Ma vie en prison (deuxième partie)

Vie d'un journaliste chinois, de Jiang Weiping Reporters sans frontières présente une série de quatre articles du journaliste d’investigation Jiang Weiping, dans lesquels il raconte sa vie de journaliste : de ses débuts dans le journalisme dans les années 1980, en passant par son arrestation en 2000, jusqu’à son exil au Canada en 2009. « Jiang Weiping est un journaliste exemplaire et courageux. Il n’a pas hésité à se mettre en danger pour dénoncer la corruption dans les plus hautes sphères du Pari communiste chinois. C’est grâce à un journalisme engagé que la population chinoise prend connaissance des dérives du Parti ‘tout puissant’ et grâce au travail de journalistes engagés tels que Jiang Weiping que la liberté de la presse pourra évoluer en Chine », a déclaré l’organisation. Jiang Weiping est un journaliste expérimenté et reconnu. Il a commencé sa carrière dans les années 1980, en travaillant pour l’agence Xinhua. Puis, au début des années 1990, il est devenu chef du bureau de la Chine du Nord-Est pour le journal hongkongais Wen Wei Po (香港文匯報). En 1999, il a écrit une série d’articles sur la corruption du PCC pour le magazine hongkongais Frontline (前哨). A partir de 2001, il a travaillé pour le Hong Kong magazine. En décembre 2000, il est arrêté par les autorités provinciales de Dalian (Nord-Est). En mai 2001, il est condamné à huit ans de prison pour « mise en danger de la sécurité de l’Etat » et « diffusion de secrets d’Etat ». Il est finalement libéré en 2006, après avoir purgé six années de prison. En février 2009, il obtient l’asile politique au Canada. Il vit à Toronto avec sa femme et continue de travailler en tant que journaliste indépendant et calligraphe. Voir première partie --------- Deuxième partie: Ma vie en prison Du 4 décembre 2000 au 3 janvier 2006, je fus emprisonné dans « les prisons noires » du Parti Communiste Chinois (PCC) pendant 5 ans et un mois. J’ignorais qu’il existait encore un pays dans lequel les tribunaux pouvaient prononcer des peines contre des officiels corrompus, mais également contre les journalistes qui dénonçaient ces mêmes officiels. C’est à cette absurde farce que j’ai moi-même goûtée. Mon premier lieu de détention fut la base de la marine militaire de Lushun où je restai pendant 45 jours. A l’époque, Bo Xilai venait d’être promu gouverneur de la région du Liaoning. Son « gang » organisa un rassemblement de plus d’un millier de personnes pour fêter dans les rues de Dalian son départ pour la province de Shenyang. Mais aucun des 5 900 000 habitants de Dalian, excepté ma femme, ne se doutait qu’un journaliste avait été emprisonné pour avoir critiqué Bo Xilai. Les agents du Bureau National de la Sécurité de Dalian, entre autres Wang Fuquan, Lu Donghui, Deng Yiqiang et Lin Gang, ont été très violents contre moi, coupant mes vivres, m’empêchant à tour de rôle de dormir, et finalement me forçant par la torture à inventer des aveux. Ils obtinrent également des soi-disantes preuves car j’avais écrit pour « une association étrangère hostile à la Chine », les revues dissidentes L’Avant Poste et Ouverture. Sous la torture, je me suis évanoui plusieurs fois. Je dus appeler l’ambulance, et je fus transféré à l’hôpital de l’armée de terre de Lushun. Le Premier Secrétaire du Comité de Bureau National de la Sécurité de Dalian, Che Kemin, me dit qu’après l’ouverture de la 9ème session du Parlement du Liaoning, Bo Xilai, le Secrétaire de la Province, deviendrait le Secrétaire du Comité Régional du Parti, soit le 17ème homme politique le plus important de Chine ! Il ajouta que les articles critiquant le nouveau Secrétaire seraient considérés comme autant d’incitations à la subversion du pouvoir politique ! Mais Bo ne put s’emparer de la tête du Comité Régional du Parti avant la 9ème session. Ils estimèrent alors que les preuves étaient insuffisantes