Loi fédérale sur la protection des sources : Reporters sans frontières en appelle aux nouveaux élus du Congrès
Après les élections au Congrès du 7 novembre 2006, Reporters sans frontières écrit à Nancy Pelosi et Harry Reid, futurs présidente et vice-président de la Chambre des représentants et du Sénat, pour que soit votée une loi fédérale sur la protection des sources. L'organisation attend également que la mandature mette fin au scandale de Guantanamo.
M. Harry Reid, vice-président élu du Sénat
Madame, Monsieur Vous assumerez, en janvier 2007, la présidence de la Chambre des représentants et la vice-présidence du Sénat. Reporters sans frontières, organisation internationale de défense de la liberté de la presse, espère que la nouvelle majorité au Congrès, sortie des urnes le 7 novembre 2006, saura remédier à la nette dégradation de la liberté des médias observée aux Etats-Unis sous la précédente mandature. Deux importants défis vous attendent dans cette perspective. Le premier concerne la loi fédérale (“federal shield law”) sur la protection du secret professionnel pour les journalistes. Le 2 février 2005, les représentants Mike Pence (R, Indiana) et Rick Boucher (D, Virginie) avaient déposé à la Chambre une proposition de loi, intitulée “Loi sur la liberté de circulation de l'information”, qui garantirait aux journalistes le “privilège absolu” (“absolute privilege”) du secret des sources, atténué en “privilège qualifié” (“qualified privilege”) pour certaines affaires pénales. Les sénateurs Richard Lugar (R, Indiana) et Christopher J. Dodd (D, Connecticut) avaient introduit, le 9 février suivant, une proposition de loi dans les mêmes termes. Ces initiatives parlementaires permettraient de combler une grave incohérence juridique, qui veut que le privilège du secret professionnel soit reconnu aux journalistes dans 33 des 50 Etats et non au niveau fédéral. Elles se sont malheureusement heurtées à l'opposition du gouvernement au nom de l'impératif de “sécurité nationale”, et certains journalistes - comme Judith Miller, du New York Times, en 2005 - ont été condamnés à une peine de prison par la justice fédérale, alors qu'ils avaient, par ailleurs, obtenu gain de cause devant une juridiction locale. Outre que la presse n'a pas à servir d'auxiliaire à la police ou à la justice, l'argument de la “sécurité nationale” ne peut soutenir certaines procédures engagées contre des journalistes pour “outrage à la cour”. La situation de Josh Wolf entre dans ce cas de figure. Pour avoir refusé de livrer à la justice ses archives vidéo d'une manifestation contre le G8, ce journaliste indépendant et blogueur de 24 ans est détenu depuis le 18 septembre 2006 sur ordre d'une cour fédérale. Il avait déjà été incarcéré entre le 1er août et le 1er septembre. Est-il constitutionnel qu'un citoyen soit puni deux fois pour le même motif ? Egalement passibles de prison pour des raisons identiques, Lance Williams et Mark Fainaru-Wada, du quotidien San Francisco Chronicle, avaient enquêté sur une affaire de dopage. L'indépendance de la presse est en jeu. Le législateur ne peut se satisfaire d'un statu quo intenable. L'autre grand dossier concerne le scandale juridique et humanitaire que représente aux yeux de la communauté internationale le sort des prisonniers de Guantanamo. Parmi les 400 détenus du camp figure, depuis le 13 juin 2002, le cameraman soudanais d'Al-Jazira Sami Al-Haj. Non seulement son cas est emblématique du traitement infligé à des individus incarcérés la plupart du temps sans la moindre charge et hors de tout cadre juridique (tortures, privations de soins et de sommeil, absence de contact avec la famille et violations répétées des droits de la défense) mais il traduit l'acharnement d'un gouvernement contre un média étranger. Sami Al-Haj est maintenu à Guantanamo simplement pour avoir refusé d'”avouer” des liens fantasmés entre Al-Jazira et Al-Qaïda. Alors que la Cour suprême a déclaré inconstitutionnelle les juridictions militaires chargées de juger les détenus de Guantanamo, le 29 juin 2006, le précédent Congrès a voté à la hâte une loi promulguée le 17 octobre autorisant le recours à la torture. Cette loi doit être abrogée, le camp fermé et Sami Al-Haj libéré sans conditions et dans les plus brefs délais. Les électeurs américains ont sanctionné les dérives de la “guerre contre le terrorisme”. Nous espérons qu'ils seront entendus. Je vous remercie de l'attention que vous porterez à cette lettre et je vous prie de recevoir, Madame, Monsieur, l'expression de ma haute considération. Robert Ménard
Secrétaire général