Loi de programmation militaire : RSF dépose un recours devant le Conseil d’Etat

Reporters sans frontières (RSF) a déposé le 24 février 2015 devant le Conseil d’Etat un recours en annulation contre le décret d’application de la loi de programmation militaire (LPM).

Le 24 décembre 2014, le gouvernement a discrètement adopté le décret n° 2014-1576 relatif à l’accès administratif aux données de connexion, qui met en application la Loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire (LPM), et notamment son article 20, dénoncé comme dangereux pour le travail des journalistes et la protection du secret des sources par RSF. Cet article, relatif à l’obtention de données personnelles et la surveillance des communications téléphoniques et internet en temps réel par l’administration française, porte gravement atteinte aux droits fondamentaux des citoyens et en particulier à la vie privée, à la liberté d’information et aux secrets des sources. RSF distingue trois motifs d’inquiétudes dans cet article : l’absence de contrôle du juge tout au long de la procédure de mise sous surveillance, des objectifs justifiant la surveillance trop larges, et un spectre des données recueillies trop étendu. RSF, la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), la Ligue des droits de l’Homme (LDH), et la Quadrature du Net avaient écrit aux parlementaires français le 13 décembre 2013 pour leur demander, sans succès, de saisir le Conseil constitutionnel afin d’évaluer la conformité des dispositions de la LPM à la Constitution. A défaut de contrôle par le Conseil constitutionnel, Reporters sans frontières a donc saisi le Conseil d’Etat pour lui demander d’annuler ce texte. Dans le recours déposé mardi, RSF dénonce la contradiction du décret avec le droit français, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, une atteinte disproportionnée au secret des sources journalistiques, et une absence de contrôle judiciaire de la procédure administrative d’accès aux données de connexion. Le décret attaqué ne contient aucune exception concernant la protection des sources journalistiques. A travers la protection des sources, c’est la liberté de la presse qui est protégée. Cette dernière a une valeur constitutionnelle et supra législative en droit français. En outre, le décret n’apporte pas les garanties requises par l’article 8 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE tel qu’interprété par l’arrêt du 8 avril 2014 de la CJUE (Digital Rights Ireland, C-293/12). Dans cet arrêt, la Cour a invalidé la directive relative à la conservation des données par les opérateurs de communications électroniques, estimant qu'elle n'était pas conforme à la Charte. En effet, la directive ne prévoyait pas d'exception concernant les personnes soumis au secret professionnel. Le décret ne prévoyant pas non plus d’exception pour les personnes soumises au secret professionnel, il permet, sans aucune restriction particulière, d’accéder aux données de connexion des journalistes, et ainsi aux informations permettant d’identifier leurs sources. Il est donc comme la directive contraire au droit de l’UE. Autre élément justifiant l’annulation du décret par le Conseil d’Etat, la procédure d’accès aux informations de connexions est exclusivement administrative. Le seul contrôle extérieur à l’administration stricto sensu revient à la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), qui n’intervient qu’a posteriori. Son seul pouvoir est de “recommander” au Premier ministre de mettre fin à l’interception jugée illicite. En raison des délais pour ce contrôle, une atteinte au secret des sources journalistiques qui serait ainsi commise pourrait se prolonger jusqu’à neuf jours. En outre, cette recommandation ne lit pas le Premier ministre et peut n’être suivi d’aucun effet, en l’absence de précision du décret. Le contrôle de la procédure d'accès aux données est donc insuffisant. A aucun moment l’intéressé n’est informé du fait qu’il fait l’objet d’une procédure de surveillance et que ses données sont collectées. il n’a donc aucun moyen de contester les décisions prises par l’administration ni devant elle ni devant un juge. Le droit au recours à un juge est donc vicié.
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Updated on 20.01.2016