pour m’inculper et confisquèrent les articles relatant les affaires de corruption Mu & Ma et du vice-maire de Daqing, Tie Luhua. Ils demandèrent également au Département de la Défense de la Municipalité de Dalian de confirmer que ces affaires relevaient du secret d’Etat. Enfin, ils m’accusèrent de fournir illégalement des secrets d’Etat à des organisations étrangères. Le 19 janvier 2001, on me transféra dans un autre centre de détention situé à Dalian. Afin d’attaquer les ennemis politiques et de m’utiliser comme bouc émissaire, Bo Xilai arrêta certains de mes collègues, détint illégalement ma femme pendant 28 jours, inventant toutes sortes de méfaits. Par ailleurs, sans preuve tangible, ils accusèrent mon avocat Chen Dehui d’une dizaine d’infraction, notamment de fraude fiscale. (Chen avait accepté de me représenter et le lendemain, il fut arrêté. Un an après son arrestation, il était proclamé innocent). On aurait pu m’assassiner sans que je puisse divulguer ces affaires. Heureusement, un gardien bienveillant accepta de transmettre des lettres à mon épouse. Celle-ci les publia dans Asia Weekly, attirant alors l’attention des médias hongkongais et étrangers. Dès lors, mes conditions de détention s’améliorèrent. Le 5 mai 2001, Bo Xilai manœuvra habilement le tribunal populaire intermédiaire de Dalian, qui ouvrit une audience à huis clos avant de me condamner. Figuraient au procès simplement un juge, d’un secrétaire, d’un avocat et de cinq autres personnes. Même ma femme ne put assister à l’audience. En outre, la police judiciaire de Lushun dissuada et même battu certains de mes proches afin de les empêcher de se rendre à l’audience. Peu de temps auparavant, au même endroit, j’avais écrit un article sur l’affaire Mu & Ma où le maire Mu Suixin, jugé pour corruption, avait été condamné à la peine capitale avec sursis. Le box de l’accusé que j’occupai ce jour avait été le sien également : aux yeux du PCC, considère en fait les officiels corrompus et les journalistes dénonçant ces affaires de façon identique. Le 26 décembre 2001, on me condamna à huit ans de prison et me priva de mes droits civiques pendant quatre ans pour avoir fourni des secrets d’Etat à des organisations étrangères illégales et initié des actions subversives contre le pouvoir politique. Il n’y avait pourtant que deux documents prouvant ma soi-disante culpabilité. Le premier, fourni par le Bureau des Affaires Secrètes, stipulait que l’affaire de Ma Xiangdong relevait du secret d’état. Le deuxième, fourni par le Bureau National de la Sécurité, affirmait que L’Avant Poste était une revue dissidente de Hong-Kong. Il y avait aussi un document que j’avais demandé à ma collègue Cai d’imprimer. Zhang Mingming, le juge principal qui avait fait ses études au Royaume Uni, interdit à Cai Mingfu, l’avocat qui me défendait, de produire pendant l’audience les articles relatant le séjour de Ma Xiangdong au casino de Macao. Cette interdiction témoigna de l’influence de Bo Xilai et de son « gang » sur la sphère judiciaire. L'année suivante, sous la pression internationale, mon dossier fut révisé par la cour de la Province du Liaoning. Je fus finalement condamné à 6 ans de prison et dépossédé de mes droits civiques pendant 3 ans. On me transféra alors au centre de détention de Yao Jia de Dalian. Bo Xilai, le gouverneur de la province, me proposa de réduire ma peine et de couvrir mes soins médicaux si je faisais de la diffamation contre un autre officiel municipal. Ce que je refusai. Je compris alors que les campagnes anti-corruption menées par le PCC étaient en fait des luttes intestines au sein du Parti. Bo Xilai, Jiang Zemin et Li Tieyang s’étaient battus pour l’appât du pouvoir et du gain, et avaient donc tenté d’empêcher l’affaire de Mu & Ma d’être dévoilée. Le père de Bo Xilai, Bo Yibo, et Jiang Zemin se rencontrèrent secrètement pour conclure des