Madagascar : une journaliste victime d’une campagne pour la discréditer

Reporters sans frontières (RSF) dénonce la cabale montée contre une journaliste indépendante à l’origine de révélations embarrassantes pour les autorités malgaches confrontées à une famine importante.

Depuis plus d’une semaine, Gaëlle Borgia, correspondante de France 24, de TV5 Monde et de l’AFP à Madagascar, installée depuis plus de dix ans dans le pays, et lauréate du prix Pulitzer pour son enquête sur l’ingérence russe dans la présidentielle malgache de 2018, fait l’objet d’une campagne destinée à la discréditer à la suite d’une vidéo postée sur son compte Facebook le 21 juin. Cette dernière montre des habitants mangeant des chutes de cuir issues de la peau de zébu, normalement utilisée pour fabriquer des sandales. La séquence, qui illustre la très grande précarité des victimes de la famine qui touche une partie du sud de la Grande Île, a rapidement fait le tour de la toile. Et provoqué des réactions en chaîne pour mettre en cause la probité et le sérieux de cette reporter au professionnalisme reconnu.


Dans un communiqué, le gouverneur de la région d’Androy dans laquelle la vidéo a été tournée, a accusé la journaliste de “colporter de fausses informations”, “d’insulter la culture locale” et de s’appuyer sur le malheur des populations “pour tenter de briller publiquement”. Joint par RSF, il s’est montré plus mesuré affirmant “avoir besoin de la presse internationale” pour parler de la situation sur place tout en reprochant le “manque d’objectivité et de nuance” de la journaliste.


L’histoire aurait pu s’arrêter là. Dans la foulée du communiqué publié par le gouverneur le 23 juin, la radio télévision nationale malgache TVM diffuse un “reportage” mettant en scène les même témoins que Gaëlle Borgia. Cette fois, ils expliquent, tour à tour, avoir été achetés par la journaliste pour manger du cuir et que les habitants “prendront des mesures si de tels comportements se répètent.” Dans une nouvelle vidéo tournée et diffusée par Gaëlle Borgia, ces mêmes témoins ont par la suite reconnu avoir été menacés par des hommes armés d’un couteau et achetés afin de faire ces déclarations contre elle. Selon les informations recueillies par RSF de manière indépendante, le reportage de la TVM a effectivement été réalisé pour discréditer la journaliste qui n’est d’ailleurs pas interrogée pour défendre sa version des faits. Joint par RSF, le directeur par intérim de la télévision a indiqué qu’il faisait “confiance” à ses équipes de journalistes locaux malgré les témoignages démontrant indéniablement que les “informations” diffusées sur son antenne avaient été obtenues sous la contrainte.


“Nous dénonçons avec la plus grande fermeté les tentatives grossières et mensongères de discréditer le travail de cette journaliste, en utilisant des victimes du changement climatique et l’antenne de la télévision nationale pour propager de fausses informations et s’en prendre à elle, déclare le responsable du bureau Afrique de RSF, Arnaud Froger. Cette campagne de dénigrement discrédite ceux qui en sont à l’origine. Elle est également irresponsable car elle aurait pu mettre en danger la sécurité de cette journaliste reconnue pour son sérieux et son professionnalisme".


Dans une déclaration commune, les correspondants de la presse internationale à Madagascar se sont dits “consternés par l’acharnement subi par leur consoeur”et ont déploré “l’utilisation malhonnête de médias publics pour susciter une haine dangereuse envers elle”.


Ces derniers mois, RSF a reçu plusieurs signalements inquiétants concernant l’exercice du journalisme à Madagascar. Les pressions, intimidations et menaces se sont multipliées pour tenter de contrôler la communication publique autour de certains sujets, notamment celui de l’épidémie de Covid-19. En avril, notre organisation avait dénoncé l’utilisation par les autorités de l’état d’urgence sanitaire pour justifier l'interdiction d'une  dizaine d’émissions politiques à titre préventif, au motif qu’elles étaient “susceptibles de troubler l’ordre et la sécurité publiques et nuire à l’unité nationale”. Cette décision avait finalement été annulée quelques jours plus tard.


 

Madagascar a perdu trois places dans le Classement mondial de la liberté de la presse publié par RSF en 2021 et occupe désormais la 57e position sur 180 pays.

Publié le
Mise à jour le 01.07.2021