Lois sur les “agents de l’étranger” : RSF dénonce la loi du talion appliquée aux médias

Mise à jour : La loi sur les médias “agents de l’étranger” a été adoptée par la chambre haute du parlement russe le 22 novembre 2017 et promulguée par le président Vladimir Poutine trois jours plus tard. Le 5 décembre, le ministère de la Justice a déclaré “agents de l’étranger” Voice of America, Radio Free Europe / Radio Liberty et sept services affiliés (à savoir cinq déclinaisons régionales, la chaîne Current Time TV et un service de fact-checking). RSF dénonce à nouveau une décision qui risque de restreindre encore l’accès des citoyens russes à une information libre, dans un contexte de pression sans précédent sur les médias locaux.




15.11.2017 - Deux jours après l’enregistrement de la chaîne d’État russe RT comme “agent étranger” aux États-Unis, Moscou adopte le 15 novembre 2017 une loi permettant de déclarer comme tel n’importe quel média international. Reporters sans frontières (RSF) s’alarme d’une logique dangereuse.


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Comme souvent en Russie, la loi a été adoptée au pas de charge : le 15 novembre 2017, la Douma (chambre basse du parlement russe) a voté une proposition de loi permettant de déclarer tout média international “agent de l’étranger”. Le texte ne définit aucun autre critère que la personnalité juridique ou le financement étranger, laissant aux autorités une marge d’interprétation démesurée. Il n’a désormais plus qu’à être approuvé par la chambre haute, une formalité, et promulgué par le président Vladimir Poutine.


“Ces dispositions extrêmement vagues ouvrent la voie à une application sélective, arbitraire et éminemment politique, déplore Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale. Dans un contexte de pression sans précédent sur les médias, elles risquent de compliquer encore plus l’accès des citoyens russes à une information libre. Nous dénonçons cette loi du talion qui fait une seule victime : la liberté de la presse. Il est très regrettable que les autorités américaines aient mis le doigt dans cet engrenage : si la lutte contre la propagande est un impératif de notre époque, ce n’est pas aux gouvernements de définir les contours du journalisme légitime.”


La proposition de loi adoptée le 15 novembre étend aux médias étrangers les dispositions draconiennes qui s’appliquent depuis 2012 aux ONG percevant des financements internationaux. Ces dernières doivent estampiller toutes leurs publications du sceau infamant d’“agent de l’étranger” et rendre des comptes détaillés quant à leur situation financière. Les ONG qui ne le font pas s’exposent à des amendes astronomiques qui en ont poussé des dizaines à la fermeture. Utilisée comme une arme de guerre contre la société civile, cette législation a frappé, entre autres, les principales ONG russes de soutien aux médias.


Les dispositions qui s’appliqueront prochainement aux médias étrangers sont cependant encore plus vagues : contrairement à ce qui prévaut pour les ONG, l’application de la future loi ne sera même pas soumise à une quelconque “activité politique”. D’après les députés, c’est le ministère de la Justice qui déterminera au cas par cas à qui la loi doit s’appliquer. On ne peut donc que spéculer à ce stade sur les premiers titres visés : si les médias publics occidentaux tels que Radio Free Europe / Radio Liberty, BBC ou Deutsche Welle figurent en bonne place, des médias russes en exil pourraient également être ciblés.


Cet amendement se veut une réponse à l’enregistrement de la chaîne d’Etat russe RT comme “agent étranger” aux Etats-Unis. La société T&R Productions LLC, qui la représente, s’est inscrite le 13 novembre au registre du ministère de la Justice américain.


La Russie occupe la 148e place sur 180 au Classement mondial 2017 de la liberté de la presse publié par RSF.

Publié le
Updated on 11.12.2017