L'accès à l'information publique devient payant, en violation de la Constitution

"C'est tout simplement ubuesque !", a réagi Reporters sans frontières, après l'adoption d'un règlement rendant payant l'accès aux informations publiques dans ce pays. "Payer pour avoir accès à de l'information publique brute, voilà qui contrevient directement aux principes de transparence et d'accès libre et égal à l'information. Cette décision est totalement incompréhensible, contraire à tous les standards internationaux mais aussi à la loi tadjike." Un décret gouvernemental du 31 octobre 2009, "Sur le recouvrement par les institutions étatiques, des frais induits par la présentation d'information" est récemment entré en application. La communauté journalistique n'a pas été consultée, et le texte n'étant pas soumis à la procédure législative, il n'a fait l'objet d'aucun débat. La nouvelle disposition concerne "toutes les informations contenues dans les documents officiels", à l'exception des secrets d'Etat et des informations concernant nommément tel ou tel citoyen. D'après les sources officielles, un certain nombre d'exceptions sont prévues, mais le texte reste extrêmement vague. Selon Abdufato Vakhidov, coordinateur de l'Association nationale des médias indépendants (NANSMIT) contacté par Reporters sans frontières, "le décret ne concerne pas les renseignements oraux, mais toute information écrite". Tous les organes d'Etat sont concernés, y compris les services municipaux. Depuis l'entrée en vigueur de cette disposition, le 19 novembre, chaque page sera facturée jusque 25 somonis (près de 4 euros). Dès le 1er janvier 2010, ce plafond sera relevé à 35 somonis (5,50 euros). Dans un pays où le salaire mensuel moyen avoisine les 40 euros, cette somme est significative. Reporters sans frontières a fait part de sa perplexité face à cette disposition inédite, floue et en contradiction avec la Constitution et la loi tadjike "Sur le droit d'accès à l'information". "En l'état, ce règlement ne peut que susciter de fortes craintes. Les interprétations les plus diverses apparues dans la presse reflètent la confusion du texte et la défiance de la société civile vis-à-vis d'autorités peu soucieuses d'assurer à la population un accès libre à l'information publique. Des éclaircissements doivent être apportés sur le type d'informations concernées par ce décret, véritable prime à la corruption et au traitement inégal des médias." Ce texte constitue une reculade particulièrement grave pour un Etat tel que le Tadjikistan, confronté à un grave déficit de gouvernance et qui devrait au contraire tout faire pour se légitimer auprès des citoyens. En outre, en instaurant cette tarification entre administrations et administrés, le décret risque de favoriser une corruption déjà endémique dans le pays, classé 150e sur 179 dans le classement 2009 de Transparency International. Pour les journalistes, le décret introduit une inégalité de fait entre médias publics – pour qui l'information restera gratuite, en vertu du point 2.13 du décret – et médias privés, qui devront payer ou se contenter de reprendre servilement les communiqués officiels. Une fois qu'ils auront reçu une demande d'information, les fonctionnaires disposeront de sept jours pour y répondre, voire plus "dans le cas où le délai requis pour obtenir l'information demandée est plus important, du fait d'un accès plus difficile". Ce délai pourrait se transformer en arme redoutable entre les mains de fonctionnaires de mauvaise volonté, qui voudraient faire obstacle à la transmission de certaines informations ou seraient enclins à monnayer une "procédure rapide". La préoccupation de la communauté journalistique, qui s'est largement reflétée dans les médias ces dernières semaines, s'est à nouveau exprimée lors d'une table ronde organisée le 14 décembre à Douchanbe, avec le soutien de l'OSCE. Dans ce contexte, le prochain examen par le parlement tadjik d'un projet de loi sur les médias suscite des inquiétudes : le texte du projet n'est pas encore connu, mais les journalistes relèvent que la loi actuelle peut, tout au moins, être invoquée contre le décret rendant payant l'accès à l'information. Le Tadjikistan, 113e sur 175 dans le dernier classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières, est un Etat au bord de la banqueroute. Maintenu sous perfusion par les travailleurs émigrés et les institutions internationales, il a été frappé de plein fouet par la crise économique mondiale. L'accès à l'information est un enjeu particulièrement important à la veille des élections législatives, prévues pour le 21 février 2010. (Photo : RFE/RL)
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Updated on 20.01.2016