La liberté d’expression contre la terreur et le mensonge

La liberté d’expression contre la terreur et le mensonge — remerciements adressés en réponse à la remise du Prix de la défense de la liberté d’opinion, décerné par Reporters sans frontières. par Liu Xiaobo Je voudrais d’abord remercier Reporters sans frontières de m’avoir remis le Prix de la défense de la liberté d’opinion de cette année. Je voudrais en outre exprimer ma profonde admiration à Reporters sans frontières pour sa contribution à la cause de la liberté d’opinion dans le monde et en Chine. D’où qu’ils viennent, l’affirmation et l’encouragement d’une écriture libre maintenue malgré la dictature forcent notre reconnaissance sincère et notre respect. Même si le pouvoir communiste chinois est en train, verbalement, de passer de la négation des droits de l’homme à la reconnaissance de ces droits, dans la réalité, la situation des droits de l’homme en Chine ne porte aucunement à l’optimisme. Sur le plan de la liberté d’expression en particulier, la Chine reste un État policier qui a le monopole des médias et exerce un contrôle strict de l’opinion. La Chine est privée du droit à la liberté d’expression, elle n’autorise pas les divergences politiques et elle interdit toute indépendance des médias. Les progrès politiques de la Chine sont très en retard par rapport au développement économique et à l’évolution des mentalités. La Chine est partagée entre deux extrêmes — non seulement entre la richesse et la pauvreté mais aussi entre la politique et l’économie. Elle est dans une situation périlleuse qui s’aggrave de jour en jour, sur laquelle non seulement les Chinois eux-mêmes doivent réfléchir mais qui réclame aussi l’attention de la société internationale. Face à la complexité des relations internationales actuelles et au développement très rapide de l’économie chinoise, dans les pays occidentaux, berceaux et défenseurs de la liberté, certains politiciens renoncent à leurs principes au nom du profit. Au moment où ces politiciens, pliant devant l’immensité du marché chinois et l’attrait du profit, négligent la situation désastreuse des droits de l’homme en Chine, Reporters sans frontières, organisation internationale civile de défense des droits de l’homme, ne cesse de lutter pour l’idéal de justice universelle qu’est la défense de la liberté d’opinion. Par votre action, vous avez véritablement réussi à faire coïncider votre dénomination et la réalité, en considérant que la liberté d’opinion n’a pas de frontières et que la défense de la liberté d’opinion et la lutte contre la notion de délit d’opinion n’a pas de frontières non plus. C’est ce qui est véritablement digne d’éloges chez Reporters sans frontières. Vous vous employez à promouvoir la liberté d’opinion à l’échelon mondial et face aux pouvoirs qui bafouent les droits de l’homme, vous persévérez à dire « non ». Vous n’avez cessé de vous préoccuper des prisonniers de conscience chinois. Vous avez encouragé les Chinois qui osent dire publiquement la vérité face au pouvoir dictatorial. Et, en décernant un prix chaque année, vous avez promu la cause de la liberté d’opinion en Chine. Les encouragements prodigués aux Chinois soumis à la restriction de leur liberté d’opinion prennent un sens particulier, aussi bien pour les individus revendiquant leur dignité humaine que pour la cause toujours menacée de la liberté en Chine. En ce qui concerne le progrès de la société humaine, parmi les divers droits de la personne humaine, la liberté d’opinion revêt plusieurs significations : Premièrement, la liberté d’opinion est un des droits de l’homme les plus fondamentaux, porteur en soi d’une valeur de liberté et de dignité qui établit l’homme ; deuxièmement, la liberté d’opinion a une valeur instrumentale de contrôle du gouvernement et de protection des droits de l’homme ; troisièmement, la liberté d’opinion est un moyen essentiel d’aboutir à la stabilité sociale. Je profite de l’occasion qui m’est donnée pour rendre un hommage particulier à tous ceux qui ont souffert pour avoir refusé les mensonges du despotisme et lutté pour la liberté d’opinion : ceux qui sont mort dans l’ombre et les prisonniers de conscience condamnés pour leurs écrits. Je suis persuadé que grâce au prix payé pour la défense de la liberté d’opinion nous finirons par récolter le fruit de notre persévérance que sera la liberté d’expression. Même si les succès et les échecs de la Révolution française restent sujets à controverse, il y a plus de deux cents ans, le 26 août 1789, l’Assemblée nationale française adoptait une Déclaration des droits de l’homme pour la première fois dans le monde. Il s’agit d’un héritage grandiose laissé par la Révolution française. La Déclaration des droits de l’homme est devenue aujourd’hui le fondement moral des organisations internationales comme les Nations Unies et la Communauté européenne et elle est aussi une des normes principales permettant d’évaluer si un pays ou un régime politique est civilisé ou non. Deux cents plus tard, en 1989, la Chine a connu un « mouvement de 89 » qui a ébranlé le monde. Les Chinois sont alors descendus dans la rue pour s’emparer de la liberté affirmée dans la Déclaration des droits de l’homme. Ils ont manifesté pacifiquement. Et le pouvoir communiste a utilisé les chars et les baïonnettes pour répondre aux revendications de liberté exprimées par le peuple de manière pacifique. J’ignore si ce que je fais égale le combat des morts du 4 juin et de ceux qui ont été condamnés pour leurs écrits et je n’oserais affirmer si moi-même je mérite l’honneur que vous me faites ou non. La seule chose que je sais c’est que cet honneur est le prix décerné à tous ceux qui osent dire la vérité sous un régime bannissant la liberté d’expression, et qui revendiquent la liberté. Même si dans les médias officiels chinois, les amis chers qui osent parler sont condamnés à l’oubli par le pouvoir communiste, grâce à la plate-forme de mondialisation de l’information que fournit l’Internet, ils ont reçu le soutien, les éloges et la bénédiction de la société civile et de l’opinion internationale. Le prix que je reçois aujourd’hui, même s’il m’est attribué personnellement, est plus encore un prix décerné à la cause de la liberté d’opinion en Chine. La liberté des Chinois doit être le fruit des efforts continus des Chinois eux-mêmes, mais elle ne peut se passer du soutien continu des forces de la justice internationale. Pour finir, je voudrais insister sur ceci : qui veut lutter pour la liberté sous le régime de la terreur, doit d’abord s’exprimer publiquement afin de dominer sa terreur intérieure. Il ne faut pas se transformer en sujet muet seulement capable de se soumettre à la force mais devenir un citoyen sachant s’exprimer de manière indépendante. Face à un pouvoir fort qui interdit la liberté, on doit devenir un homme libre afin de parler et d’agir. (20 novembre 2004 chez moi à Pékin)
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Updated on 20.01.2016