affaires louches. Par la suite, ils cherchèrent à utiliser l'affaire de Mu & Ma pour traîner le Gouverneur de la Province, Zhang Guoguang, devant les tribunaux, renverser le Secrétaire Wen Shizhen et devenir ainsi l’Officier Supérieur chargé aux frontières, succédant à Hu Jintao. Zhang Guoguang fut donc arrêté. Les rapports entre le Comité de la Discipline et de l’Inspection et le Bureau National de la Sécurité avaient dégénéré en des luttes intestines entre les hommes d’influence du Parti. Les honnêtes journalistes devaient donc être sacrifiés. Le 20 février 2003, je fus transféré du centre de détention à la prison Wafangdian de Dalian pour purger le reste de ma peine et effectuer des travaux forcés. Chaque jour, sous la pression des geôliers, je devais me lever à 5 heures. A 6 heures, je devais commencer à travailler jusqu'à 11 heures le soir, sans pouvoir ni boire ni aller aux toilettes. Le travail manuel était pénible et consistait entre autres à ramasser des algues. On me donnait 3 repas par jour, faits de beignets de maïs avariés et d’ananas. Pendant plusieurs jours, je ne pouvais pas me laver ; malade, je ne recevais aucun soin à temps ; mon corps était couvert de rougeurs et de pustules, mes vêtements de vers et mes jambes d'oedèmes. Le soir, je dormais avec 167 autres personnes entassées sur le plancher. Le plus insupportable restait les punitions infligées aux détenus qui n'avaient pas fini leur tâche à temps le soir. Ces derniers devaient alors s'aligner, têtes baissées, et se faire battre, parfois au point de s’évanouir ou d’être grièvement blessés. Les surveillants de la prison faisaient semblant de ne rien savoir. Au départ, Bo Xilai avait ordonné qu'on me traite sévèrement et avait demandé au père de Lu Donghui de me surveiller. Il tenta secrètement de me nuire en prison. Fort heureusement, l'un des geôliers connaissait mon ami nommé Song, et jamais il ne me frappa. Toutefois, chaque jour, l’on méprisait les droits de l’homme et, chaque jour, des actions inhumaines étaient commises. Les plus touchés étaient les pauvres détenus, incapables de corrompre les gardiens et dépourvus de pistons. Contrairement aux plus riches, ils devaient travailler toute la journée. Cela n'était que le simple reflet du monde extérieur : à l’instar de la Chine, les prisons du PCC sont des lieux où puissants et faibles ne jouissent pas des mêmes droits. Dans la prison de Wafangdian, était détenu l’ancien Chef du Tribunal Populaire Intermédiaire de Shenyang, Mr Liang, impliqué dans l'affaire de Ma & Mu. Dans sa cellule, on avait installé un ordinateur et un gardien lui avait été attitré. Du 9 avril 2003 à ma remise en liberté le 3 janvier 2006, j'ai entendu et vu beaucoup d'histoires. La prison était composée de cinq quartiers. Dans le premier quartier se trouvait le poste chargé de s’assurer du respect de la discipline. Le deuxième était composé de membres chargés d'un petit journal de rééducation et d'une chaîne de télévision. Le troisième s'occupait de la cantine et des douches. Ces derniers étaient les quartiers éloignés des zones de production de béton. Seuls ceux qui avaient des relations pouvaient y vivre là. Les montants des pots-de-vin variait entre 3000 et 10 000 RMB. Dans la prison, même les lits de l’hôpital avaient un prix et il suffisait d’avoir de l’argent pour en bénéficier. L’on pouvait ainsi échapper au travail forcé, prendre les repas spécialement préparés pour les malades. Les co-détenus se disaient entre eux qu’avec de l’argent, tu es libre ; sans argent, tu es coupable. En mai 2005, le Vice-Gouverneur de la province du Liaoning et homme de confiance de Bo Xilai, Liu Ketian, condamné à 12 ans d'emprisonnement, logeait dans ce quartier et recevait un traitement des plus favorables. Pour son confort, on lui avait acheté un lit en bois. Le jour de son emprisonnement, un chauffeur était venu le chercher. Il