Les poursuites vengeresses de Donald Trump contre les médias ne reposent sur aucune base juridique, mais nuisent à la liberté de la presse aux États-Unis

À quelques semaines de son investiture pour un second mandat, le président élu Donald Trump a engagé des poursuites judiciaires contre divers médias, montrant qu'il a déjà commencé à mettre à exécution les menaces proférées lors de sa campagne. Reporters sans frontières (RSF) appelle les médias à défendre les principes de la liberté de la presse en jeu face à la stratégie de vengeance de Donald Trump contre les médias, alors qu'il s'apprête à transformer ces coups d'éclat juridiques en politique en tant que président.

Le récent accord conclu par Donald Trump avec la chaîne de télévision ABC News montre qu’il n’est même pas nécessaire qu’il gagne ses actions en justice pour atteindre le but recherché, à savoir remodeler les médias à son avantage. ABC News a accepté de verser 15 millions de dollars (soit environ 14,4 millions d’euros), plus les frais de justice, pour clore un procès en diffamation intenté par Donald Trump sur la base de commentaires du présentateur d'ABC George Stephanopoulos, selon lesquels Donald Trump aurait été jugé “responsable de viol” en mars 2024. La société mère d'ABC, Disney, aurait décidé de régler le litige en raison des inquiétudes quant aux résultats d'un procès devant un jury en Floride, un État que Donald Trump a remporté avec 13 points d'avance, et aux risques liés à la lutte contre un président “vindicatif” en exercice. 

Ce règlement risque de créer un terrible précédent pour les autres médias qui choisiront de s’incliner devant les menaces juridiques du président élu plutôt que de se défendre devant les tribunaux et l'opinion publique. La norme juridique que Donald Trump devrait respecter pour obtenir gain de cause devant les tribunaux reste très élevée, mais les médias pourraient décider que les risques de riposte – à la fois politiques et financiers – l'emportent sur les avantages d'un éventuel jugement en leur faveur. Cela pourrait contribuer à créer un environnement dans lequel la campagne d'intimidation de Donald Trump inciterait à l'autocensure parmi les médias qui préfèrent rester en dehors de sa ligne de mire.

Après avoir conclu un accord avec ABC, Donald Trump a intenté une autre action en justice, le 16 décembre, contre le journal The Des Moines Register et la sondeuse J. Ann Selzer, pour un sondage publié avant l'élection de 2024, qui montrait que la vice-présidente Kamala Harris avait une avance sur Donald Trump dans l'Iowa. La publication du sondage y est qualifiée de “fiction interférant avec l'élection”.

Lors d'une conférence de presse donnée ce jour-là depuis sa résidence de Floride, Donald Trump a justifié sa campagne d'intimidation juridique et a indiqué qu'il souhaitait armer le ministère américain de la Justice pour poursuivre ses ennemis présumés dans les médias. “J'ai le sentiment que je dois le faire”, a-t-il déclaré. “Ce n'est pas vraiment moi qui devrais le faire, c'est le ministère de la Justice ou quelqu'un d'autre, mais je dois le faire. Cela coûte beaucoup d'argent, mais nous devons redresser la presse. Notre presse est très corrompue. Presque aussi corrompue que nos élections.”

“Avant son retour au pouvoir, le président élu Trump poursuit sa campagne d'intimidation juridique contre les médias qui publient des articles qu'il n'aime pas. Donald Trump n'a pas besoin de gagner au tribunal pour que sa campagne judiciaire vindicative fonctionne. Ces poursuites mobilisent les ressources du média qui en a bien besoin ailleurs, en particulier quand il s'agit de petits médias qui n'ont pas les moyens de résister à des attaques juridiques bien financées ou à des attaques politiques coordonnées de la part de Donald Trump et de ses alliés. Les propriétaires de médias ne doivent pas céder.”

