Message de soutien de Hujia au Prix Nobel de la paix 2010 Liu Xiaobo et sa femme Liu Xia
Organisation :
Reporters sans frontières se fait le relai du dissident Hu Jia. Toujours en résidence surveillée, Hu Jia publie une déclaration, le jour de la cérémonie de remise du Prix Nobel de la paix, adressée au Comité du Prix mais aussi à l’ensemble de la communauté internationale et de la population chinoise. Il y exprime son plus soutien le plus fort, à Liu Xiaobo et sa femme Liu Xia. Dans cet appel, Hu Jia défend également toutes les personnes victimes de la censure et de la privation de leurs droits à la liberté d’expression.
Mesdames et Messieurs:
Depuis Pékin, je vous salue toutes et tous.
Le 10 décembre est la Journée internationale des droits de l'homme, au fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde. C'est également la date de remise du Prix Nobel de la paix. Ce jour, qui appartient à toute l'humanité, honore ceux qui luttent pour la paix dans le monde. Nulle autre journée ne porte cette double signification, qui affirme l'importance du respect des droits de l'homme.
Tout d'abord, permettez moi de vous donner une brève revue du Prix Nobel de la paix tel que je l'ai vécue. Le 8 décembre dernier a marqué le troisième anniversaire de l'arrestation du lauréat du Prix Nobel de la Paix 2010, M. Liu Xiaobo. Ce jour d'hiver était le plus froid de Pékin. Je me suis rendu dans le quartier où sont rassemblés les pétionnaires et sans-abris pour les aider à résister au froid et à la faim. Mais la police politique de Pékin m'a arrêté sur mon chemin, m'empêchant de me rendre à ce "village". Pourquoi ? Je n'arrive toujours pas comprendre la manière de penser de ce régime autoritaire. La police politique du Parti communiste chinois considère l'humanitarisme comme son ennemi, et ne parlons même pas des droits de l'homme.
Le 9 août, alors que je me rendais à l'hôpital pour y recevoir mon traitement, j’en profitais pour aller, rendre visite à Liu Xia, chez Liu Xiaobo, à l'insu de la police politique. J’ai été violemment intercepté par les gardes chargés de la surveillance de sa résidence. Je leur ai demandé les fondements juridiques justifiant cette obstruction de ma visite à des amis et ceux justifiant la privation de liberté de Liu Xia. Très rapidement, sont arrivés les policiers en charge de la surveillance de Liu Xia, qui m'ont retenu pendant six heures. Voilà ce qui arrive quand des citoyens libres rendent visite à d'autres citoyens libres. En septembre, j'ai reçu 3 injonctions de la police, et parmi elles, l'interdiction absolue de me rendre chez Liu Xiaobo pour rendre visite à Liu Xia. En tant que témoin direct, je voudrais ici apporter mon témoignage à toute les institutions gouvernementales à travers le monde, à toutes les organisations de défense des droits de l'homme et à tous les médias afin de dire que Liu Xia est véritablement détenue en totale illégalité, et mène une vie privée de toute liberté. Même le frère de Liu Xiaobo ne peut pas la contacter. Toutes les déclarations du ministère chinois des affaires étrangères sur sa situation ne sont que mensonges. Souvent, en Chine, quand une personne devient un prisonnier politique, ses parents, son conjoint et ses enfants le deviennent aussi. Les responsables directs de ces atteintes aux droits de l'homme à Pékin, sont Zhou Yongkang, membre permanent du Comité central du Bureau politique du PCC, et Liu Qi, Secrétaire de la municipalité du Parti à Pékin qui dirigent respectivement le système judiciaire et le pouvoir exécutif local à Pékin. Ils ont abusés de leurs pouvoirs pour priver des citoyens de de droits civiques et de droits démocratiques.
Par le passé, le 10 décembre 2008, la police politique chinoise m'a rendu sept visites en un mois pour me demander, au nom du Ministère des Affaires Etrangères, du Ministère de la Sécurité publique et du Comité municipal de Pékin du PCC, de faire une déclaration publique pour refuser le Prix Sakharov des droits de l'homme et ma candidature au prix Nobel de la paix. En échange, je pouvais être libéré sous caution dans les deux mois pour recevoir un traitement médical, et recevoir le double de la somme d'argent des Prix remportés. En prison, souvent pieds et mains menottés, j'ai éprouvé à de nombreuses reprises le désir de retrouver la liberté, d'être rendu à mes parents, mon épouse, et ma fille, alors âgée de moins d'un an, et de revenir auprès d'eux. Mais tout cela ne pouvait arriver au détriment de la dignité humaine. Je sais que ce prix et cette nomination ne concernent pas Hu Jia, mais les citoyens chinois qui se battent pour les droits de l'homme et se voient dépourvus de de leurs droits civiques en retour. La dignité humaine ne se monnaie pas, les principes ne se brisent pas, la morale ne connaît pas de compromis. Cela montre l'influence morale et de justice que le prix Sakharov et le prix Nobel ont sur le gouvernement chinois. Peu importe les moyens de mépris et de violence qu'il emploie, il a en fait déjà perdu. Les dirigeants du PCC sont très inquiets que ces prix devienne un torrent d'eau chaude sur un sol glacé.