partageait sa cellule avec seulement deux autres détenus, alors que, moi, j'ai dû dormir, dans un premier temps dans une salle avec 93 autres personnes, puis dans une cellule de 12 personnes. Les deux personnes qui logeaient avec Liu Ketian se nommaient Zhou, anciennement à la Police du Peuple, et l'autre, Zhang, qui avait été Président d’un tribunal. Tous trois ne faisaient guère de travaux forcés. Liu Ketian ne portait pas d’uniforme quand, mains dans les poches, il sortait dans la cour. Une cuisinière avait été mise à leur disposition, et chaque semaine, leurs femmes venaient passer une nuit, leur apportant de la nourriture et produits divers. La tâche de Liu Ketian était de lire devant les autres détenus, dans la salle de lecture. On trouvait de tout dans leur chambre: télévision couleur, réfrigérateur, lave-linge. Ayant édité des recueils de poésie, il récitait des poèmes. Leurs conditions de vie étaient radicalement différentes des miennes. Dès mon arrivée, j'ai dû faire plus de deux mois de travaux forcés, chaque jour je travaillais plus de dix heures. Faible physiquement, j'étais la cible des autres détenus. Désespéré, je perdais mes cheveux, j'avais de très graves maux d'estomac. Mais, même malade, la prison interdisait l'envoi de médicaments. Bo Xilai et son « gang » continuèrent de charger des personnes de me superviser. Zhang Lei, Guo Qiang, policiers de la prison, essayèrent de me nuire. Mais un geôlier nommé Gao avait été correct avec moi, me proposant de ne plus travailler et d'éditer au sein de la prison "Le Journal de la Nouvelle Vie". Ce que je refusai. Car quitte à mourir, je ne voulais plus réécrire pour le PCC. Guo Qiang me dit alors que chaque article écrit réduirait ma peine de 7 jours. Encore une fois, je refusai, poliment. Après le 26 juin 2006, le directeur de la prison, Gao, ordonna en personne mon transfert vers un quartier où je n’avais plus à faire de travaux forcés. Je devais alors faire la lecture pour les autres prisonniers. Les geôliers croyaient peut-être que, placé sous la surveillance des autres détenus, je deviendrais inoffensif. Pourtant, je réussis finalement à obtenir une radio à onde courte et pus me remettre au courant de l'actualité internationale. Grâce aux entrées et sorties de 5000 détenus, je découvris quelques combines, remplis plus de 30 cahiers de notes, quatre journaux intimes et un tome de poèmes, que je transmis à l'extérieur. A la fin 2003, j'écoutai l’émission de la journaliste Xiao Man interviewant Bao Tong (Bao Tong était un cadre du parti, proche de Zhao Ziyang, Secrétaire Général du PCC en 1989, qui avait soutenu le mouvement étudiant). La journaliste mentionna mon nom, ce qui m'incita à continuer de transmettre de mes nouvelles. Après la fête du nouvel an de 2004, une retransmission radiodiffusée m’appris que ma femme s’était rendue secrètement au Canada accompagnée de notre fille. Après les vacances du nouvel an de 2003, grâce au portable d'un ami détenu, je pus joindre un ami journaliste, à qui je demandai de me faire parvenir 2000 RMB (200 euros) ainsi que des médicaments pour soigner mes maux d'estomac. Des 2000 RMB, le geôlier pris 1000 RMB de commission, le reste me servit pour l’achat de tickets repas. Dans la prison, je ne faisais presque que lire. Toutefois, je n’ai pu finir les longs volumes des « Mémoires Historiques » de l’historien Sima Qian. Je pus également utiliser un appareil pour étudier l'anglais jusqu’au transfert du geôlier Gao, qui m’avait permis d’étudier cette langue étrangère. Mes conditions de détention s’améliorent alors. Mais Zhang Lei prétexta une inspection médicale pour me battre. Je répondis par un coup de poing. Un policier de la prison, Yuan Yiqing, me déconseilla de faire des vagues. Par la suite, Zhang Lei encouragea plusieurs détenus à me nuire. Dans la première partie de l'année 2005, de nombreuses