Lettre ouverte au ministe de l'Information Mohammad Ali Durrani

Monsieur Mohammad Ali Durrani
Ministre de l'Information
Islamabad
République islamique du Pakistan Paris, le 29 mars 2007 Monsieur le Ministre, Nous souhaiterions vous faire part de notre vif étonnement. Selon l'agence Associated Press of Pakistan, vous avez expliqué le 27 mars, lors d'une réunion avec des ministres provinciaux, que le Pakistan était devenu un modèle en Asie du Sud pour la liberté de la presse. S'il est vrai que le gouvernement a autorisé au cours des dernières années la création de chaînes de télévision privées, le Pakistan est loin de représenter un modèle en la matière. Comment pouvez-vous l'affirmer alors que ces dernières semaines ont été marquées par des actes graves de censure et de violence contre des médias indépendants ? Le chef de l'Etat et vous-même avez certes exprimé vos regrets face à la violence policière, mais quelles dispositions avez-vous prises pour que les chaînes privées puissent enfin travailler librement ? Vos déclarations rassurantes interviennent alors même que l'un des principaux groupes privés du Pakistan, Dawn Group of Newspapers, doit faire face à des pressions économiques et judiciaires inqualifiables. Depuis décembre 2006, le gouvernement pakistanais a imposé une réduction drastique des publicités publiques accordées aux titres du groupe Dawn. Selon les calculs de la direction, plus des deux tiers des annonces étatiques et para-étatiques ont été supprimés depuis cette date. Alors même que la loi pakistanaise prévoit une juste répartition de la publicité publique suivant des critères tels que le tirage, les quotidiens Dawn, The Star et Herald ont été victimes d'une discrimination reposant sur leur ligne éditoriale. Les raisons de ce boycott publicitaire sont malheureusement connues, puisqu'elles ont été exposées par le Premier ministre Shaukat Aziz lui-même au président du groupe, Hameed Haroon. Il s'agit de punir Dawn Group of Newspapers pour ses enquêtes sur la situation sécuritaire dans la province du Baloutchistan et dans les zones tribales. Avant de mettre en place cette politique de sanctions, votre gouvernement avait utilisé, en 2004 et 2005, les services du gouvernement provincial du Sind, où est localisé le groupe, pour tenter d'infléchir sa ligne éditoriale. A cette époque, Reporters sans frontières avait déjà dénoncé les manœuvres du gouvernement du Sind et des forces de sécurité pour tenter d'impliquer des journalistes de The Star dans des affaires de détention d'armes. En 2005 et 2006, des responsables gouvernementaux ont approché de hauts responsables du groupe Dawn pour leur demander de restreindre leur couverture des événements dans les zones tribales et au Baloutchistan. Plusieurs reportages publiés dans Dawn ou Herald sur la guerre contre le terrorisme menée par le gouvernement et la situation au Cachemire avaient provoqué de vives réactions au Pakistan et à l'étranger. Le refus des directions de changer leur ligne éditoriale avait conduit le gouvernement à imposer des sanctions économiques. En 2006 également, le gouvernement n'a pas respecté sa promesse d'accorder une licence de télévision au groupe Dawn, et cela malgré un jugement de la Haute Cour du Sind. Hameed Haroon a expliqué à Reporters sans frontières avoir eu un entretien avec le Premier ministre en décembre 2005, au cours duquel ce dernier se serait engagé à lui accorder une licence pour créer une chaîne de télévision. Certes, le gouvernement a permis le développement des médias électroniques dans le pays, mais il reste encore beaucoup à faire pour que leur indépendance soit garantie. En effet, les pressions exercées par certaines responsables gouvernementaux et l'autorité de régulation des médias audiovisuels, la Pakistan Electronic Media Regulatory Authority (PEMRA), sont quotidiennes et arbitraires. Encore récemment, la PEMRA a contraint deux chaînes à l'autocensure. Tant que la PEMRA pourra obliger les opérateurs de câble et du satellite à suspendre la diffusion de certaines chaînes, par un simple ordre verbal, le secteur des médias électroniques ne pourra pas se développer sereinement. Le modèle de régulation des télévisions choisi par le gouvernement n'est pas acceptable. Il est urgent que la PEMRA devienne indépendante de toute intervention politique et gouvernementale. Par ailleurs, les radios d'information indépendantes sont pratiquement inexistantes au Pakistan alors qu'elle se sont multipliées en Afghanistan ou au Népal. Pour ce qui est de la télévision, l'Inde est bien plus avancée. Tout cela est loin de faire du Pakistan un modèle dans la région. De nombreux journalistes et responsables de rédactions ont affirmé que la presse écrite et les médias électroniques subissent toujours de très fortes pressions étatiques. Tout cela est apparu au grand jour lors des manifestations contre la destitution du président de la Cour suprême. Lors de cette récente réunion à Islamabad, vous avez également affirmé que le gouvernement travaillait à faciliter la liberté de mouvement des journalistes étrangers. C'est une excellente nouvelle. Nous espérons que les correspondants permanents et les envoyés spéciaux pourront se déplacer sans entraves sur le territoire. Et que leurs collaborateurs pakistanais ne feront plus l'objet de menaces ou de violences de la part des forces de sécurité. Le degré de respect de la liberté de la presse se juge à des actes et non pas à des déclarations. Les journalistes et les patrons de presse pakistanais connaissent le prix à payer pour défendre leur indépendance. Votre gouvernement a plus que jamais le devoir de respecter ses engagements. Tous les progrès accomplis seront salués comme il se doit par notre organisation. Monsieur le Ministre, si vous souhaitez vraiment que le Pakistan devienne un modèle, vous devriez avant toute chose intervenir pour que cesse le harcèlement à l'encontre de la maison éditrice du Dawn. Confiant dans votre attachement à la liberté de la presse, il nous paraît également urgent que vous mettiez en place les conditions pour que la PEMRA soit enfin indépendante, et que les violences à l'encontre des journalistes cessent. Dans l'attente de votre réponse, je vous prie d'agréer, Monsieur le Ministre, l'expression de ma haute considération. Robert Ménard Secrétaire général
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Updated on 20.01.2016