Les convocations en série des journalistes de radio alimentent un climat hostile pour la liberté de la presse
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Reporters sans frontières dénonce les convocations en série dont sont actuellement victimes la Radio Publique Africaine (RPA) et Radio Isanganiro, relevant du harcèlement. Bob Rugurika, rédacteur en chef de la RPA, initialement convoqué le 29 juillet 2011 au parquet auprès du tribunal de grande instance de Bujumbura, sera entendu le 1er aout. En l'espace de dix jours, il a été convoqué en justice à trois reprises afin de répondre des activités de la radio. Deux autres correspondants de la RPA à Ngozi (nord), Léonce Niyongabo, chef d'antenne, et la journaliste Yvette Murekesabe ont été convoqués aujourd'hui, le 29 juillet, pour "enquête judiciaire" et seront entendus de nouveau le 1er aout. Le même jour, Patrick Mitabaro, rédacteur en chef de Radio Isanganiro, devra se présenter au parquet auprès du tribunal de grande instance de Bujumbura pour "enquête judiciaire". Le Conseil national de la Communication (CNC) a récemment mis en garde ces deux radios pour des contenus pourtant diffusés sur d'autres stations.
"Les convocations judiciaires régulières de journalistes et les récentes mises en garde du CNC constituent une véritable campagne de harcèlement et d'intimidation contre les médias privés. Elles alimentent un climat hostile à la liberté de la presse. La RPA et Radio Isanganiro, connues pour leurs critiques du pouvoir, sont particulièrement ciblées par les autorités burundaises. D'autres radios ont traité des sujets similaires et n'ont pas été inquiétées par le CNC. Nous appelons les autorités à laisser ces médias et leurs journalistes travailler librement", a déclaré Reporters sans frontières.
Le rédacteur en chef de la RPA dans le collimateur de la justice
Le 18 juillet 2011, Bob Rugurika avait été interrogé pendant une heure par le procureur de la République pour avoir consacré une chronique à une lettre ouverte envoyée par le porte-parole du FRODEBU (Front pour la démocratie au Burundi - opposition), actuellement en exil, Pancrace Cimpaye, le 23 juin 2011, au président de la République. Selon la RPA, la divulgation de cette information a été qualifiée par le procureur de la République "d'outrage à l'Etat." Il a été en outre reproché à Bob Rugurika d'avoir relaté certains passages du discours de la Secrétaire d'Etat américaine, Hillary Clinton, daté du 13 juin dernier, dans lequel elle évoquait notamment le printemps arabe. Selon la RPA, la diffusion de cette information a été considérée par le procureur de la République comme une "incitation à la révolte populaire".
Deux jours après cette première convocation, le 20 juillet, Bob Rugurika avait été de nouveau entendu au sujet de la couverture de la conférence de presse organisée par Chauvineau Mugwengezo, porte-parole de l'ADC-Ikibiri (Alliance des démocrates pour le changement - opposition), tenue le 13 juillet, critiquant l'augmentation des prix de l'eau et de l'électricité.
Convoqué une troisième fois, Bob Rugurika sera entendu le 1er aout. Reporters sans frontières s'inquiète de cette comparution, initialement prévue pour le 29 juillet et repoussée en l'absence des avocats, actuellement en grève. L'organisation vient en effet d'apprendre que Maître François Nyamoya, qui défend notamment le rédacteur en chef, a été arrêté le 28 juillet, pour des motifs encore indéterminés.
Aucune poursuite judiciaire contre Bob Rugurika n'a été lancée, mais le tribunal a annoncé avoir ouvert un dossier.
En parallèle, le CNC a récemment adressé une mise en garde contre la RPA. Lors d'un point presse, le 23 juillet, l'institution a rappelé la station à l'ordre pour "incitation à la haine ethnique et culpabilisation de personnalités". Reprenant un rapport de l'ONU daté de 1996 (S/1996/682), la radio avait diffusé des informations discréditant certaines personnalités nommées par le Président pour préparer la mise en place de la commission vérité et réconciliation.
Les correspondants en région également sous le coup d'enquêtes judiciaires
Les correspondants de la RPA à Ngozi (nord), Léonce Niyongabo, chef d'antenne, et la journaliste Yvette Murekesabe, ont comparu devant le substitut du procureur de la république à Ngozi. Il se sont expliqués sur une nouvelle diffusée le 26 juillet dernier concernant un agent de la documentation et du service de renseignements, Ciza Pascal. Les deux journalistes comparaîtront de nouveau le 1er aout avec les enregistrements sonores de l'émission.
Quelques temps auparavant, le correspondant de la RPA à Bubanza (ouest), Eloge Niyonzima, avait été convoqué, le 25 mai, au parquet de la province de Bubanza à la suite d'un plainte déposée par le directeur général de la société Imbo Coffee Company, Nyandwi Anselme. Il avait été interrogé par le procureur de la république Didier Nibizi Simbizi après avoir diffusé un reportage sur une attaque menée par des hommes armés contre l'usine de café de l'entreprise. Aucune charge n'a été retenue contre le journaliste.
L'organisation rappelle que quatre de ses journalistes sont toujours poursuivis en justice. Raymon Zirampaye, Domithile Kiramvu, Bonfils Niyongere et Philbert Musobozi, sont accusés par le maire de Bujumbura, Evrard Giswaswa, d'avoir diffusé des informations offensantes sur les ondes de la RPA, au sujet d'une bagarre impliquant le maire. Ils étaient convoqués le 26 juillet mais leur audience a été repoussée.
D'autres radios visées par les autorités
La Radio Isanganiro est victime de pressions similaires. Patrick Mitabaro estime que son placement sous "enquête judiciaire" pourrait être lié à la diffusion d'une interview du président du barreau des avocats, Isidore Rufikiri, qui a qualifié certains magistrats de "sous hommes et petites femmes" en raison de leurs habitudes d'emprisonner au nom du ministère public. L'avocat a été arrêté le 27 juillet. La radio a par ailleurs reçu une lettre de mise en garde officielle du CNC, le 27 juillet, pour une information dérangeante diffusée sur les ondes de la radio deux jours auparavant.
Les médias internationaux ne sont pas à l'abri de ce genre d'intimidations. Le 19 juillet, Esdras Ndikumana, correspondant de Radio France Internationale (RFI) a comparu devant le tribunal de grande instance de Bujumbura et a été interrogé par le procureur de la République. Le journaliste avait effectué un reportage sur l'arrestation de Maître Suzanne Bukuru, avocate arrêtée pour "complicité d'espionnage" après avoir aidé une équipe de télévision française (M6) dans son enquête sur Patrice Faye, un ressortissant français accusé de viol sur mineurs. Après avoir interrogé le correspondant de RFI sur cette affaire, le procureur lui a confisqué son téléphone portable quelques heures. Il lui a été demandé de rester à la disposition de la justice.
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Updated on
20.01.2016