manifestations se déroulèrent en Chine. Au même moment, le directeur Chu Yu, le vice-directeur de la prison Bai Shiming, Sun Chenfeng m'empêchèrent d'utiliser mon appareil pour apprendre l'anglais, m'enfermèrent pendant plus de 40 jours et demandèrent à Li Hongjun, Qun Xigang et d'autres détenus de s’assurer que je ne sortais pas de cette cellule. Ces derniers, au milieu de la nuit, chantaient à tue-tête, m'empêchant de dormir. Ne pouvant me rendre aux toilettes, j'urinais dans une petite bouteille. La pièce puait affreusement. Je ne pouvais plus voir mes proches. J'attrapai le vitiligo et j’eus de graves problèmes de peau. J’en ai toujours les séquelles. Sous la pression internationale, juste avant la visite de Hu Jintao aux Etats-Unis, ma peine fut réduite de 11 mois. Finalement, je fus libéré le 3 janvier 2006. La semaine précédant ma libération, les agents Lu Donghui et Deng Yinqiang m’avertirent que je serais sous surveillance après ma sortie. Alors que je sortais de la prison par la porte principale, je me retournai pour apercevoir des volutes de fumée qui s’échappaient de l’usine de béton. Mes pensées étaient encore enfermées dans cette brume. Cinq ans et un mois d'emprisonnement n'étaient finalement pas une période si longue, pensai-je alors. J’ai connu trois centres de détention, un militaire, un local et un municipal. Peut-être était-ce Dieu qui m'avait envoyé en prison pour une interview. Une longue et complète interview! Le PCC m’avait confisqué ma plume. Mais en toute honnêteté, je pourrais plus tard prendre une autre plume et écrire sur les dessous de cette prison noire dans laquelle j’avais vécu. Décrire une prison dépourvue de toute justice. A mon geôlier de la porte sud, Yuan Yiqing, je dis : Merci ! Vidéo de l'interview sous-titré français et anglais avec Jiang Weiping: Voir troisième partie ---------- Les lecteurs hongkongais et étrangers, qui savent que j’ai été journaliste pendant dix-huit ans avant d’être emprisonné pendant cinq ans, aiment à me demander si je sais ce que c’est la liberté de la presse, si la liberté de la presse existe en Chine, si je peux prévoir quand, en Chine, la presse sera libre... Je ne suis pas un expert sur le sujet, aussi, je ne m'essaierai pas à faire des grands discours, me contentant de donner quelques conditions pour l’existence de la liberté de la presse. Ainsi, quand les autorités permettent la libre expression, quand les journalistes peuvent interviewer, s'exprimer et publier librement, quand ils ne sont pas emprisonnés pour des écrits ou des propos, alors seulement peut-on parler de liberté de la presse. Évidemment, les journalistes se doivent d’être intègres. Cette intégrité s’apparente à une chaîne qui retient un danseur. Rousseau n’avait-t-il pas écrit que « l’homme naît libre mais partout il est dans les fers » ? Après ma libération le 4 janvier 2006, je fus accueilli par mes proches qui me donnèrent plus d'une centaine d’articles qui relataient mon affaire provenant de sites de journaux hongkongais et étrangers. Bien sûr, je n’ai eu de cesse de remercier les gens qui m'ont soutenu, mais j’ai toujours senti que je n'avais pas fait tout mon possible. Je n’ai lu qu’un article critique à mon égard, intitulé « Bo Xilai avale sa rancœur ».Je jetai à la poubelle l’ensemble des articles tous plus élogieux les uns que les autres pour ne conserver précieusement que cet article qui relatait mon soi-disant licenciement du Dalian Daily au début des années 80, ainsi qu’un détournement de plus de 800 000 yuans du journal Wen Hui, tout autant inventé. Mais heureusement que les collègues du Dalian Daily et de Wen Hui veillent et peuvent encore témoigner de ma bonne conduite. Un ami avocat m’expliqua alors qu’un procès pour diffamation pourrait me rapporter beaucoup d'argent. Pour plaisanter, je rétorquai que c’était cela la liberté de la presse, que grâce à cet