la rédaction de Semana pour relater par le menu l'échange d'e-mails entre les deux journalistes. Entre le 19 et le 21 janvier, selon Semana citant un fonctionnaire du DAS, des documents et enregistrements concernant des journalistes, des personnalités politiques d'opposition, des magistrats (y compris ceux de la Cour suprême) et certains fonctionnaires de l'administration Uribe, ont été regroupés dans les locaux du contre-espionnage, et pour partie détruits.
Toujours selon l'hebdomadaire, six journalistes figuraient parmi les individus espionnés : Alejandro Santos, directeur de Semana, Julio Sánchez Cristo, directeur W Radio, Felix de Bedout, Darío Arizmendi, directeur de la station privée Radio Caracol, Ramiro Bejarano, éditorialiste du quotidien El Espectador et Daniel Coronell, directeur de l'information de la chaîne publique Canal Uno, notoirement détesté par le président Alvaro Uribe. Selon les informations recueillies par Reporters sans frontières, d'autres journalistes auraient fait l'objet d'écoutes sauvages dont Hollman Morris, directeur du programme d'informations “Contravía” sur Canal Uno, lui aussi dans le collimateur de la Casa de Nariño. Le directeur du DAS, Felipe Muñoz, qui a pris ses fonctions au lendemain de la destruction partielle des enregistrements, a partiellement confirmé les informations rapportées par Semana. Une enquête judiciaire est en cours. Les fonctionnaires du DAS Fernando Tabares et Jorge Lagos ont démissionné.
Démentant toute implication dans cette affaire et se disant lui-même “victime de cette infamie” sur l'antenne de la radio privée RCN, le chef de l'État a ordonné, le 26 février, la suspension des écoutes téléphoniques au sein du DAS, prévoyant d'en confier la gestion à la police.
En mai 2005, un scandale d'infiltration du DAS par les paramilitaires avait provoqué la démission de son directeur de l'époque, Jorge Noguera, aujourd'hui emprisonné. En octobre 2008, sa successeur, María del Pilar Hurtado, avait fait de même après la mise au jour du placement sur écoutes de Gustavo Petro, sénateur du Polo Democrático (opposition de gauche). Dans l'intervalle, en mai 2007, le ministre de la Défense, Juan Manuel Santos, avait lui-même reconnu publiquement que des personnalités d'opposition et
des journalistes avaient été écoutés par la Direction du renseignement de la police (Dipol), après des révélations de Semana.