Lettre ouverte de Reporters sans frontières au Premier ministre Frank Bainimarama
Organisation :
Monsieur Frank Bainimarama
Premier Ministre intérimaire
Suva - Iles Fidji
Paris, le 18 mai 2009
Monsieur le Premier Ministre,
Reporters sans frontières souhaite attirer votre attention sur la détérioration de la liberté de la presse depuis que vous avez promulgué, le 10 avril 2009, les « Public Emergency Regulations 2009 », initialement pour une période de 30 jours. Ces dispositions institutionnalisent la censure préalable et officielle. Aujourd'hui, dans les médias fidjiens, les critiques à l'encontre de votre gouvernement ont disparu. Si l'actualité politique, sociale ou économique est toujours traitée, les journalistes ne sont plus en position de jouer leur rôle de quatrième pouvoir. La peur s'est installée dans les rédactions après une série d'arrestations de journalistes et des déclarations menaçantes de responsables officiels.
Les « Public Emergency Regulations 2009 » prévoient le contrôle des médias pour empêcher la publication d'informations “susceptibles de provoquer des troubles”. Ces régulations incitent les médias à ne publier que des informations “positives” et donnent tous les pouvoirs à votre Secrétaire permanent à l'Information, le lieutenant-colonel Neumi Leweni, dans la diffusion des informations. Ce dernier a d'ailleurs répété à plusieurs reprises que les personnes ne respectant pas les « Public Emergency Regulations 2009 » seront arrêtées et pourront être poursuivies.
Depuis la mise en place de ces dispositions, et leur renouvellement jusqu'au 10 juin 2009, des militaires et des agents du ministère de l'Information se sons installés dans les rédactions des médias pour en contrôler le contenu et empêcher les informations "susceptibles de provoquer des troubles". Près d'une dizaine de journalistes et blogueurs ont été arrêtés et plusieurs journalistes étrangers expulsés.
Récemment, du 9 au 11 mai 2009, les journalistes Shelvin Chand et Dionisia Turaganbeci, accusés d'avoir publié un article “négatif envers le chef de gouvernement militaire Frank Bainimarama” sur le site Internet d'informations FidjiLive, ont été détenus. Quelques jours plus tard, le 14 mai, Theresa Ralogaivau, une autre journaliste, a été arrêtée en raison d'un article publié dans le Fiji Times.
Par ailleurs, le 14 mai, Joseph Ealedona, président du conseil d'administration de l'agence régionale Pacnews, a annoncé que le bureau de ce média sera temporairement délocalisé en raison de la situation politique dans le pays.
Des journalistes de Suva ont témoigné auprès de notre organisation de la peur qui règne au sein des rédactions. Certains journalistes refusent même de parler, effrayés à l'idée que leurs communications soient contrôlées.
Par ailleurs, votre gouvernement semble envisager de prendre le contrôle direct de certains programmes de la chaîne Fiji TV et de diffuser des informations gouvernementales dans le journal Fiji Sun. Il s'agirait d'une nationalisation masquée et abusive, mettant en péril des années d'indépendance éditoriale de ces médias privés.
Comme vous le savez, la communauté internationale a adopté des sanctions pour dénoncer la promulgation et l'application stricte de ces régulations. Le 13 mai, le Premier ministre australien, Kevin Rudd, a voulu s'en expliquer auprès des Fidjiens. Il a envoyé à tous les médias de votre pays un éditorial sur les raisons pour lesquelles le régime militaire fidjien a été suspendu du Forum des îles Pacifique. Mais cet éditorial n'a été repris par aucun média dans le pays, selon nous en raison de la censure.
Au regard de vos récentes décisions, vous semblez ne tolérer les médias que dans la mesure où ils ne critiquent pas votre gestion du pays et surtout la légitimité de votre gouvernement. Le pays s'oriente dangereusement vers un système de censure préalable.
Cette politique empêche la communauté internationale, notamment l'Union européenne, de reprendre une coopération étroite avec votre pays. De fait, ces régulations liberticides que vous avez mises en place punissent le peuple fidjien et hypothèquent les aides au développement dont la société et l'économie ont tant besoin. Il est de votre entière responsabilité de ne plus faire peser ce risque à votre pays.
Nous vous demandons d'abroger au plus vite les « Public Emergency Regulations 2009 », et notamment les articles 16 (1) et 16 (2) qui violent les engagements internationaux souscrits par les îles Fidji en matière de respect de l'Etat de droit. En votre qualité de chef de gouvernement, nous vous prions d'ordonner aux forces de sécurité de se retirer des rédactions et de cesser d'interpeller des journalistes.
En espérant que vous porterez une attention particulière à nos remarques, je vous prie d'agréer, Monsieur le Premier Ministre, l'expression de ma très haute considération.
Jean-François Julliard
Secrétaire général
47 rue vivienne - 75002 Paris (France)
Tel: 331-4483-8484 / Fax: 331-4523-1151
[email protected]
Publié le
Updated on
20.01.2016