article, je ne pourrais pas prendre la grosse tête. Après tout, je ne suis qu'un journaliste ordinaire qui n’avais pas imaginé de faire quelque action héroïque. Et je tiens à dire que, jamais, je n’ai reçu de pots-de-vin, ni été licencié. Tandis qu’une centaine d'articles approuve mes écrits, un seul s’est montré critique. J’aurais voulu qu’il y en ait plus. C'est pour cela que je garde précieusement. Je ne sais qui en est l’auteur. Un jour, peut-être, pourrais-je le remercier en lui offrant une de mes calligraphies ! Les louanges peuvent pervertir les individus. Mais il en est de même pour les gouvernements. Un parti politique unique tend à se complaire dans l’écoute de louanges, à rendre toute critique impossible. Inévitablement, à l’instar du Parti Communiste Chinois, c’est alors une généralisation de la corruption et de la décadence du régime à laquelle on assiste. Le PCC n’autorise ni l’expression libre d’opinions divergentes, ni la possibilité pour les journalistes de révéler la vérité. Il s’efforce seulement d’assurer le maintien au pouvoir de ses leaders. La République Populaire de Chine, depuis sa fondation en 1949 jusqu'à l'arrestation récente de Liu Xiaobo, n’a cessé d’envoyer ses dissidents en prison. La liberté de la presse n’existe donc guère en Chine à l’heure actuelle. Seule la période qui a précédé le massacre des étudiants du 4 juin 1989 aura été libre pour les journalistes. Mais cette liberté, le 4 juin, c’est de leur vie, qu’ils ont dû la payer. Car les journalistes chinois ne sont pas intouchables. Ils sont constamment gênés dans leurs enquêtes, ne peuvent s’exprimer librement et doivent se contenter de chanter les louanges du PCC. Je n’évoquerai même pas l’obligation de soumettre les articles à un bureau chargé de la censure, ou la peur qui suit la publication d’articles sensibles. C’est à ce genre de problèmes que j’ai passé ma vie à me confronter. De nos jours, les lignes éditoriales des journaux de Chine continentale vont du pareil au même. Certes, quelques variations sont tolérées, mais ils doivent toujours rester en harmonie avec la mélodie du PCC. C’est ce que j’appelle l’uniformité médiatique. La propagande mensongère sert seulement à masquer les innombrables problèmes sociaux, sûrement pas à les résoudre. En fait, l’impossibilité de relayer la volonté et les complaintes populaires provoquent encore plus de bouleversements et d’instabilité sociale. La multiplication des revendications ces dernières années indique l’importance croissante de la société civile chinoise. Mais en Chine, les doléances des défavorisés peinent à être relayées du fait du manque de liberté. J’estime que l’absence de liberté d’expression revient à supprimer la raison d’être des journalistes. L’ensemble des médias est sous la tutelle du PCC car c’est le Parti qui décide de qui est à la tête de tel journal, tel magazine et telle chaîne de télévision. C’est également lui qui fixe les salaires, les primes ou les subventions pour le logement. Les audacieux journalistes, qui ne font pas les louanges exigées par le PCC, peuvent être rétrogradés, licenciés, voire même emprisonnés et jugés. Naturellement, dans ce cas, les avantages sociaux, comme la couverture sociale, sont aussi supprimés. Comment ne pas craindre ces sanctions, alors qu’on doit gagner sa vie, se marier, avoir des enfants et les élever? C’est pour cette raison que la plupart des 200 000 journalistes de Chine obéissent aveuglément au gouvernement. La croissance, encore relativement élevée, de l’économie chinoise, a permis au PCC d’utiliser alternativement la violence et la propagande afin de mettre sous pression les médias. La probabilité de voir la situation des médias changer à court terme est donc assez faible. Dans le cas où aucune transformation du régime politique ne surviendrait, nous serions réduits à espérer les faveurs du PCC. La liberté de