Le 10 octobre 2008 au matin, je me suis soudain retrouvé escorté depuis ma lointaine prison de Chao Bai à Tianjin, vers la prison de Pékin, au sud de la ville. La distance des visites mensuelles de ma mère, mon épouse et ma fille s'est raccourcie de deux tiers, réduisant ainsi leur fatigue. Un an plus tard, j'ai appris que c'était parce que j'avais été nominé pour le prix Nobel de la Paix et que l'annonce officielle du lauréat avait été faite ce jour-là. Je veux donc que le monde sache qu'une nomination pour le Prix Nobel de la paix ou en être le lauréat, donne sans aucun doute une certaine protection aux dissidents dans les prisons chinoises, dont les libertés individuelles ont été supprimées illégalement, et améliorent leurs conditions de vie médiocres. Sans cela, leurs situations seraient bien pire. Ici, on peut s'attendre à ce que Liu Xiaobo, à l'avenir, témoigne des effets du Prix Nobel sur ses conditions en prison.
Liu Xiaobo est en prison parce qu'il a participé à la rédaction de la "Charte 08".En trois ans, la "Charte 08" a récolté 13 000 signatures, ce qui représente seulement une personne sur cent mille en Chine. Cette situation découle de la terreur et des mécanismes de censure d'Internet, mis en place par les dirigeants chinois dans la société. Peu après ma libération cette année, j’ai signé la "Charte 08". Mon épouse, Zeng Jinyan, fait partie de ses premiers signataires. Au moment de signer, j’ai pensé que nous étions de retour à l’époque d’avant les Jeux olympiques, quand nous signions de nombreuses pétitions pour dénoncer des affaires liées aux droits de l’homme. A cette époque, nous collaborions souvent avec Liu Xiaobo. Mais je n’imaginais pas que que la charte le conduirait en prison, en représailles.
En réalité, Lui Xiaobo n'est pas seul visé. Le PCC utilise sa peine de prison pour intimider tous les autres citoyens chinois qui persisteraient à promouvoir la démocratie constitutionnelle. La charte décrit le projet d’une société présente dans le cœur d'une partie des citoyens chinois. Nous ne faisons que réaffirmer des valeurs universelles. Chaque personne a le droit d’exprimer sa vision d’une société idéale, sans être intimidée par la police politique du parti communiste. Je crois que les valeurs universelles défendues par la charte 08 seront intégrées dans la constitution chinoise d'ici 10 ans et seront appliquées.
L'année dernière, en décembre 2010, le monde regardait une chaise vide, et lors de la remise du prix Nobel de la Paix décerné à M. Liu Xiaobo, citoyen de la Chine continentale. Souvent, un prix de la Paix peut devenir la fierté commune d’une nation, d’un pays, et même d’un continent. Le prix est finalement venu en Chine, le plus grand et le plus ancien empire autoritaire de l’histoire du monde. Merci au jury du Comité du prix Nobel de la Paix d’avoir choisi un dissident chinois. Peu importent les controverse qui émergent ici ou là, à l’intérieur ou à l’extérieur de la Chine, revenons au principe primordial de la liberté; chaque citoyen accusé du crime d’« incitation au renversement du pouvoir de l’Etat » est un innocent qui doit être libéré immédiatement et sans condition, et réhabilité. Si vous croyez à la justice et à la démocratie, alors nous avons une responsabilité morale envers Liu Xiaobo et Liu Xia, pour faire de la Chine une terre des libertés de vie et d’expression.
La violente machinerie de la tyrannie est notre adversaire. Nous devons résister et changer ce système autoritaire, au lieu de le laisser réprimer les dissidents et les défenseurs des droits de l'homme. Les autorités tirent profit de nos peurs, mais aussi de notre indifférence et de nos griefs les uns envers les autres. Aux yeux des dictateurs, nous sommes tous des cibles.
Il n’y a pas d’homme parfait dans ce monde. Ceux qu'on appelle héros, ne sont que des personnes ordinaires aux actes extraordinaires. Être héros consiste seulement à surmonter sans cesse ses propres craintes, et persister à lutter pour la liberté. Devenons d'abord les héros de nos propres principes. Face à la tyrannie, nos craintes émanent de nos désaccords, qui eux-mêmes exacerbent nos craintes à leur tour. Mettons nos différences de point de vue et de comportement de coté et acceptons les faiblesses de la nature humaine. Lorsque nous nous réunirons et que nous nous tolèrerons, nous formerons un contre-pouvoir aux pressions des autocrates et rétablirons l’équilibre. En cette période d'hiver politique glacial, renforçons notre solidarité.
Alors que le site web du Prix Nobel de la paix est bloqué en Chine, les chinois comprennent ce que « le mur de Pékin » du PCC censure. Désormais, comme ce fut le cas pour le régime de l'apartheid en Afrique du Sud, la Chine est le plus grand champ de bataille démocratique au monde. Ici, il y a Liu Xiaobo, Chen Guangcheng, aveugle, l'artiste Ai Weiwei, l’avocat des droits de l’homme, Gao Zhisheng ... ... auxquels s'ajoutent les centaines de millions de citoyens sur le réseau et dans la rue, qui luttent courageusement en faveur des droits civiques. La démocratisation de la Chine concerne le monde entier. Elle est essentielle pour garantir la paix mondiale. Il n y a qu’avec une démocratisation rationnelle et progressive, que la Chine, qui a subi beaucoup de guerres et de conflits fratricides, pourra effectuer une transition pacifique.
Aujourd'hui, nous célébrons les printemps arabes, et nous espérons et préparons le printemps de Pékin. Merci encore au comité du Prix Nobel de la Paix d’avoir choisi la Chine. Merci au monde pour de l'appui du peuple chinois dans sa lutte pour la liberté.
Hu Jia
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Updated on
20.01.2016