La presse écrite dans la ligne de mire du gouvernement à la veille des élections législatives

"Les autorités tadjiks doivent cesser de se servir de la justice pour faire pression sur la presse indépendante", a réagi Reporters sans frontières, peu après la condamnation d'un hebdomadaire à une amende astronomique et l'annonce de poursuites contre quatre titres de référence. Le 26 janvier 2010, un tribunal de Douchanbé (capitale) a confirmé en appel la condamnation de l’hebdomadaire Paykon ("Pointe de flèche"), prononcée le 26 octobre 2009. Au terme de ce jugement, le journal a été reconnu coupable d'atteinte à la réputation de l'agence gouvernementale "Tadjikstandart", en charge du contrôle de la qualité des biens importés. Il est condamné à lui verser 300 000 somoni (environ 49 000 euros) de dommages et intérêts. Paykon avait publié l'été dernier une lettre ouverte d'entrepreneurs au président Emomali Rakhmon, qui dénonçait la corruption et l'inefficacité de l'agence gouvernementale. Bien que le journal ait ensuite publié un droit de réponse de "Tadjikstandart", l'agence a porté plainte contre lui pour diffamation, arguant que les auteurs de la lettre se cachaient sous de faux noms. "La loi tadjik sur la diffamation devrait être amendée de manière à garantir la proportionnalité des amendes avec les ressources du média condamné. Des amendes aussi élevées mettent en jeu la survie même du titre, et donc le pluralisme des médias, déjà très limité", a poursuivi l'organisation de défense de la liberté de la presse. "Mais au-delà d'une législation imparfaite, les poursuites en cascade intentées ces derniers jours contre les principaux titres indépendants du pays dessinent une véritable tendance. À quelques semaines des élections pour la chambre basse du Parlement (le 28 février), les autorités font feu de tout bois pour intimider les rédactions et encourager l'autocensure sur l'activité des instances gouvernementales." Le 28 janvier, l'agence de presse officielle Khovar a annoncé que le ministère de l'Agriculture portait plainte pour diffamation contre le titre de référence Millat (Nation), et lui réclamait un million de somonis (près de 165 000 euros) de dommages et intérêts. Contacté par Reporters sans frontières, le rédacteur en chef de Millat, Zohir Davlat, s'est refusé à commenter la plainte avant d'avoir reçu une notification officielle. Il a tout de même fait part de son étonnement car "l'article incriminé, paru en décembre 2009, était court et purement informatif. Il faisait référence aux investigations sur la corruption au sein du ministère de l'Agriculture menées et rendues publiques par le Parlement". Là aussi, un droit de réponse avait été publié. Le lendemain, trois grands titres de la presse tadjik étaient à leur tour l'objet de poursuites pour diffamation – cette fois-ci, lancées par trois juges de la Cour suprême et un juge du tribunal du district de Sino (Douchanbé). Asia-Plus, Ozodagon ("Les Indépendantes") et Faraj sont accusés d'avoir porté atteinte à la réputation des quatre magistrats dans des articles rendant compte d'une conférence sur la corruption et la partialité de la justice tadjik. Le total des dommages et intérêts exigés s'élève à 5,5 millions de somonis (environ 900 000 euros). L'un des plaignants, le juge de la Cour suprême Nur Nurov, demande même la suspension des titres pendant la durée de l'enquête. Ironie du sort, le président Emomali Rakhmon aurait lui-même tonné, en Conseil des ministres, contre le mauvais travail de la Cour suprême et du parquet général. D'après un journaliste tadjik basé en Europe, contacté par Reporters sans frontières, ces procédures pourraient être le résultat des signaux contradictoires adressés aux médias par le gouvernement ces derniers mois. Suite à une rencontre entre le Président et des représentants de médias à l'automne 2009, la presse, bénéficiant d'un regain de confiance, aurait commencé à publier des articles plus critiques. Les poursuites actuelles signaleraient la fin de cette relative détente, et viendraient rappeler que dénoncer les autorités reste un jeu dangereux. La même source souligne que dans un décret de février 2009, Emomali Rakhmon encourageait explicitement les administrations à porter plainte contre les médias qui les critiquaient. Paykon, créé en mars 2009, est un titre récent qui ne s'est pas spécialement distingué par des positions incisives à l'égard du gouvernement. En revanche, son rédacteur en chef, Djumaboï Tolibov, est connu pour ses articles d'investigation dérangeants, qui lui ont valu d'être passé à tabac et condamné à 2 ans de prison en 2005. A l'occasion des dernières élections législatives, une vague de répression s'était alors déjà abattue sur les médias tadjiks. Il est à craindre que l'histoire ne se répète. Lire le communiqué en russe/ Читать на русском : (Photo : Paykon)
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Updated on 20.01.2016