Chine : RSF dénonce une campagne de cyberharcèlement amplifiée par la campagne de discrédit menée par les autorités contre deux journalistes françaises

Deux journalistes françaises sont la cible d’un cyberharcèlement massif, continu et amplifié par les organes de propagande chinois, depuis la diffusion d’un numéro de “Cash Investigation” sur la chaîne de service publique France 2, consacré à la famille Mulliez, et notamment à leur marque Decathlon, auquel elles ont participé. Le documentaire pointait l’un des principaux sous-traitants de Decathlon en Chine, soupçonné par le Congrès américain et par l’ONU d’avoir eu recours au travail forcé de Ouïghours. Reporters sans frontières (RSF) dénonce ces violentes attaques en ligne, incluant des menaces de mort, et appelle à l’ouverture d’une enquête préliminaire par le parquet français et de poursuites contre les auteurs, ainsi qu’à une régulation efficiente des plateformes.
Deux journalistes françaises ayant travaillé pour l’émission “Cash Investigation” sont la cible d’une campagne de harcèlement et de discrédit nourrie par des organes de propagande du régime chinois. Allant des insultes aux menaces de mort, plusieurs milliers de messages ont été publiés depuis le 1er mars sur les réseaux sociaux – Instagram, Facebook, YouTube et X – des deux enquêtrices,de “Cash investigation” ou en commentaires de vidéos les attaquant.
Cette campagne fait suite à la diffusion sur France 2 d’une enquête produite par la société de production française Premières lignes sur l’un des fournisseurs chinois de l’entreprise Decathlon. Les journalistes s’étaient rendues dans deux usines textiles de la province du Shandong appartenant à ce sous-traitant. Le documentaire Auchan, Décathlon... Les secrets d'une famille en or a été diffusé sur France 2, le 6 février dernier.
À partir du 16 mars, RSF constate que des organes d'État chinois, comme l’agence de presse d'État Xinhua, amplifient le discrédit des journalistes et de l’émission française, accusée d’être “un élément de propagande mal fabriqué contre la Chine”. Ces organes d’influence reprennent les principaux propos tenus par les attaquants, contribuant à leur “blanchiment”, leur légitimation et leur amplification à une échelle internationale.
“Le harcèlement dont font l’objet ces deux reporters françaises est inacceptable. Cyberharcelées, menacées de mort, elles craignent aujourd’hui pour leur intégrité physique. Et ce, pour avoir simplement fait leur travail de journaliste. Compte tenu de la gravité de la situation, des risques encourus par les journalistes et de l’amplification de cette campagne par le régime chinois, RSF appelle à l’ouverture d’une enquête préliminaire par le parquet français et à la poursuite des auteurs, ainsi qu’à une régulation des plateformes qui permettent enfin de lutter efficacement contre les campagnes d’intimidation de journalistes.
Menaces grandissantes
Les attaques ont dans un premier temps été portées par des comptes sur des réseaux sociaux chinois ou par des comptes sinophones sur X. Dès le début de la campagne, la tonalité des messages est très clairement menaçante, à l’instar d’une publication du 1er mars sur Weibo, une plateforme de microblogging chinoise, qui cumule 15 000 likes et plus de 700 commentaires. L’auteur menace les deux journalistes et fournit leurs photos et leur identité. “Propager des rumeurs, salir, inventer n’importe quoi… [...] Qu’elles ne me croisent jamais en Chine, sinon je leur collerai une énorme gifle !”, écrit-il.
La campagne de haine en ligne ciblant l’émission et les deux journalistes prend alors progressivement de l’ampleur sur les réseaux sociaux, où les messages privés haineux s’intensifient. Elles sont aussi ciblées par un compte suivi par plus de 7 millions d’abonnés, ainsi que dans des articles de blogs en Chine et dans diverses vidéos qui s’attaquent au reportage. Sur X, elles reçoivent des menaces de mort et des insultes, principalement en chinois et en anglais telles que : “Va en enfer”, “Ta mère est morte”, ou encore “Tes proches vont connaître une mort épouvantable”.
Des comptes “dormants” aux influenceurs pro-Chine
Tous les comptes impliqués ne sont pas nécessairement consacrés à la diffusion de discours pro-Chine. Une partie d’entre eux ont longtemps publié du contenu sans lien avec le journalisme, comme des images pornographiques ou bien tirées de dessins animés, avant de subitement se mettre à attaquer les journalistes françaises. Plusieurs de ces comptes étaient “dormants”, c’est-à-dire sans activité depuis plusieurs mois. Tous reprennent les insultes envers les journalistes et tentent de jeter le discrédit sur leur travail.
Alors que ce harcèlement émanait à l’origine principalement de comptes chinois, plusieurs influenceurs occidentaux liés à la Chine et certifiés sur X se sont, dans un second temps, attaqués aux journalistes, cumulant plus de 300 000 vues sur leurs publications. Le compte de l’un d’eux, Andy Boreham, un Néo-Zélandais basé à Shanghai affirmant travailler comme journaliste vidéo pour Shanghai Daily dans sa biographie sur X, était identifié sur la plateforme comme un média affilié à l’État chinois, jusqu’au retrait de cette catégorisation par X en avril 2023. Il anime par ailleurs une chaîne Youtube ayant pour objectif affiché de “contrer le narratif occidental anti-Chine”. “Je suis extrêmement fier d’être une voix pour la Chine”, affirmait-t-il dans une interview pour le média néo-zélandais Newsroom le 1er mars 2022.
Le discrédit amplifié par des organes d’État
L’ensemble de ces discours sert de matériau à la publication, à partir du 16 mars 2025, de contenus d’agences de presse officielles chinoises. Ces publications amplifient la campagne de discrédit contre les journalistes et l’émission. Après la publication de dépêches, en français et en anglais, de l’agence Xinhua, référencées sur Google Actualités selon RSF, les versions web des journaux d’État Le Quotidien du peuple et China Daily lui emboîtent le pas. La dépêche en chinois de Xinhua est même partagée par l’ambassade de Chine en France sur le réseau social chinois WeChat. Cette campagne de dénigrement, qui a d’abord circulé en partie sur des comptes peu crédibles, risque maintenant d’essaimer dans les médias dépendant des contenus de l’agence de presse Xinhua, dotée d’un réseau de plus de 180 bureaux à l’étranger.
La Chine, État prédateur de la liberté de la presse
Ce cyberharcèlement est un énième exemple des risques pour quiconque veut exercer le journalisme en Chine. Le pays est classé 172e sur 180 pays et territoires dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2024, et le régime contrôle strictement l’information par la censure, la surveillance et l’expulsion de journalistes étrangers. Parallèlement, Pékin cherche à imposer son propre récit, à la fois en restreignant les enquêtes indépendantes sur son territoire et en menant une intense propagande à l’international, notamment via des médias d’État.