l’information ne tombe pas du ciel. Dans ce cas, comment exiger de soudaines transformations ? Je pense que les mouvements populaires de protection des droits de l’homme constituent une pression des plus importantes. Une étincelle, si infime soit-elle, pourra attiser réellement la volonté populaire et obliger le PCC à changer. Peu importe donc comment la société évoluera, journalistes et média vont assurément jouer un rôle crucial. Dans la situation actuelle, le plus efficace serait au plus vite de promulguer « un code de l’information », déjà esquissé au cours des années 80, mais qui doit être remis à jour. Certes, la promulgation du code ne sera pas tout de suite suivie d’effet, mais constituera une étape significative. Ce code serait l’occasion pour les réformistes au sein PCC de faire avancer la Chine vers la démocratie. Même si le code n’était pas parfait, même s’il n’était pas mis, de suite, en pratique, sa seule existence encouragerait les journalistes, se sachant protéger, à user de leur droit. Au début de juin de cette année, lors d’une conférence, je tentai d’évoquer le problème de la liberté d’expression en Chine auprès de confrères avec qui j’avais autrefois partagé les mêmes idéaux. Mais ils me croyaient trop modéré, compréhensif ou même bercé d’illusions à l’égard du PCC. Comment pourrait-il en être ainsi ? Ces gens-là ont quitté la Chine il y a une vingtaine d’années, et il me semble qu’ils sont devenus déconnectés et ne comprennent pas la situation actuelle. Rares sont les éditeurs ou journalistes, affilié au Parti, qui voudraient faire fi de la censure, et risquer ainsi de perdre son emploi. Pourtant, tout le monde, ou presque, applaudirait à l’idée d’établir ce code. On pourrait alors discuter sur le fond, évoquer sa mise en application et son suivi. Lentement mais sûrement, on avancerait vers une Chine démocratique. Peut-être que même des miracles pourraient survenir. Mais il faut garder à l’esprit que la Chine est trop grande, la puissance étatique trop importante, le gouvernement trop autoritaire et la population trop soumise. Aussi, si l’on veut s’aventurer sur la route épineuse et sinueuse de la liberté d’expression, il faut être méthodique et résoudre les problèmes à bras le corps. Cette année, mon cauchemar vient de prendre fin. J’ai vécu en Chine et au Canada et je me sens à même de comparer les deux pays. Je suis devenu encore plus sensible à l’importance de la liberté d’expression. Le Ministre de l’Immigration canadien m’a dit en personne que je pourrais devenir citoyen canadien et enquêter sur les scandales de corruption de son pays… Certes, c’était une plaisanterie, mais elle illustre le fait que les médias canadiens, ainsi que les citoyens dans leur ensemble, peuvent veiller sur les autorités officielles. Les régimes non démocratiques ne peuvent avoir des scandales de corruption. Mais un régime démocratique comme celui du Canada ne saurait emprisonner pour des écrits ! Évidemment, la liberté de la presse doit être légiférée. Un vrai journaliste ne saurait inventer des histoires, ou diffamer quelqu’un, car il risquerait d’être attaqué. Par conséquent, la liberté de la presse peut pleinement se réaliser si la justice est indépendante et peut garantir la liberté des journalistes. Mais en Chine, les individus qui doivent être défendus ne le sont pas, et ceux qui doivent être attaqués ne le sont pas. Par exemple, alors que des journalistes intègres sont arrêtés tandis que des journalistes corrompus, payés grassement pour ne pas dévoiler des scandales. Enoncer des principes ne suffit pas, il faut agir. Sans plus attendre. De toutes nos forces, nous devons œuvrer afin d’améliorer la Chine. Ainsi, nos vies n’auront pas été inutiles ! Vidéo de l'interview sous-titrée français et en anglais avec Jiang Weiping:
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Updated on 20.01.2016