Clayton Weimers

Directeur du bureau Amérique du Nord de RSF

 

Historique des attaques contre les médias

Donald Trump a déjà intenté un procès sans fondements à la chaîne de télévision CBS pour la diffusion d'une interview de son adversaire, la candidate démocrate Kamala Harris, dans le cadre de l'émission “60 Minutes”. Il a accusé l'émission d'avoir manipulé les réponses de Kamala Harris pour les rendre plus flatteuses et a publié en octobre 2024 sur le réseau social qu’il a fondé, Truth Social, que “CBS devrait perdre sa licence”. Il a ensuite redoublé les attaques contre CBS lors d'une interview sur la chaîne Fox News, en déclarant : “Nous allons demander la production en justice de leurs reprotages”

Des collaborateurs de Donald Trump ont également menacé les médias de représailles. Kash Patel – choisi par Trump pour diriger le Federal Bureau of Investigation (FBI) – s'est entretenu avec Steve Bannon sur son podcast en 2023“Nous irons chercher les conspirateurs, non seulement au sein du gouvernement, mais aussi dans les médias”, avait déclaré Kash Patel. “Nous vous mettons tous en garde”. Steve Bannon, stratège en chef de la première administration Trump, avait lui aussi fait des déclarations alarmistes“Le peuple américain s'est exprimé et vous avez été inondés pendant des années. Weissman, vous étiez à la télévision avec MSNBC et tous les producteurs, MSNBC. Conservez vos documents. Ari Melber et tous les animateurs. Conservez vos documents. Tous vos documents”, a déclaré M. Bannon sur son podcast en faisant référence à l'analyste juridique de MSNBC, Andrew Weissmann. 

Donald Trump a demandé au moins 15 fois à la Commission fédérale des communications (FCC) de révoquer les licences de diffusion des chaînes de télévision, un pouvoir que le président ne possède pas directement. Donald Trump a ainsi demandé que la chaîne ABC News soit sanctionnée après la diffusion de son débat avec Kamala Harris. Il a également déclaré que Comcast, la société mère des chaînes NBC News et de MSNBCferait l'objet d'une enquête pour “trahison” s'il était élu. Il a également déposé une plainte auprès de la Commission électorale fédérale au sujet du quotidien Washington Post.

L’offensive anti-médias de Donald Trump s'est intensifiée avant l'élection du 5 novembre. Sur une période de huit semaines analysée par RSF, il a insulté, attaqué ou menacé les médias au moins 108 fois dans des discours ou des remarques publiques entre le 1er septembre et le 24 octobre. Ce chiffre n'inclut pas les posts sur les réseaux sociaux ou les remarques d'autres personnes liées à la campagne.

Le dénigrement des médias a également été utilisé comme tactique politique au niveau local pour discréditer les informations locales. Une étude publiée en 2024 par Harvard Dataverse a montré que “l'exposition à l'attaque d'un politicien républicain contre un journal local réduit considérablement la confiance du public dans les informations locales et son intention de les utiliser”. Le rapport de RSF sur l'état du journalisme dans les États pivots (“swing states”) avant les élections de 2024 a également révélé de nombreux cas où des politiciens locaux ont emprunté la méthode de Donald Trump pour intimider les médias locaux indépendants.

Plutôt que de redoubler l'hostilité qu'il a manifestée à l'égard des médias jusqu'à présent, Donald Trump devrait reconnaître que le journalisme est un élément indispensable au bon fonctionnement d'une démocratie. L'intimidation des journalistes et des médias est un processus destructeur qui prive les Américains d'un accès à des informations fiables. Le président élu peut profiter de l'occasion pour rétablir le climat de la liberté de la presse au niveau national et repositionner les États-Unis en tant que leader mondial de la liberté de la presse. Les entreprises de presse, quant à elles, ne devraient pas céder à la pression de Donald Trump tant que la loi est de leur côté.

Les États-Unis occupent la 55e place sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi en 2024 par RSF.

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