Le Sénat a voté jeudi 12 mars la loi de sécurité citoyenne. En raison de ses dispositions restrictives pour la liberté de l’information, la liberté d’expression et la liberté de manifestation, Reporters sans frontières (RSF) dénonce l’adoption d’une loi bâillon.
Le projet de loi, déjà approuvé par la Chambre des représentants (
Congreso), contient des dispositions contraires à la liberté d’expression et de réunion pacifique. Il sanctionne la prise et la diffusion de photos des forces de l’ordre qui seraient préjudiciables à l’image et à l’honneur des agents. Les sanctions administratives prévues s'échelonneront de 600 à 30 000 euros d’amende pour les photographes (citoyens comme journalistes) ainsi que pour les personnes diffusant ces photos (citoyens ou médias). La Chambre des représentants doit de nouveau approuver la loi pour qu’elle puisse entrer en vigueur.
“
Cette loi met entre les mains de l’administration des actes qui, jusqu’à maintenant, étaient laissés à l’appréciation du juge, explique Lucie Morillon, directrice des programmes de Reporters sans frontières.
Elle vient renforcer les prérogatives des forces de police en limitant les droits et libertés des journalistes. Le gouvernement s’est doté d’une arme extrêmement efficace pour créer des zones d’ombre où les forces de l’ordre échapperont au contrôle par les citoyens et les journalistes, pourtant légitimes.”
Critiquées par la société espagnole, certaines dispositions de la loi pourraient s’avérer être anticonstitutionnelles. La Constitution espagnole précise en effet que le droit à l’information et à la liberté d’expression “
ne peut être restreint par aucune forme de censure”. La jurisprudence espagnole a établi dans le passé que le droit à l’information et à la reconnaissance des abus policiers - une information d’intérêt public - primait sur le droit à l’image et à l’honneur des agents.
La
loi organique sur la protection civile du droit à l’honneur, à la vie privée et familiale et à l’image établit d’ailleurs que le droit à l’image n’empêche pas la prise, la reproduction et la publication des images si elles concernent des personnes qui exercent une charge publique ou une profession de notoriété publique et que l’image a été prise au cours d’un événement public ou dans un endroit public ou ouvert au public.
Grâce à cette nouvelle loi, les forces de police pourront sanctionner les journalistes ou les médias prenant ou diffusant des photos “
pouvant mettre en danger la sécurité des membres des forces de l’ordre”, “
divulguant des renseignements personnels sur les agents de police, sur des locaux protégés” ou “
mettant en péril des opérations policières” (article 36.26 du projet de loi). Le texte final statue que l’infraction sera déterminée “
par rapport au droit fondamental à l’information”. Le journaliste devra tout d’abord payer l’amende et pourra la contester a posteriori en payant des frais de justice.
L’importance du travail des journalistes dans la dénonciation des abus policiers est reconnue par le
Prix Ortega y Gasset de Journalisme.
Ces dernières années, la Guardia civil a multiplié les actes violents contre les journalistes et n’a pas hésité à recourir à des prétextes fallacieux pour arrêter des journalistes jugés trop curieux. Dernier exemple en date, le mercredi 11 mars : la photographe freelance Ángela Ríos a été arrêtée près de la frontière entre l’enclave espagnole de Melilla et le Maroc. La police la soupçonne d’avoir fait entrer illégalement des immigrants en Espagne. Elle a été mise en détention pour avoir “
aidé l’immigration illégale”.
La journaliste a affirmé qu’elle se trouvait dans l’enclave de Melilla lorsqu’elle a vu des migrants. La photojournaliste est sortie de sa voiture pour les prendre en photo alors qu’ils s’enfuyaient pour échapper aux forces de l’ordre. C’est alors que des policiers sont intervenus et ont demandé à la photographe de les suivre avant de la mettre en détention. Elle a été libérée dans la soirée.
L’Espagne figure à la 33ème position sur 180 pays au
Classement mondial de la liberté de la presse 2015 publié par Reporters sans frontières.